“Le street art, c’est comme un sport”, lance le jeune muraliste Omar Lhamzi. Depuis peu, une nouvelle génération d’artistes marocain·e·s investit l’espace public pour dessiner son univers à grande échelle, et changer la face de villes comme Rabat ou Casablanca.
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Il suffit de longer les avenues ou ruelles de la capitale pour voir émerger d’imposantes fresques de créatures fantasmagoriques ou de scènes de la vie courante. Elles sont signées par des artistes marocain·e·s et du monde entier, invité·e·s par le festival Jidar (“mur” en arabe).
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De bon matin, Omar Lhamzi (alias “Bo3bo3”), débardeur, jogging et chaussures éclaboussés de peinture, ne tient pas en place. Il dispose ses pots et bombes de peintures, choisit avec soin ses pinceaux et rouleaux pour “attaquer” son mur dans le quartier populaire de Yacoub El Mansour.
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Ce jeune homme de 25 ans n’aurait pas parié un dirham sur un avenir de muraliste quand il a décroché en 2018 son diplôme au réputé Institut national des Beaux-Arts de Tétouan (dans le nord du Maroc). “Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour, mon travail serait visible dans l’espace public”, explique à l’AFP cet artiste qui a réalisé ses premières fresques il y a quatre ans dans sa ville natale d’Agadir.
“À l’aise”
Dans un autre quartier de Rabat, Imane Droby, perchée sur sa nacelle, casque et casquette vissés sur le crâne, façonne le portrait hyperréaliste d’une brodeuse sur la façade d’une école publique. Comme Bo3bo3, cette Casablancaise de 36 ans a atterri dans l’art mural “un peu par hasard”. “J’y ai pris goût. Transformer un mur blanc en œuvre d’art est impressionnant.”
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Toutefois, elle concède que le monde du street art “est difficile pour tout le monde mais encore plus pour les femmes, il faut redoubler d’efforts pour s’imposer”. Les prémices de cet art urbain ont vu le jour au début des années 2000 à Casablanca. Au cœur de cette mégapole tentaculaire, une association de cultures alternatives, EAC-L’Boulvart, a multiplié les expérimentations jusqu’à la création en 2013 du festival Sbagha Bagha. “Au début, c’était très compliqué car, contrairement au graffiti ou au pochoir, la peinture murale nécessite une organisation”, souligne à l’AFP Salah Malouli, directeur artistique de Jidar et Sbagha Bagha.
“À l’époque, personne ne se sentait à l’aise pour travailler dans l’espace public. Beaucoup d’appréhensions qui commencent à se dissiper aujourd’hui”, dit-il. Ce projet séduit alors les riverain·e·s mais également les structures institutionnelles et privées, qui cherchent à dupliquer l’expérience à Rabat, Marrakech, Agadir et dans des localités reculées du royaume.
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“Affichage sauvage”
Cet engouement se heurte parfois à l’hostilité destructrice des propriétaires d’immeubles. À Tanger, cet été, les autorités communales avaient commencé à effacer un portrait de la photographe marocaine Leila Alaoui, tuée en 2016 lors d’un attentat à Ouagadougou (Burkina Faso), avant de revenir sur cette décision. L’affaire a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et dans les médias.
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“C’est à Casablanca que l’effaçage [des œuvres] est le plus flagrant à cause de l’affichage sauvage. L’espace public est envahi par les pubs, ce qui complique notre travail”, déplore Salah Malouli. Deux œuvres du street artiste italien Millo y ont été effacées en 2018 et 2020. Mais pas question de rendre les armes : “C’est le prix [à payer] pour travailler dans l’espace public, il faut accepter ce qu’il en sort, bon ou mauvais”, plaide le directeur artistique.
Pour Omar Lhamzi, “le street art, c’est comme un sport à travers lequel tu apprends à parler avec les gens et à les écouter”. Avec une palette de couleurs explosives, son univers surréaliste truffé de références au skate ou au gaming bouscule la monotonie du paysage urbain. Comme en témoigne sa dernière création : un bonhomme avec six oreilles, à la peau verte et rose fluo, comme suspendu dans une obscurité abyssale, un clin d’œil à La Nuit étoilée de Vincent van Gogh.
Chaque année, la scène marocaine grandit et le festival y contribue en invitant des débutant·e·s de tous horizons à donner leurs premiers coups de pinceaux sur un “mur collectif”, comme ce fut le cas précédemment pour Bo3bo3 et Imane Droby. Cette année, c’est l’artiste plasticien Yassine Balbzioui qui orchestre cet atelier d’initiation, une aubaine pour lui car, dans la rue, “tout est possible”.
Avec AFP.