À 26 ans, Sara s’épanouissait en peignant dans un Kaboul fertile culturellement, malgré la violence ambiante. Puis les talibans ont repris l’Afghanistan. D’abord terrorisée, elle a détruit nombre de ses œuvres. Mais aujourd’hui, elle envisage d’entrer en résistance artistique.
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“L’art pour moi, c’était de pouvoir exprimer tout ce que je n’arrive pas à dire avec des mots”, raconte-t-elle à l’AFP d’une toute petite voix. Sara peignait notamment des assiettes en terre cuite, sur lesquelles elle représentait ses modèles : des journalistes afghanes, des chanteuses, “dont on pouvait voir les cheveux, car aucune ne portait le hijab”.
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“L’art est ma vie”
Son art avait selon elle une visée “politique”. “Il traitait surtout des violences faites aux femmes”, quand les talibans, durant leur premier règne entre 1996 et 2001, ont multiplié les exactions sur ces dernières. À la mi-août 2021, deux jours après leur retour au pouvoir, Sara s’est rendue dans la petite échoppe où elle exposait et a “fracassé les assiettes au sol”.
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“Quand les morceaux n’étaient pas assez petits, j’ai pris un marteau”, soupire-t-elle lors d’une conversation sur WhatsApp. “L’art est ma vie. Je n’ai plus de futur”, se lamente l’artiste au doux visage recouvert d’un voile, qui ne sort plus guère de chez ses parents dans Kaboul.
Comme Sara, nombre d’artistes resté·e·s en Afghanistan ont cassé leurs instruments de musique, leurs sculptures, leurs peintures, selon de multiples sources interrogées par l’AFP. Tou·te·s se terrent à leur domicile par crainte de représailles des talibans, même si les islamistes, qui châtiaient les artistes dans les années 1990, affirment avoir changé – aucune vague d’arrestations n’est encore survenue.
Mais beaucoup d’artistes sont désormais sans argent, ne pouvant plus exercer. Certain·e·s mentionnent des menaces téléphoniques, que l’AFP n’a pu vérifier. Sodaba, une actrice renommée qui, comme Sara, témoigne sous pseudonyme par crainte de représailles, affirme vivre un “cauchemar” éveillé dans sa maison de la capitale afghane.
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Suicide artistique
Deux jours avant la prise de pouvoir des talibans, Sodaba raconte avoir reçu un appel d’un numéro inconnu. “Un homme m’a dit, d’une voix énervée : ‘Tu auras bientôt affaire à nous !'” Depuis lors, Sodaba garde souvent son téléphone éteint.
“Nous avons un groupe WhatsApp avec des artistes, qui disent que les talibans ont établi une liste de gens à retrouver. J’ai peur d’en faire partie”, s’inquiète-t-elle. Son amie Yasamin Yarmal, 58 ans, actrice elle aussi, dit s’être fait tirer dessus en 2018. Mais aucune des trois balles ne l’a touchée. “Il faisait noir. Ils m’ont manquée”, se souvient-elle.
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“L’art peut ouvrir l’esprit des gens, alors bien sûr, les talibans ont peur des artistes”, affirme-t-elle, car ces derniers “utilisent la religion comme une arme” contre la dissidence. Yasamin Yarmal a atterri fin août 2021 à Paris avec trois de ses cinq enfants. L’une de ses filles vivait déjà en Allemagne. Son aîné, handicapé, a été tué par les talibans en 1997. Ils l’avaient roué de coups alors qu’ils fouillaient sa maison, se remémore-t-elle. “Je ne voulais pas revivre ça.”
Ramin Mazhar était encore enfant quand les fondamentalistes ont été chassés du pouvoir en 2001 par une coalition internationale menée par les États-Unis. Deux décennies plus tard, il est devenu l’un des poètes les plus reconnus du pays.
Son “Je t’embrasserai au milieu de talibans” est devenu un hymne de la jeunesse afghane. “Tu es différente, tes baisers sont une protestation / Tu n’as pas peur de l’amour, de l’espoir, de demain / Je t’embrasserai au milieu de talibans, parce que tu n’as pas peur”, récite-t-il à l’AFP depuis Paris.
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Mais il peine à retrouver sur YouTube la chanson reprenant ses vers, qui a pourtant été vue à des centaines de milliers de reprises. Certain·e·s artistes se sentent obligé·e·s d’“effacer tous leurs travaux, toute leur vie”, observe-t-il. “C’est un peu comme se suicider, mais petit à petit.”
Résistance underground
Mais Ramin Mazhar ne veut pas baisser les bras, et imagine une résistance “secrète, souterraine, illégale” en Afghanistan, ou de l’étranger. L’artiste Rada Akbar, réfugiée en France, envisage une exposition à venir faite de miniatures qui montreraient que “les talibans ne sont pas le vrai Afghanistan, qu’ils ne représentent pas l’histoire et la culture du pays”.
Sara, qui a brisé ses œuvres à Kaboul, veut avec plusieurs autres artistes “sortir de nuit et peindre de l’art anti-taliban au pochoir” dans la capitale afghane. Maryam (sous pseudonyme), une autre peintre, âgée de 19 ans, va publier sur Instagram des créations numériques hostiles au nouveau régime.
Parmi celles-ci, une petite fille dézippe le sommet d’une burqa, dont s’échappent des colombes. Des corps tombent d’un avion en vol, autour duquel flottent trois ballons colorés. Des artistes afghan·e·s jouent sur un tank, devant un enfant miséreux.
“L’art se meurt en Afghanistan. Je vais me battre contre les talibans, pas avec des armes mais avec mon travail”, lance-t-elle. “En Afghanistan, les gens ont accès à Internet. Tout n’est qu’à un clic. Les talibans n’arriveront pas à interdire l’art en Afghanistan”, opine Farshad, l’un des fondateurs du collectif ArtLords, qui a couvert les murs de Kaboul de centaines de fresques.
Presque toutes ont été recouvertes de peinture blanche, puis de versets du Coran, par les islamistes juste après leur retour au pouvoir. “Les fresques qu’ils ont effacées à Kaboul, nous les repeindrons dans d’autres villes du monde”, affirme Farshad, qui témoigne sous pseudonyme depuis Paris car il compte retourner en Afghanistan pour tenter de faire partir des dizaines d’artistes d’ArtLords.
Puis il reproduit un dessin symbole de son collectif dans les bureaux de l’AFP : un combattant taliban, dont le lance-roquettes est rempli de crayons. “Le mouvement taliban mourra, prédit-il, mais l’art restera.”
Avec AFP.