Ce sont soixante années de création féminine que le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) a décidé de mettre à l’honneur dans son exposition “House of Dust”, puisant dans les quelque 4 % d’artistes femmes qui composent leurs collections vastes de 20 000 œuvres.
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Partant de ce triste constat, l’institution expose, jusqu’au 10 avril, 130 œuvres qui s’articulent autour de thématiques telles que le langage, le corps et la matière. À l’occasion de cet événement, nous avons sélectionné parmi leurs collections huit illustres artistes qui déterrent leurs douleurs, transforment leurs traumatismes ou éprouvent leurs corps pour créer.
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Gina Pane
Figure de proue du body art, Gina Pane se sert de son propre corps pour s’exprimer, créer et véhiculer des valeurs qui lui sont chères. Poétiques et politiques, ses œuvres prennent souvent la forme de performances hors du commun et d’installations monumentales à base de bois, de sable et de terre, jusqu’à tester les limites du possible.
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Dans Enfoncement d’un rayon de soleil, l’artiste française enfouit dans la terre un rayon de soleil, en usant de deux miroirs, afin de réchauffer une partie du terrain qui manque de lumière pour continuer à être fertile. Elle éprouve le sol, fatigue son corps, renoue avec la tradition et s’adonne à un rituel agraire pour “préserver une source d’énergie indispensable à la vie” et “féconder la terre nourricière”.
Dans Nourriture, elle ingère 600 grammes de viande avariée, durant une heure 30, jusqu’à “perturber le rapport entre l’organe de l’appareil digestif […] et la pulsion […] de nutrition”. Autre exemple de création par la souffrance du corps, Continuation d’un chemin de bois qui traite de manière symbolique des problèmes de communication entre les êtres humains.
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Dans le cadre de cette performance, représentant un véritable effort physique et immortalisée par Françoise Masson, Gina Pane transporte sur elle “des traverses de 35 kilogrammes” sur des kilomètres de marche afin de “prolonger un chemin de bois existant” entre deux villages, nous indique le MAMC+.
Magdalena Abakanowicz
Née en Pologne, en 1930, Magdalena Abakanowicz a traversé les deux Guerres mondiales et la guerre froide. Les traumatismes de notre grande Histoire et “les horreurs dont elle est témoin” lui restent en tête ont infecté une bonne partie de ses créations artistiques, “de la difficulté à se fournir en matière première à la volonté de rompre avec les traditions artistiques”, détaille le musée stéphanois.
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“Faites de toile et de résine”, à partir de “moulages de fragments de corps”, ses Figures dorsales n’échappent pas à son passé. Ces sculptures acéphales s’inscrivent dans “son cycle des Altérations”, débuté en 1973, qui lui permet d’explorer “des matériaux bruts et périssables”. Par ces silhouettes “prostrées et pétrifiées”, ces “corps génériques”, spectraux, souffrants, effacés, elle pourrait faire référence aux drames de Pompéi, à “un drame personnel” ou aux victimes des Guerres mondiales.
Kiki Smith
La mortalité est un thème très présent chez Kiki Smith. L’artiste états-unienne considère son art comme une catharsis, comme une manière de purger ses démons intérieurs et ses angoisses existentielles. Dans une de ses œuvres sans titre, elle a par exemple dessiné sur du papier Népal une femme dans un cercueil pour symboliser sa peur de la mort.
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Renvoyant à l’aspect d’un épiderme vieillissant, ce papier fin et froissé rend compte de la fragilité de notre condition mortelle, de notre passage éphémère sur Terre et de notre vanité. “Posée sur son torse, la femme tient dans ses mains une feuille de chêne, symbole de longévité et de passage entre les mondes”, indique le musée. Réalisée après le décès d’un membre de sa famille, cette œuvre lui a permis d’accompagner son deuil.
Geneviève Asse
Engagée dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, à seulement 22 ans, Geneviève Asse a traversé l’apocalypse et le chaos. C’est à la suite de ces traumatismes qu’elle tourne son art vers la couleur, “le silence, le dépouillement et la pureté”, énumère le MAMC+. Si on parle souvent de “bleu Klein”, sachez qu’il existe également un “bleu Asse”, qui se situe entre l’azur et l’ardoise.
Dans Écriture et Vertical Lumière II, par exemple, l’artiste née dans le Morbihan plonge les yeux de son public dans des monochromes bleus, lumineux, chatoyants, apaisants et profonds. “Les effets de transparence et de superposition du blanc et du bleu peuvent rappeler l’humidité de l’air du bord de mer, cher à l’artiste, qui peint jusqu’à la fin de sa vie dans sa maison de l’île aux Moines, en Bretagne”, nous informe le musée.
