Des robes de mariées tachées, des cadavres de bières à profusion et des corps endormis n’importe où. Dans le paysage qui compose ces bals, dans l’outback australien, l’ébriété est visible. On la reconnaît aux visages fatigués et aux vêtements défoncés, mais aussi aux canettes omniprésentes.
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Initialement destinés aux “célibataires et vieilles filles” (traduction de “bachelors and spinsters”), ces bals avaient autrefois pour utilité de rapprocher les jeunes de l’Australie rurale, région vaste et peu peuplée. Et pourquoi pas, les amener à rencontrer leur partenaire de vie, à une époque où Tinder n’existait pas encore.
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Mais ça, c’était au XIXe siècle. Un simple coup d’œil au livre photographique The Ball suffit à s’en rendre compte : dans leur version moderne, l’essence première de ces bals, qui représentent une institution en Australie, s’est évaporée pour laisser la place à la beuverie générale.
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Surmonter la distance et la solitude
Né en Suède et résidant aujourd’hui à Sydney en Australie, Ingvar Kenne a commencé à se rendre dans ces bals en 2015 : “Un ami familier de ce que je fais m’a suggéré de me renseigner sur les ‘Bachelor and Spinster Balls’, des rassemblements ruraux initialement créés pour surmonter la distance et la solitude dans le bush“, raconte le photographe à un journaliste d’American Suburb X.
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Pour lui qui préfère l’inconnu au familier – dans sa vie comme dans son travail, puisqu’il a quitté son pays natal pour l’Australie –, ces soirées ont rapidement éveillé son intérêt : “L’anarchie dans le mouvement, l’intensité dans la répétition et les émotions humaines décuplées créent quelque chose d’envoûtant.”
Entre 2015 et 2017, Ingvar Kenne est donc passé dans l’État du Victoria, la Nouvelle-Galles du Sud ou encore le Queensland pour fréquenter ces “B & S Balls” – dont certains affirment désormais que les initiales correspondent aux mots “bière” et “sexe”. “J’ai mis un moment à comprendre ce dont j’étais témoin la première fois que je me suis pointé. Tu avances dans un terrain poussiéreux sur lequel il y a jusqu’à 1 500 personnes et le spectacle est effrayant.”
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Culte de la fête et alcool sans modération
Pour autant, ces fêtes sans limites ne sont pas un pur produit de l’outback australien. Comme le rappelle le photographe sur son site, le solstice d’été en Suède (appelé “Midsommar”) ou encore les Spring Breaks aux États-Unis reposent aussi sur un culte de la fête et une consommation non modérée d’alcool.
En France, ce sont les week-ends d’intégration, qui surviennent au début des études supérieures, qui s’en rapprochent le plus. Enfin, sur le petit écran, les images désordonnées rappellent la série britannique Skins, qui a développé le concept des skins parties : des soirées à la fois chaotiques et extraverties, à base d’alcools forts, drogues et sexe.
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Avec The Ball, Ingvar Kenne nous permet d’être les témoins de l’évolution d’une coutume historique, au cœur de laquelle se trouve une jeune génération qui ne se reconnaît pas dans les rituels traditionnels. “Aujourd’hui, les Bachelor and Spinster Balls sont symptomatiques d’une certaine indifférence face à une époque révolue et à ce qui restera dans le futur”, explique le photographe.
La transformation des traditions est aussi révélatrice d’une autre façon de penser, moins portée sur la construction de la famille. Les fêtards qui se retrouvent dans ces terrains, en passe de rentrer dans l’âge adulte, viennent ici pour se lâcher et non pour trouver leur moitié.
Les chemises-cravates des hommes finissent déchirées, les fausses robes de mariées de certaines trempées de boisson et de colorants alimentaires et les corps, passée une certaine heure, ne résistent plus à la gravité : pour le speed dating, on repassera. Ce qui importe, c’est l’instant présent. Le temps d’une soirée, la jeunesse australienne se laisse porter, en totale déconnection des conventions. Avant le retour à la réalité le lendemain, avec une jolie gueule de bois.