Depuis maintenant dix ans, Yohanne Lamoulère photographie les quartiers populaires de la cité phocéenne et ses habitants. Avec sa série Gyptis & Protis, elle interroge la place des relations amoureuses dans l’espace urbain. Une série de photographies qui nous fait regarder ces quartiers à travers le prisme tendre et fragile de l’amour de jeunesse, occultant la violence pour laquelle sont réputées ces zones.
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Nîmoise d’origine, Yohanne Lamoulère s’est installée à Marseille après ses études à Arles, pour être “du bon côté de l’autoroute”. Un peu par hasard, elle s’installe au nord de la ville, et plus précisément dans le quartier de Saint-Antoine, situé dans le 15e arrondissement. Pendant six ans, l’artiste travaille sur le thème de la réhabilitation urbaine, “cette fameuse transformation de la ville qui veut nous laisser croire qu’elle doit changer, donc que nous devons changer, qu’elle ne peut décemment pas rester si peu attractive”.
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Armée de son appareil photo, elle arpente la cité phocéenne et notamment ses quartiers nord, pour combattre l’idée d’une nécessité de réaménager et de modifier la ville, tout en immortalisant les transformations à coup de béton qu’elle subit : “C’est une période que j’ai adorée, qui m’a aussi désespérée. J’ai essayé de trouver une nouvelle façon d’aborder les choses et les gens. Je me suis dit que ce qui nous laisse un tout petit peu d’espoir, à chacun, c’est la rencontre amoureuse.”
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Le mythe fondateur de Marseille
C’est comme ça qu’est née la série Gyptis & Protis, du nom du mythe fondateur de la ville de Marseille. “C’est un des seuls mythes qui ne soit pas basé sur un parricide ou un infanticide, dans lequel il n’est ni question de guerre, ni de sang. Et ça tombe sur nous ! C’est une histoire d’amour entre deux étrangers, deux enfants issus de deux peuples que rien ne rapprochait”, raconte l’artiste.
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Ainsi, la photographe se met à interroger le lien entre l’amour et la ville, les espaces de rencontre, les désirs de la jeunesse, leurs attentes dans les relations amoureuses… Baignés d’une lumière et d’une énergie apaisantes, les portraits de Yohanne Lamoulère sont tous volés à la rue. “Parfois je connais les jeunes, certaines fois ils me demandent d’être photographiés, d’autres fois ce sont des rencontres fugaces”, explique l’artiste, qui aime passer de la photo documentaire à la mise en scène.
“Les villes pauvres sont sujettes à toutes les malédictions”
Très attachée à sa ville, Yohanne Lamoulère avoue avoir eu des difficultés à l’immortaliser : “Christopher Anderson, qui est Texan, m’a dit un jour qu’une des choses les plus compliquées dans son boulot de photographe, ça avait été de bosser sur sa propre ville, et je crois qu’il avait raison. Alors voilà, c’est ma ville, je la regarde et je la quitte aussi très fréquemment. Je sais qu’elle change, que ces transformations ne me plaisent pas, mais j’essaie de l’aimer encore un peu.”
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Mais si la cité phocéenne est connue pour son caractère méditerranéen et sa forte identité culturelle, la photographe craint de voir ces caractéristiques se “gommer” et s’uniformiser en même temps que l’espace urbain. “C’est le cas de Marseille mais aussi de Barcelone, de Naples, de Liverpool”, nous dit-elle avant de poursuivre :
“Les villes pauvres sont sujettes à toutes les malédictions. Les habitants ne mangent pas tous à leur faim, les riches s’y sont construit des prisons dorées et dirigent la ville comme dans un jeu vidéo, déciment tout ce que nous devrions partager naturellement, les touristes, cette manne, envahissent les rues, déversés par des bateaux de croisières qui encrassent l’air, et chez nous en plus, la ville s’effondre, au sens premier du terme.”
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Pour voir l’ensemble de la série Gyptis & Protis, mais aussi d’autres clichés de la cité phocéenne de Yohanne Lamoulère, on tourne les pages de son livre Faux-Bourgs, publié en 2018 aux éditions Le Bec en l’air. Et avec du Massilia en fond sonore, c’est encore mieux. “Aujourd’hui, les Marseillais de toutes communautés ont besoin d’espaces pour se rencontrer. Si on voulait vraiment embellir notre cité, il faudrait un marché du soleil dans chaque quartier…”
Yohanne Lamoulère présentera sa prochaine expo “MANGER TES YEUX/Ici ment la ville”, à la Friche la Belle de Mai, à Marseille, dans le cadre du festival La Photographie Marseille 2019. Vernissage le 25 octobre 2019.