Dans une petite salle du Musée d’art et d’histoire Baron-Gérard de la ville de Bayeux, une vingtaine de photos en noir et blanc attendent le public. Les grands formats qui nous accueillent présentent, en majorité, des visages et des silhouettes de femmes. Elles nous observent, fusil à la main, le regard tourné vers un horizon qui demeure hors-champ, insaisissable pour qui ne connaît pas le quotidien de la guerre, des ruines et des balles.
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S’élever au milieu des ruines, danser entre les balles est un projet de “photographie documentaire sociale”, mené depuis 2012 par la photographe irano-britannique Maryam Ashrafi dans les régions kurdes de l’Irak et de la Syrie.
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Le rôle des combattantes, “quelque chose d’unique”
Ce travail, explique l’artiste auprès des Clés du Moyen-Orient, part d’une incompréhension : pourquoi la lutte kurde a si longtemps été passée sous silence. L’histoire de cette lutte et de ses combattant·e·s fait partie de celle de la photographe, qui confie que son projet a pour origine “des motifs personnels”, à savoir “retracer les pas de [son] père”, exilé politique iranien ayant fui son pays “à l’aide de Kurdes iraniens”.
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Lorsque Maryam Ashrafi entame son projet et ses voyages, à 30 ans, elle place au centre de son objectif la place des femmes dans la lutte des Kurdes. Cela “pas seulement parce qu’[elle est] une femme”, souligne-t-elle, mais “parce que leur rôle de combattantes [lui] apparaissait comme quelque chose d’unique”.
Voyageant d’abord au Kurdistan d’Irak, elle découvre ensuite les rangs du Parti des travailleurs du Kurdistan. Ses différents séjours font ressortir des différences majeures dans la façon dont peuvent combattre les femmes, entre rôles “significatifs” et, parfois, impasse, lorsque les combattantes sont “rattrapées par leurs rôles traditionnels”, analyse Allan Kaval, journaliste du Monde choisi par Maryam Ashrafi pour rédiger des textes de son livre.
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Se délivrer du “regard occidental”
La photographe “n’assiste pas aux combats” mais raconte la guerre de l’intérieur, documentant la vie quotidienne des “hommes et des femmes qui les mènent”, “explorant des moments d’attente, en écoutant leurs mots, leurs récits”, écrit Allan Kaval pour le Prix Bayeux des correspondant·e·s de guerre, qui expose S’élever au milieu des ruines, danser entre les balles.
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Mettant au centre de son travail les rôles des femmes et l’émancipation féministe au cœur de conflits qui nous paraissent par bribes dans les médias, Maryam Ashrafi insiste également sur l’importance de la personne qui transmet les informations – de son identité et de son histoire :
“[Le travail de Maryam Ashrafi] se déroule dans un contexte médiatique dominé par une perception superficielle du rôle des femmes dans le mouvement kurde, souvent fétichisé par un regard occidental qu’elle n’entend pas partager, son point de vue étant aussi celui d’une femme née au Moyen-Orient, dans une société patriarcale.
Pour elle, cette identité, plus complexe que celle de la plupart de ses confrères et consœurs étranger·ère·s venu·e·s couvrir les luttes kurdes en Syrie et en Irak, est un atout, elle crée une communauté d’expérience avec ses interlocuteurs et interlocutrices.”
La série S’élever au milieu des ruines, danser entre les balles est exposée à Bayeux jusqu’au 31 octobre 2021, dans le cadre du Prix Bayeux-Calvados. Un livre photo a été publié aux éditions Hemeria.
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Vous pouvez retrouver le travail de Maryam Ashrafi sur son site et son compte Instagram.