En 2021, 103 000 demandes d’asile ont été enregistrées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Difficile de connaître le pourcentage de personnes ayant requis l’asile au motif de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre : l’OFPRA n’a pas le droit de révéler les motifs des demandes.
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Pour avoir un aperçu du parcours du combattant par lequel doivent passer les personnes LGBTQIA+ pour obtenir le statut de réfugié·e·s, il faut se tourner vers les organisations associatives, comme l’ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour). Cette dernière a accompagné plus de 500 personnes en 2021, venues de 53 pays différents.
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C’est à son contact, en 2021, que Laure Playoust commence sa série de portraits de demandeur·se·s d’asile LGBTI. Elle travaille d’abord pour le ministère français des Affaires étrangères sur les territoires palestiniens. “J’étais frustrée de bosser avec des institutions avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Cette expérience m’a fait m’intéresser de plus près aux parcours des personnes réfugiées”, nous raconte-t-elle. Elle rejoint ensuite Guiti News, média spécialisé dans les migrations. Dès son lancement, une question sous-tend la série : comment prouver l’intime ?
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“L’OFPRA base sa décision sur l’intime conviction de l’officier, c’est-à-dire son sentiment personnel, ce qui est terriblement arbitraire”, critique Laure Playoust. Elle interroge la vice-présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), chargée d’instruire en appel les dossiers refusés, sur les formations dont bénéficient les officiers de l’OFPRA.
“Ils reçoivent une formation sur les parcours LGBTI de 4 heures, une fois [en poste], ce qui est insuffisant. J’ai demandé pourquoi des officiers n’étaient pas formés pour prendre uniquement ces récits. On m’a répondu que ce sont les plus violents et qu’ils affectent les agents. Ils préfèrent donc les faire alterner, au risque qu’ils soient peu sensibilisés à ces parcours spécifiques, voire carrément LGBTIphobes !”, exprime-t-elle.
Un système “occidentalo-centré”
Laure Playoust dénonce par ailleurs des processus de vérification de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre “très occidentalo-centrés” et ne prenant pas en compte les contextes socio-culturels spécifiques : “Un homme m’a raconté qu’on lui avait demandé en quoi il était homosexuel s’il ne connaissait pas le Marais [ndlr : un quartier parisien gay]. Selon les pays, certain·e·s ne vont pas définir leur orientation comme relevant de l’homosexualité, car c’est un cadre de référence différent. [Les personnes LGBTI] diront [qu’elles] ont certains intérêts amoureux ou sexuels, sans revendiquer une dimension identitaire. Les institutions françaises ne réalisent pas que leur point de vue n’est pas universel.”
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Cette situation complexifie d’autant plus la procédure avec l’OFPRA au regard de ce qu’elle considère comme des incohérences. La photojournaliste détaille la double violence contenue dans le fait d’avoir dû se cacher toute sa vie et dans la brutalité des procédures d’asile qui forcent à parler : “Les officiers demandent des détails crus sur la sexualité des personnes. Pendant son entretien, on a demandé à Moses, demandeur d’asile libérien, s’il aimait la sodomie. Il s’est complètement fermé. Tout ce qui relève du répertoire de la sexualité, pour lui, c’est une insulte. Les procédures d’asile ne sont pas du tout adaptées à cette impossibilité à dire ou à avoir un autre référentiel sur la sexualité.”
Finalement, les personnes sont confrontées à un “double exil” qui renforce l’isolement auquel elles sont assignées. Laure Playoust développe : “Quand elles arrivent en France, elles doivent parfois se protéger de leur communauté, qui peut être homophobe et transphobe. En parallèle, elles font face à des cas d’officiers ou d’interprètes homophobes et transphobes. Elles ne savent plus sur qui compter. Pour cette raison, certain·e·s n’ont par exemple pas voulu montrer leur visage, mais les cicatrices des sévices subis à cause de leur orientation sexuelle.”
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Des récits marqués par le traumatisme
Au regard de ces trajectoires fortement marquées par le traumatisme, la photoreporter met un point d’honneur à raconter les parcours de vie derrière les images. Elle revient sur sa rencontre avec Moses :
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“Son père était le grand imam de sa ville. Quand son homosexualité a été découverte, les hommes de son village l’ont attaqué au couteau et sa famille ne l’a pas défendu. Il a dû s’enfuir, s’est prostitué pour survivre. Il a appris que ses parents étaient morts deux mois après son arrivée en France. Il dit que ses parents sont morts de tristesse.
Il lui restait un lien avec son frère, lequel s’est suicidé cinq mois après son arrivée. Moses vit avec une culpabilité énorme. Trois ans après, il n’a toujours pas de réponse de l’OFPRA. Comme d’autres migrants, il bosse sur des chantiers où il n’est pas déclaré et payé au lance-pierre.”
Depuis le lancement de sa série, Laure Playoust n’a pu photographier que cinq personnes. Cela s’explique par des enjeux de sécurité pour les personnes concernées : “Lorsque j’ai partagé avec elle les portraits que j’ai pris d’une réfugiée sénégalaise, elle a eu peur. Elle craignait les répercussions sur son enfant, resté au Sénégal. Pour contourner la mise en danger potentielle, je propose de faire des photos où on ne peut pas reconnaître la personne.”
Malgré la difficulté à montrer l’intimité au vu de ces parcours de vie difficiles, Laure Playoust assiste aussi à des moments privilégiés, comme lorsqu’elle rencontre Evgenii et Bogdan, couple gay russe ayant demandé l’asile en octobre 2022 : “Lors de notre séance photo, ils me racontaient avec joie leur amour du maquillage, des drag shows… C’est aussi parce qu’ils étaient actifs dans des groupes de discussion LGBTI en Russie. Le collectif rend plus facile la prise de parole.”
Si vous êtes dans cette situation et que vous souhaitez témoigner, vous pouvez participer à cette série photo en contactant Laure Playoust : laure.playoust@gmail.com. Cette série toujours en cours sera révélée en 2023 ; la photographe partagera toutes les informations via son compte Instagram.