Un argument écrit en lettres de sang, une princesse despotique, une Ukrainienne au pupitre : Ai Weiwei n’était pas maître des horloges, mais en montant à Rome son Turandot, l’artiste chinois fait tonner l’actualité.
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Dès les cinq premières notes lugubres de l’opéra inachevé de Giacomo Puccini, le public est plongé dans un univers chaotique et violent. L’artiste – qui fait ses débuts à l’opéra – n’accorde aucun répit au public. Turandot, au Teatro dell’Opera de Rome, résonne avec l’univers de l’artiste dissident de 64 ans. Il est connu pour ses œuvres dénonçant les dictatures et prônant la liberté d’expression.
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La présence de la cheffe d’orchestre ukrainienne Oksana Lyniv au pupitre ajoute à l’intérêt de la mise en scène, dont l’ouverture est placée sous le sceau du retour de la guerre en Europe. “Il est inimaginable que nous soyons encore les témoins de conflits [territoriaux]“, a déclaré Ai Weiwei au cours d’une conférence de presse. “Nous vivons la plus grande bataille humaine en Europe. Plus de trois millions d’Ukrainiens ont été contraints de fuir à cause de la guerre déclenchée par la Russie”, a-t-il ajouté.
Une menace omniprésente
L’opéra de Puccini, situé en Chine, est construit autour du personnage de la princesse Turandot, d’une insigne cruauté, qui tue ses prétendants échouant au jeu des trois énigmes. Des réfugié·e·s, une victime sacrificielle et un chœur moralement corrompu complètent la distribution. Ai Weiwei utilise des œuvres audiovisuelles frappantes pour intensifier la sensation de menace imprégnant l’opéra.
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Derrière un décor figurant les ruines d’une ville futuriste, Ai Weiwei projette des images bouleversantes tirées de l’actualité récente, qu’il s’agisse de travailleur·se·s hospitalier·ère·s portant masques et tenues de protection, de réfugié·e·s traversant des cours d’eau à gué, de la police anti-émeute affrontant des manifestant·e·s d’Hong Kong ou de migrant·e·s parqué·e·s.
Le chœur de l’acte III chante “Nous sommes perdus”, tandis que des images de matraquage, d’étranglement et de gaz lacrymogènes envahissent les écrans. Pour Oksana Lyniv, 44 ans, le puissant symbolisme visuel d’Ai Weiwei fait parfaitement écho aux intentions de Puccini, dont le Turandot est resté inachevé à sa mort en 1924. “Dès les premières mesures, on sent dans l’air le caractère apocalyptique de ce qui va arriver”, a-t-elle estimé.
Lyniv a été la première femme à diriger le prestigieux festival d’opéra de Bayreuth en 2021, et elle est entrée dans l’histoire en janvier 2022 lorsqu’elle a été nommée cheffe d’orchestre de l’opéra de Bologne – première maison italienne dirigée par une femme.
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Originaire de la ville ukrainienne de Brody, à environ cent kilomètres à l’est de Lviv, Oksana Lyniv évoque volontiers la résonance intime pour elle de Turandot, qu’elle a dirigé pour la première fois il y a huit ans à Odessa. De nombreux membres de l’orchestre, du corps de ballet et du chœur d’Odessa défendent aujourd’hui l’Ukraine, selon elle.
Ai Weiwei a tronqué la fin joyeuse de l’œuvre ajoutée par Franco Alfano, contemporain de Puccini, laissant au public le soin de décider de l’épilogue, de choisir son destin, de déterminer “quel rôle vous jouez dans cette société” – Turandot la tyrannique, Calaf, prince réfugié qui prend des risques, ou Liu qui se sacrifie par amour, explique Oksana Lyniv.
Konbini arts avec AFP.
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