Bodi Samba déclare vouloir “que les gens voyagent, qu’ils se sentent dans une autre dimension et se questionnent” face à son travail. À 25 ans, lui-même a déjà beaucoup voyagé. Désormais à Berlin, avec des allers-retours à Paris, il a passé quinze ans dans son Congo natal avant de déménager dans le centre de la France.
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Déterminé à rendre hommage à sa culture, à l’amour de l’art inculqué par sa famille et ses proches, au mouvement des sapeurs et à sa passion pour la mode, le photographe multiplie les casquettes et les projets. Rencontre avec un artiste qui s’est “spécialisé dans l’argentique” pour l’intensité que lui permet le procédé.
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Konbini arts | Salut Bodi, peux-tu nous parler un peu de toi et de ton parcours ?
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Bodi Samba | Je m’appelle Bodi Samba, j’ai 25 ans et je vis entre Paris et Berlin. Je suis originaire d’une petite commune congolaise de Kinshasa où j’ai passé la majeure partie de mon enfance. Avec l’aide de mon père, j’ai décidé de migrer en France, à Bourges, lorsque j’avais 15 ans. Par la suite, je me suis installé à Paris où je me suis familiarisé avec l’industrie de la mode et le milieu artistique.
J’ai plutôt un profil atypique. J’ai fait la moitié de ma scolarité en Afrique et l’autre partie en Europe, dans des branches plutôt généralistes. J’ai toujours développé un côté artistique via mon entourage et ma famille. […] Mes tantes sont couturières, mes oncles et mon père sont issus du mouvement des sapeurs et m’ont naturellement fait baigner dans la mode.
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Mon meilleur ami d’enfance au Congo est peintre et il m’a vraiment poussé à développer ma sensibilité à travers l’art. Ma cousine aussi, en étude aux beaux-arts, m’a fait découvrir la photographie avec l’œuvre de Gordon Parks, qui a retracé l’histoire de la ségrégation à travers la photographie. […] C’est à ce moment-là que je me suis dit que plus tard, je souhaiterais prendre en photo ce genre de moments. Ça a été un déclic pour moi. […]
À cette époque au Congo, nous étions peu informés sur ces métiers et l’apprentissage à suivre. Ainsi, je n’avais pas les moyens de nourrir ma connaissance ou d’y avoir accès contrairement en Europe. En arrivant en Europe, j’ai compris plein de choses qui m’ont permis de me définir en tant qu’artiste et développer la photographie dans mon travail. […] Aujourd’hui, je suis tout terrain et j’exerce en tant que directeur artistique, photographe et styliste.
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“Je voulais appréhender un nouveau moyen de communication et d’expression.”
Directeur artistique, photographe, styliste et mannequin, tu multiplies les casquettes. Comment ces différentes cordes se sont-elles ajoutées à ton arc ?
J’ai décidé de me spécialiser dans la direction artistique et le stylisme dès mon arrivée en Europe. Ces nouvelles cordes se sont ajoutées naturellement, j’ai commencé par ces deux métiers avant de me définir en tant que photographe.
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Il était pour moi essentiel de commencer ainsi, car j’ai pu pendant toutes ces années agrandir ma culture artistique et renforcer mes influences. En ce qui concerne le mannequinat, ça m’est un peu tombé dessus. Vivant entre Paris et Berlin, je pratique mon art dans ces deux capitales.
Comment ces différentes cordes entrent en relation, te permettent-elles de progresser ou d’interroger ton travail photo, par exemple ?
Il est pour moi essentiel de comprendre au mieux ces diverses cordes, car je peux mieux appréhender le travail du modèle quand je suis devant l’appareil, et celui du photographe et du styliste quand je suis derrière. J’arrive à avoir une vue à 360 degrés de ces différents métiers, car je les pratique et je les vis au quotidien. C’est vraiment quelque chose que j’adore et c’est très enrichissant. Chaque jour, j’apprends et me nourris de nouvelles choses et cela me permet d’être en connexion totale avec l’autre.
“Il n’y a pas de limites à mon imagination et le milieu dans lequel j’évolue déborde de créativité, et je me dois de le retranscrire en image.”
Comment tout cela s’insère dans ton travail de photographe ?
Je suis un vrai passionné de mode. Beaucoup d’artistes m’influencent aujourd’hui, tout comme ma culture. Elle prend une place considérable dans ma vie. La culture de la sape, transmise par mon père et mes oncles, représente environ 70 % de mon influence dans mes photos de mode.
Cela m’aide pour créer des moods, univers et des décors toujours plus extravagants. Pour moi, il n’y a pas de limites à mon imagination et le milieu dans lequel j’évolue déborde de créativité, et je me dois de le retranscrire en image.
“Je photographie la communauté afro parce que je trouve que cette communauté a été trop négligée par le passé.”
Qui sont les personnes que tu photographies ?
