Des regards perçants, touchants, profonds, rieurs. C’est au total 400 visages de rappeurs et artistes hip-hop que David Delaplace a immortalisés dans les pages du premier livre photo dédié au rap français, de ses origines dans les années 1980 à nos jours. Rencontre et entretien avec l’artiste à l’origine de ce grand projet.
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Devenu le style musical le plus écouté des Français (ou du moins le plus streamé), le rap s’est taillé, en une trentaine d’années d’existence, une place de choix dans le paysage artistique hexagonal. Cependant, si le mouvement né de mixtapes échangées entre initiés peut désormais se targuer d’attirer l’attention constante des médias, de remplir les stades et d’exploser les compteurs des ventes d’albums, jamais aucun livre photo n’était paru pour immortaliser la culture rap dans toute son envergure.
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Un vide dans les représentations artistiques du genre que David Delaplace, photographe de 27 ans, a comblé le 20 octobre dernier avec la sortie de son premier projet Le Visage du rap, une œuvre titanesque qui réunit 400 portraits de ceux qu’il nomme lui-même “les activistes” du rap.
Parmi eux, une grande majorité de rappeurs, mais aussi les personnages de l’ombre qui ont façonné les contours de la discipline depuis 1981. L’objectif : rendre hommage à tous les artistes, notamment, et surtout, à ceux dont l’histoire n’a pas retenu les visages.
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Les prémices d’un projet ambitieux
Enfant de Vigneux-sur-Seine, David Delaplace explique que si le rap a toujours été présent dans sa vie, la photographie, quant à elle, est venue beaucoup plus tard. C’est en 2011, alors qu’il rend service à son frère musicien désireux de se faire tirer le portrait, que tout commence. Le manager de Tito Prince, artiste originaire du même quartier, le repère et fait appel à ses services.
Si cette première commande n’aboutira pas, elle lui permettra cependant de mettre le pied à l’étrier. Trois années, et de nombreux portraits de rappeurs plus tard, les contours de son premier projet commencent à se dessiner dans l’esprit de David : un livre sur le rap. C’est alors Oxmo Puccino qui lui donne sa chance en premier, lui expliquant : “Si tu fais bien les choses, ce livre sera important pour l’histoire du hip-hop”.
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S’ensuit un travail méticuleux rythmé par une vive détermination. Pour pouvoir assumer la charge du projet qu’il porte de façon indépendante, le photographe fait de nombreuses concessions. Pendant trois ans, il stoppe ses travaux de commandes, dédie toutes ses journées aux shootings et ses nuits aux jobs alimentaires qui lui permettent de continuer.
Un mal consenti puisque c’est aussi cet esprit de conviction qu’il déclare avoir toujours apprécié dans le rap. En conclusion du livre, il choisit d’ailleurs de citer Booba : “Tout le monde peut s’en sortir / Aucune cité n’a de barreaux”. Il explique :
“Je pense que tu peux avoir des coups durs dans la vie qui rendent ton quotidien plus compliqué mais si tu arrives à te prendre en main, tu peux faire ce que tu veux. Il y a des milliers d’exemples dans le rap. Tout faire soi-même, c’est le seul moyen d’y arriver aujourd’hui. C’est dur mais tu t’y retrouves plus vite.”
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“J’ai tout de suite évité le cliché qui consiste à représenter les rappeurs violents”
Ainsi, pendant trois ans, le photographe n’aura de cesse de tirer le portrait du rap français. Des visages qui fixent l’objectif ou le lointain. Souvent sans fioritures ni retouches, un fond uni ou un décor familier ont suffi à insuffler une intensité et une sincérité fascinantes aux expressions, à mille lieues de l’image type du rap français.
Car, de son expérience de banlieusard et d’amateur de rap, David a retenu que les clichés sont tenaces. Ne pas les perpétuer était donc un des objectifs du livre :
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“J’ai tout de suite évité le cliché qui consiste à représenter les rappeurs violents, avec des flingues dans les mains, torse nu à faire des têtes de méchants. J’ai essayé avant tout de montrer des hommes. Je ne veux pas perpétuer les clichés qui reflètent une seule partie du rap qui a été ou se veut caillera/gangster. Quand on préfère retenir ça, on passe à côté de pleins de choses.”
En choisissant le portrait, c’est l’émotion de ces personnages que David Delaplace a cherché à capturer. Pour réussir à la saisir, le photographe a misé sur la spontanéité et le naturel. Ainsi, il n’a jamais invité les rappeurs à se déplacer, mais s’est toujours rendu là où ils étaient (en studio, sur des tournages, chez eux…). Aucun repérage préalable pour une technique d’adaptation des plus affinées.
Pour réussir à “retrouver tout le monde”, c’est-à-dire tous ceux qui ont façonné le rap depuis ses débuts, le photographe a dû mener de véritables investigations dignes d’un historien, voire, parfois, d’un détective privé. Car, si les rappeurs exerçant depuis “l’âge d’or du rap”(les années 1990) sont plutôt faciles à trouver, c’est une tout autre histoire concernant les professionnels des années 1980.
Des heures de visionnage d’archives et de recherches de contacts ont été nécessaires pour mener à bien cette quête. Pour signer la préface du livre, le photographe a d’ailleurs retrouvé un des fondateurs inconnus du mouvement. Il s’agit de Dan de Ticaret, propriétaire de la première boutique hip-hop d’Europe pour laquelle Booba était stagiaire (oui, oui). C’est à l’intérieur du magasin qu’ont été enregistrés quelques grands morceaux du rap de l’époque, de La Cliqua à Booba.
Malgré l’absence de quelques rappeurs qui tenaient à cœur au photographe, comme Diam’s ou encore Nessbeal, la mission d’exhaustivité et d’hommage du photographe est plus que remplie. Et quand on lui demande de quelle photo il est le plus fier, on en revient à Oxmo, celui qui a signé le commencement de cette grande aventure. À l’heure actuelle, le rappeur parisien n’a toujours pas feuilleté le livre, mais quand ce sera le cas, on est prêts à parier qu’il le considérera comme un grand livre du hip-hop.
Le Visage du rap est disponible depuis le 20 octobre 2017.