Sameer, Omar ou Anas sortaient tout juste de l’adolescence quand la guerre est venue tout anéantir en Syrie. Assiégés dans des villes inaccessibles aux journalistes étranger·ère·s, ils sont vite devenus, grâce à leurs photos, ces “yeux” essentiels sur les atrocités dans leur pays. Comme eux, des dizaines de Syrien·ne·s que rien ne prédestinait au photojournalisme travaillent aujourd’hui pour les grandes agences de presse internationales.
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“Au début de la révolution en 2011, mes grands frères postaient sur les réseaux sociaux des photos de manifestations antirégime prises avec leur téléphone portable. Et, très vite, je m’y suis mis aussi”, raconte Sameer Al-Doumy, seul représentant à Perpignan des seize photographes syrien·ne·s auxquel·le·s le festival de photojournalisme Visa pour l’image consacre une exposition jusqu’au 26 septembre 2021.
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Dans sa ville de Douma, fief rebelle près de Damas assiégé par les troupes de Bachar Al-Assad dès 2013, le jeune homme est obligé d’abandonner son projet de devenir dentiste. Dès lors, il n’a plus qu’une obsession : documenter tout ce qu’il s’y passe, des bombardements à l’intimité des habitant·e·s dans les abris.
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À cette époque, “il est devenu évident que ce n’était plus du tout raisonnable d’envoyer en Syrie des journalistes étrangers, cibles privilégiées d’enlèvements ou de meurtres”, explique le rédacteur en chef photo de l’AFP Stéphane Arnaud. L’AFP organise alors en Turquie un atelier de formation regroupant une quinzaine de “journalistes citoyens”, “afin de leur apprendre les bases du photojournalisme, et leur transmettre les attentes et la charte de l’agence”, poursuit-il.
Une dizaine de jeunes se professionnalisent et deviennent ainsi des collaborateur·rice·s régulier·ère·s de l’agence. “Ils étaient essentiels pour continuer à assurer une couverture équilibrée aussi bien dans les zones pro-gouvernementales que rebelles”, indique M. Arnaud.
“La vie, ou plutôt la guerre, a bouleversé mes plans”
Anas Alkharboutli, qui avait tout juste 20 ans quand la guerre a éclaté, a été contacté par l’agence de presse allemande DPA. “Je faisais des études pour devenir ingénieur. Mais la vie, ou plutôt la guerre, a bouleversé mes plans”, confie au téléphone ce photographe basé dans la province syrienne d’Idleb qui échappe au régime.
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Sur une de ses photos exposées à Perpignan, on voit deux femmes entourées d’enfants dans un abri en ruines, penchées sur une casserole. “C’était pendant le siège de la Ghouta orientale [près de Damas] et ces mères de famille faisaient cuire des herbes pour apaiser la faim des enfants”, se souvient Anas.
Sur une autre photo, Sameer Al-Doumy immortalise Oum Mohammad, une sexagénaire buvant le café dans son appartement éventré par un bombardement. “C’est une femme extraordinaire. Elle-même blessée, elle s’occupait de son mari paralysé, se démenait pour trouver de l’eau, de la nourriture, et le soir prenait des cours pour apprendre à lire et à écrire”, raconte, encore ému, Sameer. Le jeune homme dit être beaucoup plus fier de “ces photos d’habitants ordinaires survivant dignement à des atrocités que de [ses] clichés plus ‘sensationnels'”.
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“Rêves les plus fous”
C’est pourtant grâce à une série de photos montrant des personnes sauvées in extremis des décombres que Sameer Al-Doumy, aujourd’hui réfugié en France et collaborateur de l’AFP, a été récompensé par un World Press Photo en 2016.
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Ces succès “sont la preuve que tous ces jeunes méritaient qu’on s’y attarde, qu’on leur fasse confiance”, témoigne Hasan Mroué, l’un des responsables photo pour la région Moyen-Orient/Afrique du Nord de l’AFP. “On peut parfois penser qu’un journaliste étranger traitera un sujet avec plus d”objectivité’, mais quand un local raconte les souffrances de ses concitoyens, c’est une façon importante de montrer les choses”, selon lui.
Omar Haj Kadour, un photographe resté à Idleb, est fier d’avoir réalisé plusieurs de ses rêves “les plus fous : devenir photojournaliste, remporter un prix international [le Grand prix Varenne JRI en 2018, ndlr] et être exposé à Visa pour l’image”. “Il m’en reste un : voir moi-même mes photos exposées à l’étranger”, ajoute-t-il, avouant se sentir parfois “emprisonné dans son pays”.
Mais le photographe s’est fait une promesse quand la guerre a commencé : “Le monde doit connaître les tragédies qui se jouent à huis clos ici. Et tant que la guerre n’est pas terminée, mon devoir est de témoigner jusqu’au bout.” Cette guerre qui, entrée dans sa onzième année, a fait près de 400 000 mort·e·s et poussé à l’exil des millions de Syrien·ne·s, selon l’ONU.
Les 25 expositions du festival Visa pour l’image 2021 sont gratuites et ouvertes au public jusqu’au 26 septembre 2021.
Avec AFP.