Deuil, douleur et traumatisme : 4 œuvres bouleversantes à voir à la Biennale de Lyon

Publié le par Lise Lanot,

© Raed Yassin ; Sarah Brahim/Blaise Adilon

Ces quatre œuvres tentent, chacune à leur façon, de donner corps à l’indicible, à l’ombre planante de l’affliction.

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Comment raconter le deuil, comment expliquer l’oubli, le manque, la douleur qui ne sait pas disparaître mais se fond dans le paysage quotidien, comme une ombre inamovible ? Les mots manquent, tout comme les images, pourtant, des artistes tentent de mettre en forme peines et traumatismes.

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C’est le cas de Sarah Brahim, Nadia Kaabi-Linke, Raed Yassin, le duo Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, qui exposent actuellement à la Biennale de Lyon des projets intimes, qui se rapportent à leur histoire et trouvent pourtant un écho ô combien universel.

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Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

Sur les vidéos diffusées par une dizaine d’écrans encerclant le public, la vie suit son cours, tranquillement. Un couple, en robe blanche et costume, immortalise son mariage ; un hall d’entrée attend son public ; une porte laisse entrer un rai de lumière. Soudain, le calme se dissipe. Surgissent des regards apeurés, de la fumée, des silhouettes qui courent et trébuchent. On ne peut que passer d’un écran au suivant, pour essayer de comprendre ce qu’il se passe.

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Vue de l’installation multimédia de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans l’exposition Beyrouth et les Golden Sixties. (© Photo : Luca Girardini)

Les jeunes marié·e·s se réfugient à l’intérieur d’un bâtiment, se tombent dessus, l’angoisse se poursuit. Ces vidéos sont celles du système de surveillance du musée Sursock. Elles racontent l’explosion, le 4 août 2020, de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium sur le port de Beyrouth, ayant causé 215 décès et plus de 6 500 personnes blessées. L’installation, signée Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, expose un moment où tout a basculé.

Mais comme les ondes de choc de l’explosion, la propagation du moment dure. L’événement a été causé par une situation économique, politique, sanitaire et sociale qui ne faisait que s’envenimer au Liban. Ses répercussions dépassent les dégâts, matériels et humains, visibles instantanément. L’installation multimédia partage un moment en suspens, où on ne peut que se demander comment la vie pourra reprendre son cours normal. Comme personne n’a la réponse, l’installation tourne, inlassablement, en boucle.

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Vue de l’installation multimédia de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans l’exposition Beyrouth et les Golden Sixties. (© Photo : Luca Girardini)

L’installation de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige est visible au sein de l’exposition “Beyrouth et les Golden Sixties” au Musée d’art contemporain de Lyon, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Lyon.

Sarah Brahim

Une paire de mains s’enlace, s’écarte, se rejoint sur des tirages bleus, des cyanotypes imprimés sur coton. Par ces simples cadrages sur ses mains, l’artiste Sarah Brahim explore “la façon dont la douleur se manifeste à travers le corps humain”, décrit la Biennale de Lyon. Si elle met ainsi en scène ces quelques parcelles de peau, c’est parce qu’elle s’inspire de “la théorie de l’épigénétique selon laquelle chacune de nos cellules contient l’ensemble de notre patrimoine génétique”.

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Ainsi, ce n’est pas seulement ses mains qu’elle donne à voir, mais l’ensemble des personnes, des gènes, des cultures qui leur ont donné la vie. C’est “le poids de l’héritage du passé” et “la façon dont nous sommes affecté·e·s par les expériences et les traumatismes de nos ancêtres” qui s’écrivent face à nous. Les gestes photographiés par Sarah Brahim racontent, en filigrane, “la fragilité de nos mémoires” et la multiplicité d’histoires, de moments et de personnes, qui forment notre être.

Sarah Brahim, détail de Who We Are Out of the Dark, 2022. (© Blaise Adilon)

Les tirages de la série Sarah Brahim, Who We Are Out of the Dark, sont visibles au Musée d’histoire de Lyon – Gadagne, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Lyon.

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Nadia Kaabi-Linke

Dans une pièce carrée aux murs sombres, des troncs d’arbres émergent de la moquette foncée. L’artiste Nadia Kaabi-Linke a travaillé avec des personnes ayant perdu un être cher afin de créer cette scène hors du temps, hors du sol, et pourtant intrinsèquement liée au temps qui passe et à la terre qui nous porte.

Toutes les feuilles de chêne qui ornent les branches ont été réalisées par des personnes ayant perdu un proche, qui leur ont dédié leur création. Avec son installation, l’artiste a voulu donner une présence physique que les événements invisibles laissent sur les personnes”. Cette présence physique prend une forme visuelle – au travers des feuilles – mais aussi une présence sonore et sensible.

Nadia Kaabi-Linke, détail du Chuchotement du chêne, 2022. Avec le soutien du Goethe-Institut Lyon, de l’Office National des Forêts. (© Blaise Adilon)

Nadia Kaabi-Linke a recueilli “les récits” des souvenirs auprès des sujets endeuillés et les a “convertis en battements sonores qui résonnent avec le bois de la branche”. Ainsi, en pénétrant dans la pièce, le public n’a ni les visages, ni les noms, ni les histoires des personnes disparues. Il ne peut que ressentir le manque, assourdissant et concret, de leur présence.

L’installation de Nadia Kaabi-Linke, Le Chuchotement du chêne, est visible aux usines Fagor, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Lyon.

Raed Yassin

Le père de Raed Yassin est décédé alors que ce dernier n’était encore qu’un enfant. L’artiste a très peu de souvenirs de son géniteur et, afin de lutter contre l’oubli, monstre qui grossit avec le temps, il s’est mis à “réimaginer son passé” grâce à des “dispositifs fictionnels”.

Photographies et installations font revivre la maison de couture de son père. Derrière une enseigne lumineuse, des images d’archive brodées et des mises en scène resplendissent la fierté d’un enfant pour son père, le manque d’une progéniture et les “destins tragiques” et “traumatismes intimes” qui se trouvent sur tous les chemins de vie.

Raed Yassin, Proposal for a Proposal. Avec le soutien du Goethe-Institut Lyon, de Marfa’. (© Blaise Adilon)

L’installation de Raed Yassin, Yassin Haute Couture, est visible au Musée Guimet, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain de Lyon.

La Biennale d’art contemporain de Lyon, “Manifesto of Fragility”, se tient jusqu’au 31 décembre 2022.

Konbini, partenaire de la Biennale de Lyon 2022.