En cette rentrée scolaire, le centre de Paris se transforme en terrain de jeu rendu vivant par la création actuelle du monde arabe. Pour sa troisième édition, la biennale des photographes du monde arabe contemporain s’invite dans les deux musées à l’origine du projet, la Maison européenne de la photographie (MEP) et l’Institut du monde arabe (IMA), ainsi que sept autres lieux.
Publicité
À la Cité internationale des arts, l’Égypte sera à l’honneur avec “Hakawi, récits d’une Égypte contemporaine”, tandis qu’à la mairie du 4e arrondissement de Paris, on se décalera vers l’ouest avec “Aller, retour”, un projet sur l’Algérie signé Lynn S.K. La galerie Agathe Gaillard expose “Le Don”, centré autour des rites ancestraux liés à l’Islam ; Clémentine de la Féronnière présente trois expositions autour du Maroc.
Publicité
Le pays du couchant lointain est également à l’honneur chez Graine de photographe, grâce au travail de Karen Assayag ; chez Basia Embiricos, l’accent sera mis sur la région syro-libanaise. À la galerie XII, le voyage est temporel autant que spatial puisque les images d'”Un Orient alors en paix” datent de la fin du siècle dernier.
Publicité
L’univers sensationnel d’Hassan Hajjaj
Les grands espaces lumineux de la Maison européenne de la photographie ont la chance d’accueillir le monde d’Hassan Hajjaj jusqu’au 17 novembre 2019. Rebaptisé pour l’occasion “Maison marocaine de la photographie”, le lieu expose plus de 200 images, ainsi que de nombreux objets créés par l’artiste aux mille facettes, photographe, mais aussi créateur de vêtements et d’objets.
Entre deux pauses sur un des sièges (signés Hajjaj) qui décorent les étages de l’espace, les imposants travaux du photographe marocain attendent les visiteur·euse·s. Ultra-colorées et souvent présentées à l’intérieur de cadres en trois dimensions agrémentés de boîtes de conserve, de bouts de pneu ou d’autres matériaux du quotidien, les images racontent le Maroc de l’auteur, sa diaspora et les relations Orient-Occident.
Publicité
Fasciné par la mode et la culture populaire, Hassan Hajjaj se joue de contrefaçons de grandes marques, imagine les femmes Vogue de 2048 et raconte ses Superstars dans des décors à la Malick Sidibé.
Souvent surnommé le “Andy Warhol marocain”, il préfère le surnom astucieusement donné par son grand ami, le musicien Rachid Taha, d’“Andy Wahloo” (qui signifie “je n’ai rien” en arabe), se moquant par là même de l’obsession occidentale des étiquettes.
Publicité
Voyages “entre réalité et fiction” libanaises
À l’Institut du monde arabe, les travaux d’une vingtaine d’artistes originaires ou amoureux du Liban sont mis à l’honneur. Sur deux étages, le musée fait se dialoguer des œuvres autour d’un pays petit par le territoire et grand par la multiplicité de visages, d’identités, de confessions et de langues qu’il porte.
Publicité
Les images sont exposées sur des murs qui se répondent les uns aux autres mais forment des espaces confidentiels. La visite se fait de façon géographique et sentimentale, à travers les visions d’artistes de générations et de vécus différents. Au fil des recoins de sa scénographie, l’exposition questionne le Liban “entre réalité et fiction”.
Dès l’entrée dans l’exposition, la série de Lamia Maria Abillama happe les visiteur·euse·s. Les regards fixes de femmes en uniforme dans leur intérieur rappellent, depuis des tirages couleur en grand format, l’infiltration pernicieuse de la guerre dans les moindres recoins de l’existence des Libanais·e·s. Rencontrée devant ses images, la photographe développe les prémices de ce projet sur des femmes “envahies par le spectre de la violence, elles ne vivent que dans ça, qu’elles aillent à Rome, à Milan, qu’elles soient riches, pauvres, finalement leur refuge, c’est leur maison et leur maison n’est que guerre”.
Si ces femmes, “gangrenées par cette vermine qu’est la violence”, portent des uniformes, c’est pour “représenter cette guerre, ces conflits incessants, l’assujettissement du pays à des guerres intestines” et opposer “l’énergie féminine passive, habitée par la guerre” à “ces politiciens qui nous ont mis dans cette situation catastrophique”. Commencée en 2007, la série ne “finira pas avant que la guerre ne finisse, et elle ne va pas finir donc elle ira jusqu’à ma tombe”, assure l’artiste.
Plus loin, aux côtés de Tanya Traboulsi et de ses diptyques entre ses deux pays – l’Autriche et le Liban –, de Demetris Koilalous et de son carnet de voyage saturé, on retrouve Omar Imam, photographe syrien qui immortalise avec une série sur la “mentalité des Syriens réfugiés au Liban et la relation entre les personnes et leurs rêves” dans des clichés imaginatifs et oniriques, ou encore Myriam Boulos, qui tourne quant à elle son objectif vers le milieu de la fête underground libanaise.
Le deuxième sous-sol est consacré à des séries davantage fictionnées, qui nous embarquent plutôt du côté du rêve que de la réalité. La série Underbelly de Lara Tabet raconte par exemple une fiction policière dans une scénographie sombre et inquiétante dans laquelle les ruines beyrouthines constituent le décor parfait d’une scène de crime.
Présentée jusqu’à la mi-novembre, cette multitude d’œuvres et les dialogues que ces dernières engendrent permettent un regard sur le monde arabe par le monde arabe. Si vouloir montrer des civilisations, cultures et géographies aussi différentes réunies sous le même nom de “monde arabe” est une tâche résolument ardue, tenter de le faire en multipliant les regards et les lieux semble être une bonne voie.
Les informations concernant la troisième biennale des photographes du monde arabe contemporain sont à retrouver ici.