Apparu à la faveur d’un hoax, le terme de “selfite”, qui désigne l’addiction au selfie, fait l’objet d’une première étude avec une échelle d’évaluation des symptômes.
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En 2014, le site d’information satirique américain Snopes faisait marrer tout le monde en publiant un article qui expliquait très sérieusement que l’American Psychiatric Association, l’organe de classification des maladies mentales de référence dans le monde, avait inclus la “selfite” (“selfitis”, en VO), soit l’addiction au selfie, dans son grand catalogue des troubles mentaux.
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À l’époque ou la presse généraliste découvrait encore avec des yeux effarés la démocratisation du narcissisme en ligne, la blague était particulièrement bien trouvée. Sauf que nous sommes désormais en 2017, que l’histoire récente nous a prouvé que la réalité était malheureusement conforme aux prévisions futuristes les plus absurdes, et la “selfite” vient de s’inviter, pour de vrai, dans le grand corpus de la psychiatrie.
Le 29 novembre, l’International Journal of Mental Health and Addiction publiait les travaux de deux chercheurs, Janarthanan Balakrishnan et Mark D. Griffiths, qui se sont intéressés aux comportements addictifs liés à la prise de photographies en autoportrait. Conclusion : selon les deux chercheurs, la “selfite” est bel et bien un trouble mental qui peut être identifié… et même quantifié, puisque l’étude propose également la première “échelle d’évaluation de la selfite”, afin que chacun puisse s’autodiagnostiquer et déterminer la gravité des symptômes.
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Trois niveaux de selfite, vingt critères d’évaluation
Après avoir interrogé près de 400 participants, tous indiens – l’Inde est le pays qui possède le plus d’utilisateurs Facebook au monde, ainsi que le record du nombre de morts (76) intervenues dans le cadre de selfies –, les deux chercheurs ont défini trois niveaux de gravité de la selfite : la borderline, pour des gens qui prennent au moins trois autoportraits par jour mais ne les publient pas sur les réseaux sociaux ; l’aiguë, lorsque les selfies finissent sur Internet, et la chronique, qui se traduit par un besoin irrépressible de se photographier toute la journée, en postant au moins six portraits par jour.
Quant à la grille d’évaluation, elle se compose de vingt phrases, à noter de 1 à 5, sachant que 5 signifie que vous êtes tout à fait d’accord et 1 que vous estimez que la phrase ne vous concerne pas. Plus votre score est élevé, plus vos chances d’être atteint de selfite augmentent. Sachez que selon les résultats des chercheurs, 40 % des sondés étaient classés en “aiguë”, 34 % en “borderline” et 25 % en “chronique”. C’est parti :
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- Prendre des selfies me donne une impression agréable de mieux profiter de mon environnement.
- Partager mes selfies crée un sentiment de compétition saine avec mes amis et collègues.
- J’attire énormément d’attention en partageant mes selfies sur les réseaux sociaux.
- Prendre des selfies me permet de réduire mes niveaux de stress.
- Je me sens en confiance quand je prends un selfie.
- Mes groupes sociaux m’acceptent plus quand je prends des selfies et que je les partage sur les réseaux sociaux.
- Je m’exprime mieux dans mon environnement à travers le selfie.
- Prendre différentes poses de selfie augmente mon statut social.
- Je me sens plus populaire quand je poste mes selfies sur les réseaux sociaux.
- Prendre plus de selfies améliore mon humeur et me fait me sentir heureux.
- Je deviens plus positif·ve à mon sujet lorsque je prends des selfies.
- À travers mes posts de selfies, je deviens un membre important de mon groupe social.
- Prendre des selfies permet de garder de meilleurs souvenirs du moment et de l’expérience.
- Je poste fréquemment des selfies pour avoir des “j’aime” et des commentaires sur les réseaux sociaux.
- En postant des selfies, j’attends de mes amis qu’ils m’estiment.
- Prendre des selfies modifie instantanément mon humeur.
- Je prends des selfies supplémentaires et je les regarde en privé pour augmenter ma confiance en moi.
- Quand je ne prends pas de selfies, je me sens détaché de mon groupe social.
- Je prends des selfies comme des trophées pour de futurs souvenirs.
- J’utilise des outils de retouche pour améliorer mes selfies et apparaître plus beau ou belle que les autres.
Une première étude, mais pas de classification
Plus loin dans l’étude, les deux chercheurs n’évitent pas l’écueil de la tautologie et affirmant que “ceux atteints du syndrome souffrent d’un manque de confiance en soi et cherchent à ‘rentrer dans le moule’ de ceux qui les entourent, ce qui peut les pousser à exhiber des symptômes similaires à d’autres comportements potentiellement addictifs”, ce qui semble évident à tout psychologue de comptoir. Néanmoins, s’il convient de traiter cette étude avec la distance qu’elle mérite en n’oubliant pas certaines faiblesses que les chercheurs eux-mêmes reconnaissent – notamment le fait de s’appuyer sur l’autoévaluation des sujets –, elle reste néanmoins la première à s’intéresser au selfie en tant que comportement addictif (si l’on fait exception d’une étude étrangement similaire publiée en Inde en 2014). Ce qui ne suffit pas (encore) à faire de la selfite un trouble reconnu par la profession.
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En effet, les choses ne sont pas si simples, comme le rappelle Insider : pour qu’une pratique soit officiellement reconnue comme un trouble mental, il faut qu’elle apparaisse dans un ouvrage de référence, notamment le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) de l’Association américaine de psychiatrie. D’autre part, il est extrêmement difficile de différencier une pratique excessive d’un comportement addictif, et la différence ne saurait se faire qu’en formant un important corpus d’études validées par peer-review. Autrement dit, le traitement pour la selfite n’est pas près d’être remboursé par la Sécu. Ce qui ne vous empêche pas de vous interroger sur votre consommation d’autoportraits, tas de Narcisse.