Comment une princesse du plaisir sexuel féminin a inspiré cette statue phallique de Brâncuși

Publié le par Lise Lanot,

© Constantin Brâncuși/Gabriel Abrantes

Non, cette œuvre de Brâncuși ne représente pas une verge, mais bien le buste de Marie Bonaparte, petite-nièce de Napoléon, et elle a beaucoup de choses à dire.

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“On dirait un gode en chrome, mais c’est le portrait d’une femme sculpté par Constantin Brâncuși.” Ainsi débute le court métrage de Gabriel Abrantes, A Brief History of Princess X, actuellement présenté au Musée Gadagne lors de la Biennale de Lyon. Réalisé en 2016, le film de sept minutes raconte l’histoire de Marie Bonaparte, précurseure dans les domaines de la psychanalyse et de la sexualité féminine.

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“Passionnée d’anatomie, elle aurait voulu être médecin, mais son père lettré lui refuse l’accès aux études”, rapporte France Culture, qui lui consacre un bel épisode biographique. Qu’à cela ne tienne, Marie Bonaparte apprendra par elle-même. Elle mena alors une vie mondaine, rencontra des personnalités politiques et intellectuelles. Mariée à un homme qui préférait les hommes, Georges de Grèce, elle s’adonna à une “vie amoureuse libre” et décida d’enquêter sur sa vie intérieure, aussi bien psychique qu’anatomique.

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La petite-nièce de Napoléon a ainsi étudié 200 femmes afin de mesurer la distance entre leur clitoris et l’entrée de leur vagin. Elle en a tiré la conclusion que “plus la distance était grande et moins la femme avait des chances d’avoir un orgasme [dit] vaginal”, rapporte Alix Lemel, autrice de Les 200 clitoris de Marie Bonaparte. “Elle s’en prend à Freud, elle dit qu’il a voulu aligner la sexualité de la femme sur celle de l’homme, et comme il n’avait pas réussi à faire entrer le clitoris dans sa théorie, il en avait décrété que c’était un organe vestigial qui était à reléguer dans les placards de l’évolution.”

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L’histoire d’une princesse progressiste

Volontaire dans son désir de libérer le plaisir féminin, la princesse n’hésite pas à expérimenter sa théorie sur son propre corps. Elle endura des opérations afin de réduire cette distance et modifier ce qu’elle considérait comme de la “frigidité”. Les trois interventions se sont cependant révélées infructueuses.

Le court métrage de Gabriel Abrantes narre la modernité de cette “princesse freudienne”, telle que la décrit l’historienne de la psychanalyse Élisabeth Roudinesco, dans Le Monde. La pionnière incarnée par Joana Barrios se querelle avec Freud lui-même, mais aussi avec Brâncuși, qui taille son buste en sculpture. Dans le film, le sculpteur finit si irrité par sa modèle qu’il transforme complètement ses premiers essais et efface le visage de Marie Bonaparte.

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Minimaliste, de plus en plus attiré vers une abstraction radicale, Brâncuși se débarrasse de son nez, de ses yeux, ses cheveux, ses aspérités, ses creux et ses plis. Il ne conserve qu’une forme de buste stylisé à l’extrême et poli. Nommée Princesse X, l’œuvre est censée représenter l’altesse, mais puisque au premier coup d’œil, elle fait plutôt penser à une verge qu’à une princesse, elle fait scandale et est refusée aux salons artistiques auquel le sculpteur la présente.

Désormais conservée au centre Pompidou parisien, Princesse X reflète l’œil du public. Soixante ans après la mort de Marie Bonaparte, on peut estimer que la sculpture est un hommage à sa radicalité et non la bizarre réduction d’une femme à un symbole phallique. À travers cette verge, on peut voir un pan de l’histoire de la sexualité féminine qui se manifeste.

La Biennale d’art contemporain de Lyon, “Manifesto of Fragility”, se tient jusqu’au 31 décembre 2022.

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Konbini, partenaire de la Biennale de Lyon 2022.