Je photographie la communauté afro principalement, à cause de ma culture bien sûr, mais aussi parce que je trouve que cette communauté a été trop négligée par le passé et je me dois d’embellir son image pour lui donner de la force et montrer qu’il y a encore de l’espoir et que nous pouvons être fiers de qui on est. “Black is beautiful.”
Je photographie aussi mon entourage, mes amis et ma copine – qui est également modèle, donc elle m’inspire beaucoup. Des paysages également, mais principalement la communauté africaine et plus précisément la femme noire. J’ai grandi avec une femme qui m’a donné et qui m’a élevé, une femme forte avec une lueur d’espoir en elle, qui était libre et qui m’a beaucoup inspiré, elle a été mon modèle pendant toute mon enfance. […]
“Retranscrire mon histoire autour de la culture africaine à travers une dimension artistique.”
Que veux-tu mettre en lumière avec ton travail ?
Retranscrire mon histoire autour de la culture africaine à travers une dimension artistique. Toutes ces influences, toutes ces choses qui m’entourent et que j’ai pu acquérir en Afrique et en Europe, j’ai réussi à les réunir autour d’un seul et même concept : “La liberté sans nom”, que j’ai abrégé “LSN”. J’ai créé ce concept pour m’exprimer en tant qu’artiste en toute liberté.
“Mes images valent 1 000 mots et je trouve ça beau, car chaque personne peut avoir sa propre interprétation.”
Ce concept est la fondation de ma vision artistique – mes œuvres parlant d’elles-mêmes, je n’ai pas besoin de parler pour m’exprimer librement. Mes images valent 1 000 mots et je trouve ça beau, car chaque personne peut avoir sa propre interprétation, et j’adore avoir les visions des autres quand ils voient mes œuvres. Vous ressentez mes influences dans mon travail, mais il n’y a que mon œuvre qui parle.
“Je suis vraiment amoureux de mes origines donc pour rien au monde, je ne les négligerais.”
Comment mets-tu en avant la communauté afro et ta culture africaine dans tes projets ?
Je mets en avant cette communauté afro en retranscrivant l’histoire du Congo, l’histoire des cheveux crépus de mes frères et sœurs, et dernièrement, avec mon projet Black is Beautiful, j’ai mis en avant la beauté africaine sous tous ses angles.
C’est une volonté, bien sûr, je dois montrer au monde la puissance de ma culture pour éduquer et montrer les mauvais comme les bons côtés, et j’adore ça. Je suis vraiment amoureux de mes origines donc pour rien au monde, je ne les négligerais.
Ayant eu la chance d’avoir une culture africaine et européenne – car cela fait dix ans maintenant que j’habite en France –, j’ai encore plus de choses à montrer, car j’ai mûri et ouvert les yeux sur plein de choses en arrivant ici, qui m’ont permis de comprendre énormément de choses sur moi.
J’ai la niaque de montrer au monde que nous ne sommes pas n’importe qui et que ma communauté est capable de faire beaucoup de choses. Je veux casser les codes et les préjugés. Je montre au monde la vraie essence et puissance de ma communauté.
“Je veux que les gens voyagent, qu’ils se sentent dans une autre dimension et se questionnent.”
Qu’espères-tu que tes images transmettent ?
La liberté, l’épanouissement, la prospérité. Je veux que les gens voyagent, qu’ils se sentent dans une autre dimension et se questionnent.
Peux-tu nous en dire plus sur ton utilisation des couleurs ?
J’utilise beaucoup d’accessoires : néons, sacs plastiques colorés, lampe torche… J’optimise vraiment les couleurs avec du home made. J’aime installer un mood plutôt dark cinématographique, car je ne veux pas que mes photos paraissent lambda, le spectateur doit voyager.
Comment se passe un shooting avec toi ?
“Good vibes only.” Je suis souvent en transe (rires), car je suis dans mon élément. On est là pour s’amuser et je veux que la personne se sente libre, donc je dois m’assurer que la personne est à l’aise avec le concept souhaité.
C’est quoi un bon portrait selon toi ?
Un bon portrait pour moi doit retranscrire la vraie histoire d’une personne. Pourquoi la vraie histoire ? Je trouve que dans ce monde, tout est identifié par deux entités, le bien et le mal. Chez une personne, il y a ces deux côtés, comme un côté artistique et un côté non artistique.
J’ai longtemps été dans le côté non artistique en arrivant en France car quand je suis arrivé, je m’étais tellement imprégné de la culture européenne que j’avais oublié ma propre culture afro. J’ai réussi à me développer en tant qu’artiste car j’avais besoin de ces deux côtés. Aujourd’hui, je vous parle en tant que Bodi Samba. Je mets en avant mon parcours, mes expériences et mon art.
Vous pouvez retrouver le travail de Bodi Samba sur son compte Instagram et sur son site.