La douzaine de réfugié·e·s afghan·e·s réuni·e·s, crayons en main, dans ce petit atelier au Tadjikistan, commettent un acte qui les exposerait à des représailles dans leur pays contrôlé par les talibans : dessiner. Ayant fui en janvier 2021 l’Afghanistan pour le Tadjikistan voisin, Omar Khamosh, un artiste de rue, a posé ses valises à Vahdat, près de la capitale Douchanbé, pour y ouvrir son studio où il enseigne la peinture et le dessin.
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“Mes amis et tous ceux qui dessinaient ou étaient artistes, plus aucun d’entre eux ne travaille” en Afghanistan, du fait de l’emprise sur le pays des talibans et de leur idéologie islamiste rigoriste, soupire M. Khamosh. “Les frontières sont fermées. Ils ne peuvent pas s’enfuir. Ils restent chez eux sans pouvoir travailler. Ils se cachent, car ils ont peur pour leur vie”, dit-il à l’AFP.
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Pressentant le pire, M. Khamosh avait quitté l’Afghanistan avant le retour des talibans au pouvoir en août 2021, au terme d’une offensive éclair qui a vu le gouvernement soutenu par les États-Unis s’effondrer comme un château de cartes. Après avoir conquis Kaboul, les nouvelles autorités ont entrepris d’effacer peintures murales, graffitis et autres représentations artistiques réprouvées par leur idéologie.
Par contraste, le petit atelier de M. Khamosh a des allures de paradis d’artistes. Au pied du mur, recouvert de graffitis, reposent des pierres peinturlurées. Sur l’une a été dessiné un sourire. Une autre tire la langue. À l’intérieur, l’atmosphère est à la fois chaleureuse et nostalgique. Au mur, une peinture représente le drapeau de l’Afghanistan sous la forme d’une pupille dans un œil gonflé de larmes.
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Penché·e·s sur leur feuille, les étudiant·e·s de M. Khamosh s’appliquent à dessiner portraits et paysages évoquant ce pays souvent quitté sous la contrainte. “À Kaboul, nos vies étaient en danger. Personne n’avait envie de partir de chez soi, de tout abandonner et venir ici”, déclare Sapan Nazari, ajustant d’une main l’élégant voile sombre qui recouvre la moitié de ses cheveux.
Dessiner, c’est tout
“L’avenir… Qu’y a-t-il à en dire ? Je veux apprendre à bien dessiner. C’est tout, pour l’instant”, ajoute la jeune femme de 19 ans. Le Tadjikistan est l’un des trois pays de l’ex-Union soviétique à partager une frontière avec l’Afghanistan. Mais il est le seul à refuser des contacts directs avec les talibans, et se pose en ardent défenseur de l’importante minorité tadjike d’Afghanistan.
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Pays le plus pauvre de l’ex-URSS, il se garde toutefois d’ouvrir ses frontières à un grand nombre de réfugié·e·s. M. Khamosh faisait partie de la vibrionnante scène des artistes de rue à Kaboul, qui s’est développée après la chute d’un premier régime taliban en 2001. Il a fui après le meurtre de son père par des hommes armés, qu’il impute à des religieux conservateurs. “Je suis allé au Tadjikistan parce que je n’avais nulle part d’autre où aller”, dit-il.
Dans l’espace artistique qu’il a ouvert il y a trois mois, les regrets et les espoirs des exilé·e·s s’affichent sur les murs. Un dessin représente un combat entre un cheval blanc et un cheval noir, métaphore de la lutte entre les multiples identités de l’Afghanistan, pays traversé par les failles culturelles, linguistiques, religieuses et ethniques.
Un jeune homme croque le portrait du commandant Ahmad Shah Massoud, héros de la lutte contre les talibans, assassiné en 2001. Sa voisine finalise son œuvre qui représente un arbre poussant sur un sol rocailleux : un message d’espoir ?
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Pour Oranos Nodiri, une femme âgée de 24 ans qui a fui l’Afghanistan avec son mari et leurs deux enfants, les efforts des talibans pour étouffer les arts sont voués à l’échec. “Les talibans ont recours à la violence parce que les gens ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’il y a vingt ans”, estime-t-elle. “Ils ne veulent pas revenir à cette vie-là.”
Avec AFP.