Les portraits colorisés de Youssef Nabil nous plongent dans une Égypte contemporaine rêvée

Publié le par Sabyl Ghoussoub,

© Youssef Nabil

De Catherine Deneuve à Tahar Rahim jusqu’à ses autoportraits, Youssef Nabil incarne un monde méditerranéen sans frontières.

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Été 1992. Youssef Nabil a 20 ans. Lui et sa camarade de classe Amina se rendent dans le quartier du Vieux Caire. Youssef a déjà tout écrit, tout mis en scène. L’idée est qu’Amina incarne une femme mystérieuse qui fuit les regards, cachée sur le toit d’une vieille maison à proximité d’un cimetière copte.

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De terrasse en terrasse, elle saute et vole le linge qui sèche. De cette première photographie qu’il a réalisée, Youssef dit : “Nous nous sommes beaucoup amusés et je me souviens que j’avais adoré faire ça, diriger Amina pour raconter une histoire.” Depuis Youssef n’a cessé de raconter des histoires dans ses œuvres.

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Catherine Deneuve, Paris, 2010. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)

Chacune de ses images est préparée tel un scénario. Mises en scène, costumes, casting d’actrices et d’acteurs parfois reconnu·e·s (Salma Hayek, Tahar Rahim…) : toutes ses œuvres, portraits et vidéos, présentent une esthétique sophistiquée.

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Des inspirations cinématographiques

Du 5 octobre 2019 au 12 janvier 2020, l’Institut du monde arabe-Tourcoing présente une rétrospective du photographe égyptien. Inspiré par David LaChapelle dont il a été l’assistant à New York mais aussi par Mario Testino avec qui il a travaillé à Paris ou encore Van Leo, photographe des stars de l’âge d’or égyptien, avec qui il se liera d’amitié, Youssef Nabil produit une œuvre qui se situe entre tradition du portrait de studio et photographie plasticienne.

“Au début, je ne voulais faire que des photographies en noir et blanc, en raison de mon amour pour le vieux cinéma, et puis j’ai ressenti le besoin de voir mon travail en couleurs, mais je ne voulais pas utiliser de pellicule couleur. J’ai donc décidé d’apposer de la couleur à la main, en ayant recours à une technique ancienne. J’ai dû partir à la recherche des retoucheurs les plus âgés, qui travaillaient à l’ancienne dans les studios de portraits du centre-ville du Caire et d’Alexandrie. C’est ainsi que j’ai appris leur technique.”

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“Natacha fume le narguilé”, Caire, 2000. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)

Sa ville de naissance, Le Caire, mais surtout l’Égypte et son histoire sont très présentes dans ses images. Le photographe rend hommage à tous ses héros d’enfance : héros venus du cinéma égyptien comme Faten Hamama, Laila Mourad mais aussi toutes les danseuses du ventre d’antan comme Samia Gamal, Tahia Carioca et Naima Akef. Serait-ce par nostalgie ou par hantise de la mort, de l’absence qu’il revient sur ces années ?

“Je regardais de vieux films dont les acteurs étaient presque tous morts. C’était très étrange et ça m’a fait beaucoup réfléchir à la vie et à la mort, et à ce qu’on laisse derrière soi… Ces gens avaient une vie, exactement comme nous en ce moment. Ils étaient si beaux, dans ces films, et maintenant ils sont morts. Et pourtant, j’étais quand même amoureux d’eux. Ils étaient pour moi comme des fantômes qui vivaient toujours parmi nous et qui nous racontaient des histoires pas tout à fait vraies, mais qui auraient pu l’être.”

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Angoisse de la mort

Dans ses autoportraits, l’instant présent est déjà en train de s’évanouir. Souvent de dos, l’artiste signifie la brièveté de la vie qu’il immortalise à la manière d’une page de journal intime où il parle de lui, de l’Égypte qu’il a quittée en 2003 pour vivre entre New York et Paris, du sentiment d’exil.

“Autoportrait avec une pyramide”, Caire, 2009. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)

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À travers son art, il trouve un moyen de canaliser ses angoisses de mort :

“Je crois profondément que mourir, c’est comme retourner dans un lieu déjà connu mais qu’on avait oublié. Comme si on était toujours là, sans y être vraiment. Comme au moment où l’on s’endort, chaque soir, et que l’on perçoit encore ce qui se passe autour de soi tout en ayant déjà basculé dans un autre monde, un monde parallèle.”

Le photographe joue de tous les codes et clichés. Il les récupère pour mieux les assumer, se les réapproprier, et faire fi des revendications d’identité. Comme le souligne la commissaire d’exposition Françoise Cohen : “L’œuvre de Youssef Nabil souhaite incarner un monde ‘méditerranéen’ sans frontières, où le voile arboré par Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert n’est plus le sujet d’un débat d’actualité mais retrouve la douceur des Madones de la Renaissance.”

“Douce tentation”, Caire, 1993. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Pasha solitaire”, Caire, 2002. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Fête foraine, autoportrait”, Paris, 2005. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Ali en Abaya”, Paris, 2007. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“You Never Left #III”, 2010. (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“I Saved My Belly Dancer #XII”, 2015, (visuel capturé depuis la vidéo). (© Youssef Nabil/Courtesy de la Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)

L’exposition de Youssef Nabil est à voir à l’Institut du monde arabe-Tourcoing jusqu’au 12 janvier 2020.