Emily Ratajkowski accuse un photographe de viol

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Tina Tyrell/New York Magazine

Les faits remonteraient à 2012. En 2016, Emily Ratajkowski avait alerté sur Jonathan Leder. Aujourd'hui, elle raconte son trauma.

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“J’ai résisté longtemps à parler publiquement […] mais j’en ai assez”, avait alerté, en 2016, Emily Ratajkowski. Dans un essai pour le New York Magazine, publié le 14 septembre 2020 et intitulé “Buying Myself Back: When does a model own her own image?”, la célèbre mannequin raconte le viol dont elle aurait été victime durant une séance photo de nus et de lingerie avec Jonathan Leder. Plus largement, dans cet article, elle questionne les droits des mannequins sur leur propre image, et le fait que leur corps devienne souvent la propriété d’hommes (photographes, artistes, agents, créateurs, galeristes…).

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L’agression remonterait à mai 2012 et aurait eu lieu dans le quartier californien de Woodstock, au domicile du photographe où la mannequin devait passer la nuit après son shooting : “C’était ce que l’industrie appelle un éditorial non payé, c’est-à-dire qu’il sortira dans un magazine et que mon salaire sera ‘la visibilité’.” Emily n’avait pas été prévenue qu’il s’agissait d’une séance dénudée, mais elle ne s’en est pas inquiétée, habituée dès son jeune âge à poser nue. “Mon corps était mon super-pouvoir.”

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Ratajkowski avoue avoir, avant le shooting, enquêté sur le photographe accusé, en consultant ses réseaux sociaux, mais rien de très évident n’en était ressorti : il avait travaillé avec Google – ce qui le rendait professionnel à ses yeux –, il bossait à l’argentique et postait des photos de chez lui, quelques portraits à l’esthétique rétro, dont une femme à la poitrine imposante qui avait attiré l’attention de la mannequin. En découvrant son large portfolio et par défi, la jeune modèle a voulu l’impressionner et lui montrer qu’elle se démarquait des autres femmes.

“Je me suis demandé où il gardait habituellement ses Polaroid. Étaient-ils tous méticuleusement étiquetés dans un classeur géant quelque part dans son grenier, les noms de jeunes femmes écrits à l’encre sur leur tiroir assigné ? L’image d’une morgue me vint à l’esprit.”

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La rencontre et sa première impression

Sa première impression lorsque Leder est venu la chercher en voiture à la gare routière ? “Il ressemblait à un artiste nerveux et névrosé. Il était très différent des autres photographes de mode que j’avais rencontrés jusque-là, des hommes qui avaient tendance à être des gros cons typiques de Los Angeles, avec des mèches éclaircies stratégiquement dans leurs cheveux et qui sentaient l’eau de Cologne.” Puis, le chemin jusqu’à sa maison se fait dans le silence :

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“Jonathan ne m’a pas regardée directement, mais je me souviens m’être sentie observée, consciente de notre proximité, de mon corps, et de la façon dont il pouvait me percevoir depuis son siège conducteur. Plus il semblait désintéressé, plus je voulais me montrer digne de son attention.

Je savais qu’impressionner ces photographes était un élément important pour se bâtir une bonne réputation. Pense-t-il que je suis intelligente ? Et plus particulièrement, jolie ? J’ai pensé à toutes les autres jeunes mannequins qui avaient dû débarquer dans cette gare routière de Catskills et s’asseoir dans cette voiture.”

Une fois arrivée, elle tombe sur les deux enfants du photographe, assis à une table. Elle s’inquiète de l’heure qui passe :

“Je me tenais maladroitement à la porte dans mon short court et me sentais étrangement très jeune – même pas féminine, comme si j’étais une enfant. J’ai remarqué l’heure sur une horloge accrochée au mur : comment allons-nous terminer la séance photo aujourd’hui s’il fait noir dans une heure et demie ? Peut-être que nous le shooterons très tôt demain, ai-je pensé.”

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L’arrivée de la maquilleuse la rassure. “Elle était plus âgée que moi et calme. […] Je relâchais la pression sur comment me comporter et comment compenser la bizarrerie de Jonathan maintenant qu’une autre femme adulte était présente.” Pendant ce temps, il prépare à manger et lui propose un verre de vin rouge.

Emily accepte pour paraître plus adulte et femme. Elle le boit rapidement. Un, puis deux, puis trois, puis une autre bouteille. Durant le shooting, Leder lançait de manière vicieuse le titre de la série télévisée Nickelodeon dans laquelle elle a joué quand elle était petite : iCarly.

“Cela fait vraiment, vraiment mal”

Emily livre ensuite le récit glaçant de son viol et se rappelle qu’elle était ivre, qu’il aurait “inséré ses doigts en elle”, alors qu’elle était allongée sur son canapé : “De plus en plus fort, de plus en plus loin, comme on ne m’avait jamais touchée avant, ou depuis.” Rappelons que lorsqu’il y a pénétration, les faits sont caractérisés de viol par la justice américaine (et française).

