Depuis vingt ans, au cœur de la Forêt-Noire allemande, le long d’une route éloignée des villes, il existe un centre d’accueil où vivent des réfugiés, en attente d’une suite en forme de point d’interrogation. De 2015 à 2018, Sibylle Fendt a photographié ces jeunes hommes, dont le quotidien est fait d’attente et de petits riens visant à faire passer le temps.
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Pour documenter avec une sincérité dénuée de voyeurisme, la photographe rendait visite aux résidents et partageait leur attente. Sibylle Fendt raconte ces histoires de vie après l’exil dans un beau livre aux photos en couleur, Holzbachtal, nothing, nothing.
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Des frontières impénétrables
Les images de l’ouvrage présentent une constante dichotomie entre l’extérieur et l’intérieur. Cette volonté est intensifiée par des photographies de portes et de fenêtres, de séparations physiques entre un monde et l’autre. D’un côté, s’épanouit la nature épaisse et luxuriante de la Forêt-Noire, symbole géographique allemand. De l’autre, sont fixés, immuables, les intérieurs vides et froids des habitants, où chaque objet rappelle un souvenir – du pays quitté, souvent –, de façon théorique ou pratique.
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Sibylle Fendt a immortalisé ses modèles avec leurs cigarettes, pour passer le temps ; leurs recettes, cuisinées avec peu d’ustensiles et leur téléphone, moyen de communication privilégié avec leurs proches. Le téléphone fait d’ailleurs partie intégrante de la couverture du livre (bien que caché), puisque le visage du modèle sort de l’obscurité, simplement éclairé par une lumière de smartphone.
Les hommes sont photographiés le regard dans le vide, les épaules baissées, comme ployant sous le poids de leur exil. Sibylle Fendt et son appareil, tout comme le lectorat, restent étrangers à leur monde intérieur, indicible par eux et incompréhensible par celles et ceux qui n’ont pas vécu ce déracinement.
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“La plupart du temps, j’étais la bienvenue”, relate la jeune femme. “J’étais souvent invitée à dîner et autorisée à passer du temps avec eux. Par moments, cependant (sûrement lorsqu’ils se rendaient compte du caractère désespéré de leur situation et ressentaient de la honte), ils préféraient rester seuls.” Par l’image, Sibylle Fendt a souhaité montrer une dimension de l’exil souvent oubliée et pourtant substantielle. Après la tragédie du déracinement, vient le drame de la solitude, rongée par une incertitude terrifiante.
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“Holzbachtal, nothing, nothing”, de Sibylle Fendt est publié chez Kehrer Verlag.
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