Quand il s’agit d’aborder le sujet BTS, beaucoup semblent focaliser leur attention sur les records de ventes ou les stratégies de communication de la formation coréenne. Et pour cause. En surface, le groupe semble se situer au carrefour des concepts marketés et dévalorisés de boys band, K-pop idol, ou pop star, ce qui suffit à le considérer comme un produit de consommation pour fans peu regardant·e·s. Mais c’est pourtant parce que BTS ne s’inscrit pas dans ces codes et qu’il les dépasse que le groupe connaît un succès sans équivalent.
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Auteurs, compositeurs, interprètes, danseurs, performeurs… Les membres de BTS sont les auteurs de leur propre histoire. C’est d’ailleurs leur capacité à construire un univers narratif puissant, poétique et profondément ancré dans son époque qui a su séduire les fans. Pour partager sa musique, le groupe n’a de cesse de proposer à l’ARMY une expérience globale.
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Le travail d’écriture et de composition est aussi bien traduit par la danse, comme l’explique le chorégraphe Son Sung Deuk, que par des clips très travaillés regorgeant de références à la littérature et au monde de l’art. En témoigne le projet “CONNECT, BTS” qui prouve leur affinité avec l’art contemporain. À l’occasion de la sortie de leur dernier album, Map Of The Soul : 7, nous nous sommes penchées sur les références à l’art mobilisées par le groupe dans quatre de ses clips.
“Spring Day”
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Commençons par “Spring Day”, extrait de l’album You Never Walk Alone dans lequel on aperçoit Suga, dans une première scène, puis le groupe dans son ensemble siéger au sommet d’une montagne de linge. On peut voir ici une référence à l’installation “No Man’s Land” du français Christian Boltanski.
En 2010, l’artiste avait créé une montagne à partir de vêtements récupérés à la Park Avenue Armory de New York. À intervalle régulier, une grue géante se saisissait du linge pour le relâcher plus bas alors que le son des battements de milliers de cœurs résonnait dans l’immense bâtiment historique. Selon le New York Times, l’idée était de représenter le caractère arbitraire de la mort pour inspirer des questions telles que “Pourquoi ma mère est morte ?”, “Pourquoi suis-je toujours ici ?” Au journal, l’artiste expliquait : “On peut s’accrocher aux vêtements, et même aux battements du cœur de beaucoup de gens. Mais on ne peut conserver personne.”
Une idée que l’on retrouve dans le morceau écrit par Suga et RM en 2017. Dans une interview accordée à l’occasion de la sortie du projet, ces derniers expliquaient que le morceau se basait “sur les souvenirs de vieux amis qu’on ne voit plus”. De manière plus profonde, et parce que l’œuvre de BTS est sujette à plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation, le titre est souvent perçu comme l’exploration du chagrin enduré suite à la perte d’êtres chers, caractérisé par la métaphore de l’hiver auquel succède le printemps. D’autres interprétations font du clip un hommage aux victimes du naufrage du Sewol-ho en avril 2014, bien que rien n’ait été confirmé par le groupe.
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“Blood, Sweat and Tears”
En introduction du clip de “Blood, Sweat and Tears”, extrait de l’album Wings, les membres se meuvent dans ce qui s’apparente à un musée. Les références artistiques sont denses. On aperçoit entre autres : Persée tenant la tête de la Méduse de Benvenuto Cellini, La Vénus de Milo ou encore La Chute d’Icare de Bruegel. Toutes ces œuvres servent à exprimer les luttes intérieures qui tiraillent les membres du groupe. La première à être mise en avant est La Chute des anges rebelles de Pieter Bruegel.
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Datant de 1562, l’œuvre met en scène la première confrontation entre le bien et le mal, lorsque Lucifer, l’ange le plus puissant, se révolte contre l’autorité divine avant d’être chassé du ciel par l’archange Michel, entraînant dans sa chute d’autres anges rebelles, condamnés aux ténèbres. La surface du tableau se divise horizontalement en deux parties : les cieux et l’enfer, évoquant cette lutte dans le travail de composition. Si l’œuvre de Bruegel est utilisée, c’est qu’elle illustre la transition entre deux états d’esprit exprimés par BTS.
