Après avoir quitté le domicile parental, Margaret Mitchell ne savait pas quelle direction prendre. À l’issue de quatre années passées à travailler dans la restauration en Belgique, l’Écossaise s’est tournée vers la photographie. Rapidement, elle oriente son travail vers ce qu’elle connaît le mieux : sa famille, plus précisément “le stigmate porté par [sa] sœur en tant que mère célibataire, vivant dans un logement social, dans un environnement gouvernemental hostile”.
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Près de vingt ans plus tard, la sœur de Margaret Mitchell est décédée et sa progéniture a grandi. Les années ont passé mais la photographe remarque que rien n’a changé pour ces enfants devenus grands. Elle décide de tourner son objectif à nouveau vers sa famille, en direction de ses neveux, ses nièces et de leurs enfants. Réalisées séparément, à deux décennies d’écart, les deux séries forment un témoignage intime et politique qui documente les effets du déterminisme social et l’absence d’un prétendu “ascenseur social”.
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On pourrait croire que les premières images de Margaret Mitchell, prises de façon individuelle, présentent simplement le quotidien d’enfants. Mises côte à côte, précise la photographe, elles “offrent une vue d’ensemble de leur enfance et servent de toile de fond à la suite de leur existence, qui se déploie sans surprise au fil des années”. Ce travail est, certes, basé sur “des personnes et un lieu” spécifiques mais il traite, dans son essence, “des inégalités causées par les systèmes sociaux” de manière générale.
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L’intimité au service d’un message politique
En 1994, Mitchell sait déjà que son premier reportage familial, intitulé Family, portera une dimension politique. Elle photographie sa sœur parce qu’elle est fière d’elle et veut mettre à l’honneur la façon dont “elle s’en sort malgré les circonstances difficiles” que connaît une mère de famille nombreuse célibataire, avec peu de moyens et malgré sa stigmatisation.
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La proximité liant Margaret Michell à ses sujets lui permet de prendre des images tout le temps, à la volée ou en leur demandant de poser pour elle. “Je faisais partie des meubles”, se remémore-t-elle. Cette intimité prévaut au sein des images : on y voit les enfants évoluer dans leur univers juvénile, qui porte son lot de chamailleries, de jeux, de rires et de peines. “Les enfants de ma sœur ont connu une enfance pleine de contradictions, remplie de fierté et d’amour, mais aussi de confusion, dans une situation imparfaite et désavantagée”, décrit la photographe.
En 2015, c’est avec ses neveux et nièces qu’elle entend reprendre ce travail photographique :
“J’ai regardé les enfants de 1994 et les adultes qu’ils étaient devenus, leur vie actuelle et leur situation. Ils avaient déménagé de l’autre côté de la ville, c’était ailleurs mais c’était la même chose. En plus de leur situation domestique, je voulais me concentrer sur leur environnement extérieur, justement à cause de ce qui n’avait pas changé dans leur paysage social en vingt ans. Socialement et économiquement, ils n’avaient pas beaucoup bougé et, une fois devenus adultes, ils étaient le produit de tout ce qu’ils avaient vécu auparavant”, nous confie Margaret Mitchell.
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Des vies “jugées, oubliées et stéréotypées”
Avec cette prise de conscience, la photographe donne une nouvelle direction à son projet. Il ne s’agit plus seulement de documenter la misère sociale, mais de l’interroger : “Quel choix avaient-ils véritablement eu ? À quel point ce choix était-il prédéterminé pour eux ?”
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La seconde série, In this Place, datant de 2016 et 2017, présente “des portraits plus calmes, plus contemplatifs” et si, elle insiste, les deux projets sont dissociables l’un de l’autre, la photographe a trouvé intéressant de les réunir dans un livre, Passage :
“En voyant ces deux séries ensemble, j’espère que l’histoire et les expériences de ma famille contribueront à la compréhension de problématiques souvent cachées ou incomprises dans la société. C’est un travail personnel et politique sur des vies qui sont souvent jugées, oubliées ou stéréotypées.”
La mise en parallèle des deux séries souligne l’implication, émotionnelle et physique, de ce noyau familial, qui en ressort changé. “Je vois ce travail comme une collaboration”, n’oublie pas de nous préciser Margaret Mitchell. “S’asseoir et voir son histoire sur un mur ou dans un livre peut être une expérience très intense. C’est se rendre compte des pertes et des inégalités, mais aussi de l’amour partagé et de la résilience. C’est un processus courageux.”
Passage est le résultat d’un croisement d’émotions, de partages et de situations particulières qui abordent des problématiques universelles. Trois générations y racontent, sur plus de vingt ans, les rouages d’un système qui régit leur vie et contre lequel elles n’ont pas de pouvoir. Le lectorat assiste, impuissant lui aussi, au déroulement d’une histoire dont il connaît la fin.
Vous pouvez retrouver le travail de Margaret Mitchell sur son site. Son livre Passage est disponible ici.