L’artiste Kubra Khademi milite pour les droits des femmes afghanes

Publié le par Lise Lanot,

© Céline Bouquet ; Kubra Khademi/Galerie Eric Mouchet

Rencontre avec l’artiste afghane exilée en France depuis 2015, qui nous exprime sa colère et son espoir.

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En 2015, âgée de seulement 26 ans, l’artiste multidisciplinaire Kubra Khademi réalisait une performance à Kaboul intitulée Armor. Elle se baladait dans les rues vêtue de son hijab et d’une armure bombée au niveau des seins et des fesses.

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Créée pour critiquer le harcèlement et les interdictions pesant sur le quotidien des Afghanes – dont le sien, depuis l’enfance – et prévue pour durer une vingtaine de minutes, la performance fut écourtée de moitié et Kubra Khademi dut se réfugier dans une voiture, à l’abri des regards et des insultes.

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Kubra Khademi. (© Céline Bouquet)

Ayant reçu de nombreuses menaces de mort à la suite de sa performance, l’artiste a été obligée de fuir son pays : “J’ai eu de la chance de rester en vie”, analyse-t-elle aujourd’hui. Affirmant que la France l’a “sauvée”, elle n’oublie pas pour autant son pays, loin de là, et continue de militer pour les droits de ses compatriotes, notamment femmes, dans les rues et à travers son art. Régulièrement exposée à travers le monde, elle présente actuellement son travail dans le cadre de l’exposition collection “Habibi, les révolutions de l’amour” visible à l’Institut du monde arabe.

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Lorsqu’elle se présente, l’artiste souligne toujours préciser d’où elle vient : “Parce que ça façonne vraiment mon travail de façon générale.” Bien que ses dessins mettent en scène des femmes nues, Kubra Kademi réfute l’appellation de “nus” lorsqu’elle les décrit.

“Je ne peux empêcher les gens de nommer ce qu’ils voient, et ils voient des nus ; mais pour moi, il ne s’agit que de corps. Des corps avec leur identité pure. Personne n’oblige mes personnages à porter quoi que ce soit. Ils n’ont pas à porter quoi que ce soit pour être identifiés.

Les femmes que je dessine sont elles-mêmes. Des femmes avec leur identité propre. C’est ce qui est important pour moi. Je les appelle ‘les corps’. Ces corps sont dévêtus simplement parce que, si je les habillais, ils deviendraient ‘quelqu’un’ plutôt que simplement eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin de porter quoi que ce soit ou d’être identifiés. En Afghanistan, on voit les habits différemment qu’en Europe. 

J’ai toujours dessiné des corps de cette façon. Déjà enfant, je dessinais des corps de femmes et j’étais punie pour ça, ma mère me battait – même si je ne les dessinais pas nues parce que j’étais à l’école. Aujourd’hui, j’essaie de garder la même façon de dessiner que quand j’étais enfant. Je vois les mêmes formes, les mêmes lignes. Tout est très similaire. Certaines personnes trouvent que mes dessins sont enfantins et c’est une idée qui me plaît beaucoup”, nous déclare Kubra Khademi.

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Kubra Khademi, در قلمرو – In the Realm. Tirée de la série ”حکایت های کتاب دو ورقی – From the Two Page Book”. (© Kubra Khademi/Production à la Fondation Fiminco)

“Le dessin m’appelait, sûrement parce qu’il permet beaucoup de liberté.”

Ces ponts dressés avec son enfance et son pays sont primordiaux pour Kubra Khademi, qui affirme avoir “toujours été artiste” :

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“D’aussi loin que je me souvienne, j’étais une artiste. Je faisais du dessin, des performances, même si quand j’étais petite et je ne savais même pas que c’était de l’art. C’est venu avec beaucoup de naïveté, le dessin m’appelait, sûrement parce qu’il permet beaucoup de liberté. En dessinant, je peux ne pas mettre de vêtements, refuser les appellations, les identifications et laisser libre cours à l’identité pure.”

Kubra Khademi, Sans titre #12, 2020. Tirée de la série ”Ordinary Women”. (© Kubra Khademi)

L’artiste insiste sur l’accessibilité de son travail, “pas conceptuel”, “facile à comprendre” et “qui vient de la culture populaire afghane”. “Il traite de mes propres expériences de vie, de mon histoire. Ce n’est pas une archive historique datant d’une autre époque. Ça parle d’aujourd’hui, de maintenant. C’est tangible et universel, à destination du monde – et c’est ça le pouvoir de l’art, parler à tout le monde. C’est mon histoire personnelle et ma culture, tout en étant très accessible”, nous exprime-t-elle.

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Porter la voix des Afghanes depuis l’étranger

L’artiste reste très au fait des actualités de son pays. En juillet 2021, voyant la progression des talibans sur le territoire et leur communication sur les réseaux sociaux, elle sent “la peur monter” et écrit une lettre ouverte avertissant des dangers encourus par les femmes et les enfants concernant l’esclavage sexuel. 