Alors que leur précédent album, The Most Beautiful Moment in Life, se concentrait sur l’idée d’une jeunesse belle et flamboyante mais aussi imprudente et triste, l’album Wings, ainsi le single que “Blood, Sweat and Tears”, témoigne des tentations et des potentielles chutes qu’implique le passage vers la vie adulte. À ce sujet, RM expliquait : “Plus il est difficile de lutter contre une tentation, plus tu y penses et vacilles. Cet aspect incertain fait partie du processus de croissance. [“Blood Sweat and Tears”] est un son qui montre comment on pense, choisit et grandit.” Pour évoluer, les membres du groupe doivent faire un choix, entre bien et mal, aussi symbolisé par les deux portes qui entourent le tableau dans le clip.
“Interlude : Shadow”
“Interlude : Shadow”, titre solo de Suga extrait de Map Of The Soul : 7, démarre par une scène dans laquelle le rappeur se tient dos à une porte entourée d’une texture rouge qui s’étend en traînée sur le mur d’un long couloir. Un visuel qui n’est pas sans rappeler l’installation du sculpteur britannique Anish Kapoor. Nommée “Svayambh” qui signifie “self-made” ou encore “auto-généré” en sanskrit, cette dernière mettait en scène un bloc de cire rouge posé sur des rails et se déplaçant à travers le bâtiment où il était exposé. À mesure qu’il avançait et passait différentes portes, l’objet semblait laisser des bouts de lui sur le chemin pour adopter une forme différente.
Lors de son discours au Hirshhorn Museum, Anish Kapoor a expliqué que l’installation devait montrer la “transition” d’un objet se créant lui-même. Ici, Suga explore son évolution, de ses débuts (habillé en blanc), plein d’ambitions et de rêves, où il était alors semblable au bloc de cire rouge intact, aux peurs et angoisses qui ont pu l’envahir à mesure que le groupe gagnait en succès. Il chante alors : “Le moment où je vole aussi haut que je le souhaitais / Mon ombre grandit dans cette lumière destructrice / S’il vous plaît, ne me laissez pas briller.”
En se confrontant à son “ombre”, un archétype théorisé par Carl Jung et mobilisé par BTS dans la série Map Of the Soul, Suga semble perdre des parties de lui, en écho aux traces rouges qui s’étendent, pour adopter une nouvelle forme. Le morceau se termine par la conclusion qu’on ne peut éviter ce sentiment, mais seulement l’accepter pour être complet. En acceptant l’ombre, aussi bien que la lumière, il se forme et se crée pour passer les portes de ses ambitions, à l’image de l’installation d’Anish Kapoor.
“Black Swan”
Sorti quelques jours après le projet “CONNECT, BTS“, le clip de “Black Swan” semble illustrer la volonté du groupe de connecter et mettre en avant les différentes formes d’art puisque les sept membres s’effacent complètement au profit des danseurs slovènes de la MN Dance Company. Ici, c’est la danse qui est choisie pour porter le message du groupe comme le confirme la citation de la chorégraphe Martha Graham utilisée en introduction de clip : “Un danseur meurt deux fois. La première quand ils s’arrêtent de danser. Et cette première mort est la plus douloureuse.”
Parmi les sept danseurs, l’un d’entre eux représente le cygne captif, enchaîné, rabaissé par les autres, autour de lui. Une cage de lumière apparaît au milieu de la chorégraphie, représentant son incapacité à s’échapper de l’ombre qui le retient. Après une lutte acharnée, il finit par s’élever au-dessus de l’obscurité. C’est l’idée du cygne noir qui s’affranchit de sa position de victime, à la merci des forces extérieures, pour se muer en vainqueur.
Selon la description de “Black Swan” sur MelOn, ce titre raconte l’histoire d’un artiste, qui craint la mort de sa carrière, le moment où il ne peut plus se produire sur scène. Pour BTS, il s’agit d’explorer la peur de l’instant où la musique cessera de les toucher, la perte de passion pour une forme d’art, un instant perçu comme une première mort. “Si cela ne peut plus résonner en moi / ne peut plus faire vibrer mon cœur / Cela peut être considéré comme ma première mort”, chante RM. Une peur canalisée par le clip, et une conclusion qui nous rassure. BTS n’a pas fini de partager l’art sous toutes ses formes avec ses fans et le reste du monde.