Le Cri, élevé au rang d’icône, masque l’œuvre monumentale dans laquelle il s’inscrit : celle du peintre norvégien Edvard Munch, auquel le musée d’Orsay consacre une grande rétrospective, révélant les femmes vampires d’une peinture obsessionnelle, cycle de “vie, d’amour et de mort”.
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Conçue comme un voyage intime à travers soixante années de création en Norvège, à Paris et Berlin, l’exposition présente jusqu’au 22 janvier 2023 une centaine d’œuvres dont cinquante peintures majeures et un ensemble important de dessins et d’estampes provenant en grande partie du musée Munch d’Oslo.
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“Ce n’est pas le peintre d’un moment, celui du Cri ou des œuvres des années 1890, mais celui d’une œuvre d’une grande cohérence qui traverse toute la moitié du XXe siècle”, explique à l’AFP Claire Bernardi, commissaire de l’exposition. Au cœur de cette œuvre : “L’exploration et l’expression des grands mouvements de l’âme : l’amour, l’angoisse, le doute existentiel”, ajoute-t-elle.
Au milieu des portraits de femmes, d’hommes et d’enfants saisissants de présence, de la foule fantomatique de l’avenue Karl Johan d’Oslo ou des silhouettes qui dansent et chuchotent sur des ponts : une seule version gravée du Cri, la première de cinq, qui “montre combien il n’a pas été pensé par Munch comme une œuvre isolée mais inscrite au sein d’un cycle”, souligne la spécialiste, directrice du musée de l’Orangerie à Paris.
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La Frise de la vie
La scénographie épouse cette dimension. Le public semble guidé par un fil invisible, comme celui dont parlait Munch (1863-1944) dans sa correspondance à propos de “la longue chevelure” des femmes, omniprésente dans certains tableaux, qu’il assimilait à “une sorte de fil téléphonique pour symboliser la communication entre les êtres séparés”.
“On va de la naissance de l’amour à la jalousie, au désespoir et au sentiment d’angoisse profond, qui conduit, quelques mètres plus loin, vers la mort. Munch ne la conçoit pas comme une fin mais comme une éternelle renaissance”, ajoute-t-elle.
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Regroupées par thèmes, les œuvres racontent les femmes de Munch, ses deuils – il a perdu sa mère à cinq ans, sa sœur aînée lorsqu’il avait 14 ans – son amour du théâtre et sa recherche infatigable du sacré. Sa peinture sera considérée comme “art dégénéré” par les nazis.
Parmi elles, une série de tableaux, centrale dans l’œuvre, consacrés à la naissance de l’amour. Munch l’a appelée La Frise de la vie et l’a exposée à plusieurs reprises selon un montage précis consigné dans des croquis. Il en a réalisé plusieurs versions à partir de l’âge de 30 ans et jusqu’à sa mort, et l’a intitulée “un poème de vie, d’amour et de mort”, sous-titre de l’exposition.
Femmes vampires
Au cœur de cet ensemble : Vampire, une femme à la longue chevelure rousse tombant en cascade sur ses épaules, projetant une ombre immense qui embrasse un homme dans la nuque “jusqu’à le vampiriser, un thème particulièrement saisissant dans l’œuvre de Munch qu’on ne retrouve pas dans celle de ses contemporains” peintres, souligne Mme Bernardi.
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“Intitulé initialement Amour et Douleur, ce tableau – dont Munch a réalisé plusieurs versions – relève à la fois de l’acte d’amour et de l’ambivalence, presque de la violence à l’égard de l’autre, ce qui transparaît dans d’autres œuvres”, ajoute-t-elle.
Car si la femme, thème majeur de sa peinture, est représentée en enfant vulnérable ou en jeune fille insouciante, mélancolique ou joyeuse, mais presque toujours lointaine, il peint aussi “la femme fatale, toute puissante de ses relations amoureuses, une compagne qui le plus souvent conduit au moment extrême de la jalousie voire de la folie, comme la séductrice Madone ou la femme rousse, qui jalonne son œuvre”, souligne-t-elle.
Un ensemble de gravures consacré au thème du baiser montre l’évolution du lien amoureux. Au fil des années, Munch rapproche les visages et les corps au point de ne plus représenter qu’une seule forme, fusion de deux corps habillés de noir, avec une sorte d’absorption de l’homme par la femme.
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