“Je me suis pris des fameux coups dans la gueule et je pense que dans ces situations, soit on tombe par terre, soit on utilise l’humour”, me répond Barbara Iweins lorsque je lui demande, par téléphone, à quel moment son projet de photographier et classifier les 12 795 objets en sa possession a pris un tournant si drôle, aussi personnel qu’universel.
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Le ton est ainsi donné par l’artiste belge qui souhaite “arrêter un peu de se prendre au sérieux” car “la vie est déjà assez compliquée comme ça”. Au premier abord, son projet Katalog, exposé aux Rencontres photographiques d’Arles, pourrait pourtant paraître bien sérieux, presque austère. Pendant cinq ans, Barbara Iweins a méticuleusement photographié et détouré chacun des objets qu’elle possédait avant de les classer – selon leur couleur, leur matière, leur fréquence d’usage et l’endroit où ils se trouvaient dans sa maison.
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“Une période assez sombre”
L’idée lui est venue en 2017, alors qu’elle déménageait pour la onzième fois et vivait “une période assez sombre”. “J’ai divorcé et pris mes enfants sous le bras. J’étais complètement perdue, j’avais tellement bougé, je voulais de la stabilité”, nous confie-t-elle.
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Au début, c’est son désir d’interroger son rapport à la consommation qui la pousse à passer en revue ses objets : “On pointe toujours du doigt les autres mais les autres, c’est nous. J’ai voulu faire un aplat de tout ce que j’avais, voir à quoi ressemblait, d’un point de vue matériel, une mère avec trois enfants.”
“Artiste névrosée” fascinée par “l’esthétique Pinterest”, elle entame une réflexion à l’antithèse de l’idéalisation des réseaux sociaux. “Je ne veux pas poser de jugement sur la gratification immédiate, je comprends qu’on veuille exposer une certaine version de sa réalité, mais je me suis dit que je voulais montrer le verso de ce qu’on a l’habitude de voir. Je voulais montrer la chaussette trouée aussi”, confie-t-elle.
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Une œuvre sensible et monomaniaque
L’artiste s’embarque dans un voyage, elle le concède, un peu névrosé de cinq ans. “Tous mes amis se foutaient de moi, me disaient : ‘Dis-moi que tu as fini avec cette chose’, et je répondais : ‘Non, toujours pas’.” Elle tire de son travail des analyses fantasques : “La somme dépensée pour tous les objets de la maison est estimée à 121 046 euros”, “37 % des Playmobil de la maison sont chauves” ou encore “J’ai la faiblesse de croire que je suis la seule personne au monde à savoir que la couleur dominante de sa maison est le bleu (16 %).”
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Les images sont accompagnées de cinquante histoires liées à cinquante objets de Barbara Iweins, parce que, finalement, “un objet qu’on aime bien, c’est la représentation d’un moment, d’une personne, c’est tout ce que ça représente dans une vie”.
Drôles, touchantes, tristes ou fantaisistes, les courtes histoires de l’autrice sont personnelles mais loin d’être anecdotiques. Rappelant le travail de Sophie Calle, elles touchent la corde sensible du lectorat et racontent la solitude, le deuil et les questionnements familiaux et professionnels.
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Si Barbara Iweins ne savait pas si son livre toucherait “plus que des collectionneurs d’objets du quotidien”, elle a appris à moins s’étonner du nombre de personnes se reconnaissant dans ses névroses : “Je crois très honnêtement qu’on se ressemble beaucoup plus qu’on ne le croit. Les gens essaient d’être très uniques mais on se rejoint tous et toutes pas mal, hors des chances sociales évidemment, mais plutôt dans les sentiments.”
Ce travail n’a pas rendu l’artiste plus minimaliste, qui se considère comme “l’antithèse de Marie Kondo”, mais a débloqué d’autres sphères, moins matérielles : “Ç’a été une façon pour moi d’organiser ma vie, d’y mettre de l’ordre, d’avoir presque l’impression de la recommencer.” “Tout ce que je fais artistiquement, c’est une manière de me sauver moi-même”, conclut-elle. Et on ne pourrait dire mieux : après tout, chaque pas effectué n’est-il pas une manière d’essayer de se sauver soi-même ?
Vous pouvez retrouver le travail de Barbara Iweins sur son compte Instagram et sur son site. Son livre Katalog est disponible aux éditions Delpire & co. Le projet est exposé dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles jusqu’au 25 septembre 2022.