Et dire qu’en 2012, Kodak, n’arrivant pas à suivre la vague de la photographie numérique, déposait le bilan. Grâce au regain de popularité que connaît la photo argentique depuis une dizaine d’années, l’entreprise a remonté la pente – jusqu’à finir noyée sous les demandes de pellicules.
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Mais la firme aurait pu s’épargner ces aléas et frayeurs économiques en faisant davantage confiance à l’un de ses ingénieurs : un certain Steven Sasson, recruté par Kodak en 1973. Spécialisé dans l’ingénierie électrotechnique, l’homme – alors âgé de 23 ans – se penche sur le sujet des capteurs photographiques CCD (ou “Charge-Coupled Device”), des capteurs basés sur un dispositif à transfert de charges qui participeront à révolutionner le game.
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C’est une première pour Kodak, qui travaille alors plutôt avec des ingénieur·e·s mécaniques “étant donné que les appareils étaient à l’époque mécaniques”, précise PetaPixel. Passionné par ce défi, et peut-être inspiré par le brevet déposé par Texas Instruments en 1972 pour un appareil sans pellicule, Steve Sasson planche deux ans durant sur le premier prototype des appareils numériques que nous connaissons aujourd’hui.
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Un projet de longue haleine…
Son appareil est créé à partir d’éléments disparates – notamment un objectif “volé dans la poubelle de pièces usagées […] de caméras de cinéma”, un obturateur électronique et un filtre bloquant les lumières infrarouges. En décembre 1975, Steve Sasson présente son mastodonte de prototype. “La réaction du management de Kodak était un mélange de curiosité et de scepticisme, ils n’avaient pas l’air de trouver que c’était une invention majeure”, se remémore-t-il auprès de PetaPixel.
La frilosité de Kodak viendrait de leur peur du changement, selon l’ingénieur : “Le business model de l’entreprise était basé sur l’usage du photosensible. Mettre ça de côté n’était pas une idée très populaire.” “Aussi gros qu’un grille-pain” et pesant 3,4 kilogrammes, l’appareil avait une “drôle d’allure”, concède le concepteur.
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Mais il fonctionne et capte des images de 100×100 pixels en noir et blanc, affichées sur un écran de télévision en moins d’une minute. La première image prise à l’aide de ce premier appareil numérique est le portrait d’une collègue de Steve Sasson, une technicienne nommée Joy Marshall. Son visage est “méconnaissable” sur la photo. “Ça a encore besoin de travail”, aurait-elle soufflé devant le résultat.
… malgré les incompréhensions
De façon générale, Steve Sasson se souvient que personne ne s’intéressait vraiment à la façon dont son invention fonctionnait. Les équipes interrogeaient davantage le bien-fondé d’une telle idée et se demandaient pourquoi quiconque voudrait se mettre à une telle pratique quand “il n’y avait aucun problème avec la photo conventionnelle”.
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L’ingénieur ne lâche pourtant pas le morceau. Malgré l’incompréhension de ses supérieur·e·s, il continue de travailler à son projet de “photographie sans pellicule” qui sera orienté vers les secteurs militaires et scientifiques plutôt que vers les particulier·ère·s. Il faudra attendre les années 1990 pour que les appareils numériques arrivent sur le marché global. À ce moment, FujiFilm, Nikon et Canon ont déjà rejoint la course.
Un ancêtre bien vivant
L’histoire n’a cependant pas oublié Steve Sasson et, en 2009, le président Barack Obama a honoré l’ingénieur de la National Medal of Technology and Innovation, une distinction décernée aux plus grand·e·s innovateur·rice·s des États-Unis.
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L’ingénieur confie avoir toujours conservé son premier prototype. Vieux de près d’un demi-siècle, cet objet est l’ancêtre de 4 kilogrammes des appareils photo qui nous accompagnent désormais partout, et qui doivent une fière chandelle à Steve Sasson.