Dans l’intimité d’addicts aux drogues dures avec trois photographes américains

Publié le par Lise Lanot,

© Jeffrey Stockbridge

Récit visuel d’une "urgence nationale" qui a fait plus de 80 000 morts en 2020 outre-Atlantique.

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“L’année dernière, les États-Unis ont perdu 81 000 hommes, femmes et enfants à cause d’overdoses de drogues.” C’est par ce dramatique constat que débute l’exposition “The Human Cost: America’s Drug Plague”. Pour raconter ce fléau en images, le Bronx Documentary Center convoque les travaux de trois photographes états-uniens nés entre les années 1940, avec James Nachtwey, et 1980, avec Jeffrey Stockbridge et Mark E. Trent.

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Chacun à leur façon, les photojournalistes ont tenté de mettre en lumière les ravages de la crise des opioïdes qui sévit outre-Atlantique depuis le milieu des années 2010. La “guerre contre les drogues” entamée par le gouvernement états-unien dans les années 1970 s’est rapidement révélée être un échec, de ses premières velléités prohibitives à des “stratégies sans cesse changeantes”.

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Allie et Regina attrapent des flocons de neige après les funérailles d’une amie proche. (© Mark E. Trent)

En sus de la hausse constante des morts par overdose (dont un pic depuis la pandémie due au Covid-19), les violences, la misère et les dérives liées aux drogues participent à l’intensification de cette crise et des drames qui l’enserrent : “La guerre contre les drogues est un échec : d’un océan à l’autre, le fentanyl, l’héroïne, le K2, la méthamphétamine en cristaux, la cocaïne et d’autres drogues sont disponibles dans presque toutes les villes et villages”, souligne le musée new-yorkais.

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Mettre en images ce que les statistiques ne montrent pas

James Nachtwey, Jeffrey Stockbridge et Mark E. Trent révèlent ce que la froideur des chiffres et des statistiques ne peut raconter. Leurs regards se veulent bienveillants et dénués de jugement, pour traiter d’un sujet alourdi par les stéréotypes et la marginalisation des addicts. 

Holly, en désintoxication à la prison du comté de Montgomery à Dayton, dans l’Ohio, le 3 juillet 2017. (© James Nachtwey pour le Time Magazine)

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Aux côtés du directeur de la photographie du Time Magazine Paul Moakley, le photojournaliste James Nachtwey a parcouru les États-Unis durant toute l’année 2017 afin de rassembler les témoignages et parcours “d’usagers, de familles, de premiers intervenants et de ceux qui sont au centre de ce fléau”. Les images en noir et blanc sont accompagnées des voix des personnes photographiées, qui racontent leur histoire.

Le projet du deuxième artiste invité, Jeffrey Stockbridge, se focalise sur une région plus restreinte (Philadelphie, en Pennsylvanie, et notamment Kensington Avenue, où les drogues dures pullulent), documentée sur une période plus longue de dix ans.

Une femme se faisant appeler Jen se débat pour se shooter dans le froid glacial de Boston le 14 janvier 2018. (© James Nachtwey pour le<em> Time Magazine</em>)

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Là encore, la série est composée de différents médias : “Grâce à de la photo grand format, des entretiens audio, des entrées de journaux personnels et des vidéos, [l’artiste] utilise des combinaisons de styles et de formats pour humaniser les personnes souffrant d’addiction”, résument les commissaires d’exposition, Cynthia Rivera et Michael Kamber.

“En travaillant avec un appareil grand format, j’ai choisi un procédé photographique lent afin de littéralement ralentir la rapidité du rythme de la vie sur Kensington Avenue. Le cœur de ma photo, c’est le portrait. Je veux vraiment m’intéresser à l’état d’esprit de celles et ceux qui luttent pour survivre malgré leur addiction.

Ensemble, mes modèles et moi avons mené une collaboration. […] Ce travail n’aurait pas été possible sans leur confiance et leur supervision. En partageant les détails intimes de leur détresse, celles et ceux que je photographie prennent position pour véritablement humaniser l’addiction et renverser le cliché qui voudrait que les personnes dépendantes sont moralement corrompues. La crise des opiacés nous a prouvé que n’importe qui peut devenir addict.”

Jamie, 2012. (© Jeffrey Stockbridge)

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La dernière série, signée Mark E. Trent, part des difficultés qu’avait le photographe à élaborer un projet exhaustif sur le sujet de l’addiction aux drogues. Alors qu’il faisait part de ses doutes à son amie Allie, celle-ci lui a proposé de la suivre ainsi que ses ami·e·s au Nouveau-Mexique : “Elles étaient des stars du basket, des jeunes mères, des personnes avec un emploi et des rêves concrets. Jusqu’à ce qu’un jour, une blessure au genou implique une ordonnance d’opiacés […].”

Les trois photographes partagent la même volonté d’humanisation de leurs modèles, afin notamment de les délester des idées reçues qui planent au-dessus de leur tête. En tentant de décrire des expériences uniques et plurielles, ils souhaitent mettre en évidence l’ampleur du drame qui touche des centaines de milliers de personnes aux États-Unis ; malheureusement, ils se sont majoritairement intéressés à des communautés blanches. 

Une dispute après que Peakay s’est rendu compte qu’Allie s’était droguée sans partager. (© Mark E. Trent)
Dorothy Onikute, 33 ans, shérif adjointe au bureau du comté de Rio Arriba, intervient pour un appel d’overdose le 4 février, sur le bord de la route à Alcade, dans le Nouveau-Mexique. (© James Nachtwey pour le Time Magazine)
Carol, 2010. (© Jeffrey Stockbridge)
Kevin, 2011. (© Jeffrey Stockbridge)
Mary, 2009. (© Jeffrey Stockbridge)
Des messages sur un téléphone trouvé dans la maison de Barbie, le lendemain de leur overdose à elle et Kim. (© Mark E. Trent)
Allie est en pleurs : elle fait face à une peine d’emprisonnement et son amie Barbie, décédée d’une overdose après une longue nuit passée à se droguer, lui manque. (© Mark E. Trent)
Cheryl Schmidtchen, 67 ans, se fait consoler lors des funérailles de sa petite-fille Michaela Gingras à Manchester, dans le New Hampshire, le 17 septembre 2017. Gingras, qui était héroïnomane, avait 24 ans. (© James Nachtwey pour le Time Magazine)

“The Human Cost: America’s Drug Plague” est exposé au Bronx Documentary Center de New York du 5 juin au 5 juillet 2021.