“Je voyais que [les talibans] voulaient obliger les maires de chaque ville à soumettre la liste des habitantes âgées de 12 à 45 ans. Ils recrutent des soldats venus du Pakistan et leur promettent des ‘épouses’. Ils les appellent des ‘épouses’, mais ce sont des esclaves. C’est une façon de grossir leurs troupes. J’ai vite compris que c’est ce qu’ils allaient faire, j’avais très peur”, nous raconte-t-elle.

Kubra Khademi a envoyé sa lettre à “de nombreux médias français”, sans recevoir aucune réponse. Après un mois de silence, elle décide de publier sa lettre sur son compte Instagram. Après le 15 août 2021 et la prise des talibans, de “gros médias internationaux” la contactent pour enfin parler de la situation, alors qu’elle avait lancé l’alerte depuis déjà de longs jours.

“J’étais furieuse”, confie l’artiste, “c’est inhumain, c’est une honte pour la communauté internationale d’avoir ainsi laissé tomber les femmes afghanes. Une fois encore, ce sont les femmes qui payent le prix de ces guerres. C’est si injuste, cruel et tragique. C’est catastrophique de voir ce qui se passe”.

© Kubra Khademi

“Les filles d’aujourd’hui ont une soif extrême de paix, pour imaginer une vie libre et égale.”

Kubra Khademi place beaucoup d’espoir dans sa génération, “une génération qui a beaucoup de rêves et qui affirme ce qu’elle veut faire”, et ce malgré une situation “désespérante” et le fait que “les femmes et les enfants sont toujours celles et ceux qui payent le prix le plus fort, sans pour autant jouer aucun rôle dans les multiples guerres subies”.

Pour l’artiste, cette résilience vient du combat mené par les Afghanes depuis une cinquantaine d’années, en tension constante entre ouverture des possibilités et mentalités étriquées :

“Après 2001 en Afghanistan, il était redevenu imaginable pour les femmes d’aller à l’école, au travail. Les possibilités des années 1960 étaient de retour et ça a rempli les jeunes filles de beaucoup d’énergie, d’espoir et d’ambition pour réaliser des choses et rêver à leur réussite. Après 2001, un nouveau chapitre s’ouvrait pour les femmes, de nouvelles possibilités apparaissaient.

Cependant, il ne faut pas oublier que même si les écoles avaient rouvert, à l’intérieur des foyers, c’était une autre histoire. La culture patriarcale était toujours complètement préservée et, même si les universités étaient ouvertes, les mentalités demeuraient toujours aussi fermées. Mais on pouvait se permettre de rêver de grandes choses. 

Ces vingt dernières années, je suis sûre que des millions de filles voulaient devenir présidentes de l’Afghanistan. On a produit beaucoup de femmes fortes parce qu’on n’avait rien facilement, il fallait qu’on se batte, et ça ne s’oublie pas, ça aura forcément des conséquences. Les filles d’aujourd’hui ont une soif extrême de paix, pour imaginer une vie libre et égale. Après 2001, beaucoup de travail a été fait.”

© Kubra Khademi

“Ces femmes sont des résistantes et c’est ça, l’espoir.”

Les manifestations de femmes contre le régime des talibans donnent raison à Kubra Khademi : “La façon dont ces femmes manifestent devant des terroristes armés jusqu’aux dents de fusils et de bombes, c’est ça l’espoir. Elles leur font face et leur demandent – à eux et au monde – le droit le plus fondamental à l’éducation. Ce sont des résistantes et c’est ça, l’espoir. Ces femmes sont tellement fortes, elles n’ont rien à perdre, elles n’ont rien à voir avec les femmes des années 1990 qui ont accepté de rentrer à la maison. Il y a de l’espoir.”

“Être silencieux, être indifférent, c’est être l’allié des talibans. On doit forcer nos gouvernements à ne pas oublier les femmes afghanes.”

Kubra Khademi, Sans titre #13, 2020. Tirée de la série ”Ordinary Women”. (© Kubra Khademi)

Et si les Afghanes osent manifester dans leur pays, Kubra Khademi insiste sur la nécessité de continuer à porter leur voix depuis l’étranger : “Être silencieux, être indifférent, c’est être l’allié des talibans. On doit forcer nos gouvernements à ne pas oublier les femmes afghanes.” 

“En ce moment, les médias parlent beaucoup des femmes afghanes mais au bout d’un moment, ça se tarit, ça devient la normalité. Ça ne doit pas arriver, tout le monde devrait hausser sa voix et refuser ce terrorisme qu’on laisse vivre en Afghanistan, parce que l’Afghanistan, ce n’est pas ça”, conclut-elle.

Kubra Khademi, خط مقدم – Première Ligne. Tirée de la série ”حکایت های کتاب دو ورقی – From the Two Page Book”. (© Kubra Khademi/Production à la Fondation Fiminco)
Kubra Khademi, حکایت های کتاب دو ورقی – The Two Page Book”. (© Kubra Khademi/Production à la Fondation Fiminco)
© Kubra Khademi

Vous pouvez retrouver le travail de Kubra Khademi sur son compte Instagram

L’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour” est à voir à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 19 février 2023. Les événements organisés par Jins sont gratuits.

Konbini arts, partenaire de l’Institut du monde arabe, Paris.