De récentes découvertes concernant les premières œuvres réalisées par Edward Hopper viennent renverser la légende créée autour de ce peintre américain et, plus largement peut-être, autour du génie artistique. Louis Shadwick est un étudiant londonien travaillant sur une thèse à propos de “La mémoire et la mythologie des années formatives d’Edward Hopper”. Il s’est rendu compte en l’écrivant que plusieurs des toiles de Hopper qu’on pensait représenter les paysages de sa ville d’enfance, Nyack, dans l’État de New York, étaient en fait des copies d’autres peintres.
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C’est pendant des recherches confinées que le jeune homme est tombé sur une toile intitulée Winter Sunset (“Un coucher de soleil hivernal”), réalisée en 1890 par le peintre tonaliste américain Bruce Crane. Stupeur, la peinture semblait être une copie conforme de Old Ice Pond at Nyack (“Vieil étang de glace à Nyack”) signée d’Edward Hopper vers 1897, alors qu’il n’avait que 15 ans.
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Une enquête biographique
En poursuivant son enquête, Louis Shadwick a découvert que d’autres toiles d’Edward Hopper, réalisées dans les mêmes années, semblaient être des copies de peintures de ses aînés. C’est le cas par exemple de Rowboat in Rocky Cove (“Barque dans une crique rocheuse”, 1895), d’après Lake View ‘Athelstane’ (“Vue du lac ‘Athelstane'”, vers 1880) d’un peintre anonyme, ou de Ships (“Navires”, 1898), d’après Marine (1886) d’Edward Moran.
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Louis Shadwick précise dans un article publié dans le prestigieux Burlington Magazine dédié aux beaux-arts qu’Edward Hopper n’aurait jamais vraiment parlé de ces œuvres adolescentes et qu’il n’existe aucune preuve que leur titre ait été donné par l’artiste lui-même. Après son départ pour New York en 1910, il ne s’est plus jamais intéressé à sa ville natale. La preuve peut-être qu’il ne s’y était jamais intéressé en premier lieu ?
Ces toiles occupent une place importante dans l’œuvre du peintre puisqu’elles constituent, croit-on, sa genèse, mais elles n’ont jamais été revendiquées par ce dernier. Lorsque lui et son épouse, Jo Nivison, les ont retrouvées dans le grenier de sa maison natale (après la mort de sa sœur qui occupait jusque-là la demeure), ils ne les ont pas consignées. C’est un prêtre de Nyack qui a mis la main dessus plus tard et les a fait accéder à la postérité. Ce serait ce même homme qui aurait insinué qu’il s’agissait de paysages locaux.
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Une découverte importante…
La découverte est d’importance, non pas pour amoindrir le talent d’Edward Hopper, mais pour réfuter l’idée selon laquelle un·e artiste n’est qu’une personne dotée d’un don génial. Dans le New York Times, Louis Shadwick conteste les théories de chercheur·se·s affirmant que les premières toiles de Hopper sont des représentations de Nyack et des “exemples de son talent exceptionnel de jeune peintre autodidacte”.
“Aucune des toiles ne montre Nyack, et Hopper n’avait qu’un talent médiocre pour la peinture à l’huile avant d’aller en école d’art. Même sa maîtrise de la peinture est très loin des travaux qu’il réalisait cinq ans plus tard”, affirme-t-il.
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Le site officiel dédié au peintre a publié une déclaration à la suite de ces révélations, approuvant le fait que “le mythe du génie artistique ne se résume qu’à ça, un mythe”. “Aucun artiste ne se développe dans une bulle, sans influence, sans ressource ni accès. Le jeune Hopper a copié de façon libre et régulière, on peut dire qu’il a appris avant de voir.”
… et inspirante
En 1790, Emmanuel Kant écrivait dans sa Critique de la faculté de juger que : “Les beaux-arts doivent nécessairement être considérés comme des arts du génie.” Un siècle et demi plus tard, Pablo Picasso renversait cette idée en affirmant qu’il fallait “apprendre les règles comme un professionnel afin de pouvoir les briser comme un artiste” (la citation lui est en tout cas attribuée). L’exemple d’Edward Hopper peut donner espoir aux nouvelles générations d’artistes : nul besoin d’un don inné, le talent vient du travail, de la répétition et de l’essai, même pour les maîtres d’hier.
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