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La maquilleuse était partie se coucher, et la victime présumée lui en veut de l’avoir laissée : “Je ne pouvais pas le gérer seule”, a-t-elle compris peu de temps après une remarque sur ses tétons et le fait qu’il les aimait “gros”.

“J’avais froid, je frissonnais et je me blottissais dans une couverture. Jonathan et moi étions sur son canapé, et la texture rugueuse de son jean frottait contre mes jambes nues”, décrit-elle. Un autre détail l’a marquée : elle frottait ses pieds l’un contre l’autre, et contre les siens pour se réchauffer. “Il m’a dit qu’il aimait ‘ce truc que [je] faisais avec mes pieds’.” Aujourd’hui encore, elle explique avoir des montées d’angoisse lorsqu’elle reproduit ce geste, comme un souvenir du corps.

Emily Ratajkowski ne se souvient pas de baisers mais se rappelle avoir “senti les formes d’elle-même, ses replis”, d’avoir ressenti de la douleur. “Cela fait vraiment, vraiment mal”, aurait-elle dit au photographe, en retenant son poignet pour extraire ses doigts. “Il s’est brusquement levé et s’est précipité silencieusement dans l’obscurité en haut des escaliers. […] Mon corps était blessé et fragile.”

Le lendemain, elle se réveille alors que Jonathan prépare le café. La maquilleuse est là. Sur la table de la cuisine trône un des Polaroid de la veille, légendé “iCarly”. 

Retour sur l’affaire de 2016

Ratajkowski décide ensuite de ne parler de ce traumatisme à personne et de l’enfouir dans sa mémoire. Ce shooting photo a eu lieu en 2012 pour le magazine Darius. Il a été booké par l’agente de la mannequin, alors âgée de 21 ans, que cette dernière connaît depuis ses 14 ans.

En 2016, Jonathan Leder décide d’exploiter ces images de Ratajkowski pour en faire un livre de nus, surfant sur sa notoriété puisqu’elle venait d’être castée pour Gone Girl de David Fincher. À ce moment, elle s’était donc opposée au projet et n’avait pas donné son consentement pour la sortie de l’ouvrage. Elle avait rendu l’affaire publique dans une série de tweets et les internautes n’ont pas été clément·e·s.

Malheureusement, le photographe s’est permis d’exploiter comme bon lui semblait ses vieilles images, alors qu’Emily avait signé une cession de droits à l’image valable seulement pour l’éditorial du magazine datant de 2012. Elle a découvert par la suite que le livre contenait des tonnes de photos d’elle que Leder avait prises au Polaroid, “les plus vulgaires”. 

La modèle et son avocat décident d’envoyer une lettre de mise en demeure au photographe, et demandent à la galerie de Leder d’annuler l’exposition qui devait servir de lancement pour son ouvrage. La galerie en question riposte en révélant au New York Times un accord qu’Emily aurait signé. Cette dernière et son agente nient pourtant avoir signé tout accord ou arrangement à l’époque, après vérification des mails échangés en 2012 avec l’accusé.

La maison d’édition – Imperial Publishing, fondée par Leder lui-même dans le but de sortir ses ouvrages – s’en mêle et contredit les dires de la mannequin, attestant que le photographe avait les accords pour publier son livre. Emily n’obtient finalement pas le retrait de l’ouvrage, et encore moins un quelconque dédommagement car elle n’avait pas les moyens de se lancer dans un long procès à cette époque.

Les clichés avaient de toute façon envahi Internet. “J’ai appris que mon image, ma réflexion, ne m’appartenaient pas”, conclut-elle en voyant, impuissante, les livres de Jonathan Leder sans cesse réédités. “Pendant des années, alors que je bâtissais une carrière, il avait gardé cette Emily dans les tiroirs de sa vieille maison grinçante, attendant de la ‘prostituer’. C’était si toxique de voir ce qu’il avait fait de cette partie de moi qu’il avait volée.” La mannequin de renom vit aujourd’hui avec ce poids.

En allant sur le site de la maison d’édition, on peut voir plusieurs livres de Jonathan Leder consacrés à Emily Ratajkowski, des photos de nus essentiellement : des éditions limitées, collectors, Unseen Ratajkowski, RATAJKOWSKI, Two Nights with Emily… Des prints sont même mis en vente et la plupart sont sold out. Pour le moment, la modèle américaine ne compte pas poursuivre le photographe en justice : “Je ne pense pas qu’engager plus de ressources pour Jonathan serait de l’argent bien dépensé. Jonathan finira par épuiser son stock d’images Polaroid croustillantes ‘jamais publiées’, et je demeurerai la vraie Emily.”

Face à ces récentes accusations et ce douloureux récit, le photographe a nié en bloc, considérant tout cela comme étant “trop farfelu et enfantin” pour avoir à y répondre. Il a également désactivé son compte Instagram et ajouté, avec mépris : “C’est la fille qui était nue dans le magazine Treats!, qui a dansé nue dans le clip de Robin Thicke. Vous pensez vraiment que quelqu’un croirait qu’elle était une victime ?” Il semblerait que nous soyons nombreux·ses à la croire.