“Je n’arrive plus à respirer” : tels étaient les derniers mots d’Adama Traoré, un jeune homme de 24 ans décédé à la gendarmerie de Persan, le 19 juillet 2016, après son interpellation à Beaumont-sur-Oise. Si l’affaire a été, cette même année, très médiatisée sur le plan national et international, elle n’a pas pour autant trouvé d’issue, malgré la persévérance de la famille Traoré face à un système judiciaire verrouillé.
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Après plusieurs résultats d’autopsies contradictoires effectuées les années suivant le décès de cet enfant de la République, la justice ordonne, le 10 avril 2019, une nouvelle audition de deux témoins importants ainsi qu’une nouvelle et troisième autopsie – refusée à la famille en 2017, qui a dû faire appel à des contre-expertises médicales pour poursuivre le combat.
Cette bavure policière et cette injustice sociale font aujourd’hui partie du combat d’Assa Traoré, sœur du défunt, âgée de 34 ans, déterminée et accompagnée de sa famille. Ensemble, ils n’ont jamais flanché devant le système judiciaire. Ce 20 juillet dernier sonnait le troisième anniversaire de la mort d’Adama Traoré mais aussi le jour de ses 27 ans s’il n’était pas mort sous le poids des gendarmes de la ville de Persan.
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Pas moins de 5 000 personnes étaient réunies (selon les organisateur·rice·s de “Vérité et justice pour Adama”, 1 500 selon la gendarmerie locale) pour manifester de la gare de Beaumont-sur-Oise jusqu’au quartier de Boyenval.
“C’est à nous, jeunes issus des quartiers populaires, c’est à nous de dénoncer ce qui se passe dans nos quartiers”
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Parmi les manifestant·e·s se trouvaient certaines grandes figures des gilets jaunes et leur comité de mutilé·e·s, le comité des sans-papiers, ainsi que des familles d’autres victimes de bavures policières qui ont partagé des témoignages touchants, dont les affaires se sont soldées pour la plupart par des non-lieux :
- Mamadou Camara, frère de Gaye Camara, âgé de 26 ans et tué par un policier d’une balle dans la tête, à Épinay-sur-Seine, le 17 janvier 2017 ;
- Aramata Dieng, sœur de Lamine Dieng, mort à 25 ans, le 17 juin 2007 dans un fourgon de police après son interpellation à Belleville ;
- La maman de Selom, 20 ans, qui a été emporté par un train, le 15 décembre 2017 à Lille, avec son ami Matisse (17 ans), alors qu’ils se trouvaient sur les rails en essayant d’échapper aux policiers qui les poursuivaient ;
- Et Aurélie Garand, sœur d’Angelo Garand, décédé à 37 ans le 30 mars 2017, à Seur dans le Loir-et-Cher, sous les coups de feu de deux gendarmes, avec cinq balles logées dans le thorax.
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Des victimes de violences policières, fruits de l’inégalité raciale et sociale en France, qui n’ont pas cessé depuis Zyed Benna et Bouna Traoré, 14 ans plus tôt, le 27 octobre 2005, et Malik Oussekine, le 5 décembre 1986, 33 ans plus tôt.
“Le comité de ‘Vérité et justice pour Adama Traoré’ a prouvé au monde entier que la France est un pays corrompu. Il faut le dire : la justice française est corrompue, les juges sont corrompus, les médecins légistes sont corrompus. […] C’est à nous, jeunes issus des quartiers populaires, c’est à nous de dénoncer ce qui se passe dans nos quartiers, c’est à nous de prendre la parole, c’est à nous de [nous] battre et de dire stop à cette violence policière. C’est à nous de faire en sorte que les choses changent, on n’est pas là par hasard.
C’est la France qui a décidé de lier son histoire à la nôtre, ce n’est pas nous qui sommes partis chercher l’histoire de la France. […] C’est la France qui a ‘esclavagisé’ pendant 14 ans l’Afrique, c’est la France qui a fait un système néo-colonialiste pendant 100 ans”, clame Mamadou Camara dans une vidéo relayée par Maja-Ajmia Yde Zlm sur IGTV.
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Suite au discours de Mamadou Camara, Aramata Dieng est montée sur scène pour raconter l’histoire de son frère : “Cela ne mettra pas un terme aux violences policières, parce que c’est l’acharnement des policiers, le racisme de l’État français et de sa police qui conduisent à la mort de nos frères et sœurs […] mais cela peut déjà limiter le nombre de victimes.”
Des images importantes prises par Bichara
La demande d’un procès est scandée, un procès contre les trois gendarmes impliqués dans l’affaire qui, jusqu’alors, remportent le simple “statut de témoin assisté pour des faits de non-assistance à personne en péril”. Assa Traoré a livré un discours sur une petite scène, dans une assemblée solennelle.
Une minute de silence a été observée dans l’émotion, après ses derniers mots. Elle raconte que son frère est mort seul, dans la froideur de cette gendarmerie, sans que sa famille soit prévenue, sans avoir une chance d’être sauvé.
Après la victoire de l’Algérie célébrée sur les Champs-Élysées deux jours plus tôt, le photographe Bichara s’est rendu à la manifestation afin de documenter ce moment “émouvant”, “puissant” et “anéantissant” pour la famille Traoré, mais aussi pour tous les défenseur·se·s de la justice. Bichara nous a confié :
“Plusieurs bus étaient affrétés, venant de Paris ou de d’autres quartiers, pour se rendre à la manifestation. Il y avait un petit comité d’accueil de policiers, apparemment c’est chose normale pour ficher les gens qui viennent en manifestation, mais au lieu de le faire dans le bus comme d’habitude, ils ont fait descendre tout le monde, un à un. Tout a été fait en une demi-heure dans le calme et la bonne humeur mais on avait peur de ne pas arriver à temps à la marche. […]”
Il poursuit :
“Ce que je retiens de cette marche, c’est que je n’ai jamais vu une marche aussi diversifiée dans le public, les gens étaient très calmes, il n’y avait aucune euphorie, et beaucoup de jeunes. Son discours final était poignant et nécessaire. Ce qui m’a marqué chez Assa, c’était à quel point elle remerciait les gens du quartier, la famille et les amis d’Adama, en disant que tout cela, c’était grâce à eux. Elle ne veut aucun mérite et j’ai trouvé ça humble et beau.”
Les images parlent ensuite d’elles-mêmes. Que justice soit faite.
Vous pouvez suivre le travail de Bichara sur Instagram.