Les six grandes tapisseries de La Dame à la licorne ont quitté exceptionnellement l’écrin du musée de Cluny pour Toulouse, où ce chef-d’œuvre médiéval est mis en regard avec des réalisations modernes comme Le Minotaure de Picasso.
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“Le déplacement des tapisseries de La Dame à la licorne est rarissime […] et c’est la première fois que ces tapisseries de la fin du Moyen Âge sont montrées dans un musée d’art contemporain”, se réjouit Annabelle Ténèze, directrice générale des Abattoirs, où se tient cette exposition doublement “exceptionnelle” jusqu’au 16 janvier 2022.
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La Dame à la licorne ne s’est montrée hors de Paris qu’à New York en 1973, puis au Japon en 2013 et à Sydney en 2018, lors d’une fermeture du musée de Cluny pour travaux, comme actuellement. À l’abri de la lumière naturelle, dans les vastes salles du sous-sol des Abattoirs, des expert·e·s ont précautionneusement déballé puis accroché ces œuvres tissées de laine et de soie, hautes de plus de trois mètres pour 2,9 à 4,7 mètres de large, pesant de quinze à vingt kilogrammes.
“Ce sont des tapisseries de grandes dimensions. C’est toujours un peu technique” de les fixer au mur avec de longues bandes Velcro depuis des échafaudages sur roulettes, a précisé à l’AFP Béatrice de Chancel-Bardelot, conservatrice générale au musée parisien de Cluny.
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La Joconde médiévale
Des restauratrices textiles ont été consultées “pour ne pas trop tirer sur les trames et préserver au maximum ces vieilles dames de 500 ans”, ajoute la conservatrice, inspectant les pièces qui, par sécurité, ont voyagé en grand secret dans six camions différents.
Découverte en 1841 au château de Boussac, dans la Creuse, par l’écrivaine George Sand et Prosper Mérimée, alors inspecteur des monuments historiques, cette tenture considérée comme La Joconde du Moyen Âge a été tissée autour de 1500 pour une famille lyonnaise, les Le Viste.
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“C’est un rêve […] une ode à la beauté !”, s’émerveille Victor Guezennec, poète de 27 ans, assis dans le public pour contempler cette “œuvre éternelle”, dont les commanditaires ont été identifiés après son acquisition par Cluny en 1882.
Elle est composée de “six tapisseries à fond rouge avec des dames très élégantes, dont on ne sait si elles sont toujours la même ou si ce sont six personnes différentes”, ajoute Mme de Chancel-Bardelot. Dans une abondance de motifs naturalistes de fleurs, feuillages et animaux, elles évoquent les cinq sens, hormis la dernière, intitulée Mon seul désir, dont la symbolique donne encore matière à interprétation.
“C’est une œuvre inépuisable qui conserve beaucoup de questions”, et dont les thématiques de la nature et de la force du féminin sont d’une criante actualité, souligne la conservatrice. Pour de nombreux·ses artistes d’aujourd’hui, le Moyen Âge est “une source d’inspiration”, ajoute Mme Ténèze, notant leur intérêt pour “le féminisme, la dimension écologique” d’une époque médiévale “émancipatrice”. Cluny et les Abattoirs ont donc voulu montrer cette résonance avec notre temps, en exposant La Dame parmi des œuvres modernes.
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Une symbolique actuelle
Ainsi, la finesse de Mon seul désir est en regard de la force de La Dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin, rideau de théâtre réalisé en 1936 par Pablo Picasso pour Le 14 juillet de Romain Rolland et qui appartient à la collection des Abattoirs.
De salle en salle, d’autres artistes se sont approprié les thématiques de La Dame, telle Rebecca Horn et ses êtres hybrides mi-femme mi-licorne ; Suzanne Husky qui remplace l’animal de légende par un bulldozer destructeur de forêts ; Will Cotton et son cow-boy pop chevauchant une licorne rose ; ou le Southway Studio dont l’installation collective puise à la source des mythes.
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“Les voir dans ce contexte moderne, c’est très intéressant, c’est une autre émotion”, estime Françoise Sarradet, institutrice en retraite de 77 ans, qui aimait visiter la Dame à Cluny et voit un “éclaircissement fabuleux” dans ce “chassé-croisé”. Cette exposition à Toulouse s’inscrit dans l’histoire et l’actualité aussi par le fait que la tenture y avait été cachée, au couvent des Jacobins, pendant la Première Guerre mondiale avec d’autres possessions de Cluny et du Louvre.
Et “avec la pandémie, les déplacements d’œuvres à l’étranger restent très compliqués […] nous avons préféré la faire voyager en France”, précise Mme de Chancel-Bardelot. En outre, Cluny rouvrira début 2022 avec une exposition sur Toulouse au XIVe siècle.
Avec AFP.