Jackie Winsor
Jackie Winsor a évolué au cœur des cercles minimalistes des années 1960-1970, où les matériaux industriels et le motif de la grille étaient rois. Très vite, la plasticienne se distingue et s’affirme en introduisant des matières naturelles et le fait main à sa pratique artistique. Sa sculpture Bound Grid reprend la tradition minimaliste, sauf qu’au lieu de fer et d’acier, elle use de jeunes troncs d’arbre maintenus aux intersections grâce à des boules de ficelle.
“Winsor compare sa méthode à une cérémonie, au cours de laquelle chaque mouvement de l’esprit, de l’œil ou de la main est chargé d’émotion rituelle afin d’insister sur la densité, le poids et la solidité de sa structure”, précise le cartel d’exposition du MAMC+. Ce travail d’assemblage de pièces si solides et lourdes témoigne d’une souffrance, d’une exigence physique à l’ouvrage. Elle éprouve son corps pour chacune de ses œuvres ambitieuses.
Louise Bourgeois
Aux vieilles tapisseries est un projet de Louise Bourgeois qui prend la forme d’un beau livre rouge, dans lequel le langage a son importance. Marquée par les humiliations et les tromperies de son propre père, l’artiste féministe évoque ici, à travers des mots, “sa résistance au rôle assigné à la femme”, indique le commissaire d’exposition Alexandre Quoi, lors d’une visite guidée.
Différents cas de violences conjugales sont exposés, à travers de célèbres couples incarnés par exemple par la chanteuse Cher et son producteur Sonny, ou Carl André et Ana Mendieta, dont la mort trouble par défenestration, à seulement 36 ans, a toujours pointé vers l’assassinat. On peut aussi y voir des mots, en lettres capitales rouges, crier “rejection” ou “les suckers”.
Nan Goldin
La photographie “Max dans l’appartement de Sharon, sous une photo de sa mère Cookie” a été prise en 1998, à New York, soit neuf ans après la mort de Cookie Mueller, muse intemporelle de Nan Goldin qui fut emportée par le sida. L’illustre photographe a tiré pour la première fois le portrait de Cookie en 1976, à une fête d’anniversaire, et pour la dernière fois en 1989, l’année de sa disparition.
Neuf ans plus tard, l’artiste reste marquée par celle qui fut son amie la plus chère et à qui elle a consacré de nombreuses séries et journaux visuels. Ici, en représentant son fils Max sous une photo de Cookie, elle fait ce qu’elle sait faire de mieux : honorer une mémoire, l’empêcher de sombrer dans l’oubli.
“Cookie était lumineuse, une beauté, mon idole, […] l’une de mes meilleures amies. […] Nous avons vécu le meilleur et le pire ensemble. […] J’ai toujours pensé que je ne pourrais perdre personne ni quoi que ce soit si je les avais suffisamment photographiés. […]
Nous formions une famille sans faire de distinction entre les gays et les hétéros. Cookie et moi étions bisexuelles. […] On fêtait Noël chez elle, elle nous servait de l’opium et de la dinde. On sortait tous les soirs. Tout le monde sniffait de l’héroïne pour faire la fête ; personne n’en était dépendant. Sharon vivait avec Cookie depuis longtemps. Quand Cookie s’est mise à coucher avec des hommes, Sharon a traversé une mauvaise période. J’étais leur confidente.
Ensuite, Cookie est allée en Italie où elle a rencontré Vittorio Scarpati, un artiste italien. Plus tard, il est venu à New York et ils se sont mariés. Ils étaient tous les deux séropositifs. En septembre 1989, Vittorio est mort. Juste après, Cookie a perdu sa voix ; elle ne pouvait plus parler. [Après la mort de Vittorio], Cookie a en quelque sorte abandonné. […] Elle ne parlait plus et ne marchait qu’à l’aide d’une canne. Après, elle s’est laissée mourir”, relate la photographe états-unienne dans le film Contacts, de Jean-Pierre Krief.
Marina Abramović
Dans The Hero, Marina Abramović performe un hommage à son père, un an après sa mort. L’artiste serbe se tient droite et fière sur un cheval blanc, drapeau immaculé à la main, avec l’hymne national de l’époque de Tito. Son père était un militaire de renom, un héros national, et avec cette œuvre, celle qu’on appelle “la grand-mère de la performance” traite de son douloureux deuil et de paix intérieure, puisant dans sa mythologie personnelle.
“Traumatisée par la dernière conversation qu’elle a eue avec son père, Abramović exorcise sa souffrance et sa culpabilité. Le cheval blanc fait référence à la rencontre de ses parents durant la guerre. Le drapeau blanc incarne l’allégorie de la mort devant laquelle nous sommes tou·te·s obligé·e·s d’abdiquer. L’hymne national, aujourd’hui interdit par les autorités publiques, est la métaphore des guerres qui ont marqué l’histoire de son pays”, relate le musée stéphanois.