À cause du Muslim Ban, la photojournaliste d’origine palestinienne Eman Mohammed ne pourra pas faire partie du jury du World Press Photo à Amsterdam.
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Dans une tribune pour le Time, la journaliste Eman Mohammed s’est étendue sur le Muslim Ban, se confiant sur comment celui-ci l’affecte professionnellement et l’effraie personnellement. Pour rappel, le Muslim Ban est l’un des premiers ordres exécutifs ordonnés par Donald Trump. Un “ordre exécutif”, rappelle le Daily Mail, est une déclaration officielle qui indique aux agences gouvernementales comment gérer leurs ressources.
Dans le cas présent, le Muslim Ban empêche les citoyens de sept pays (l’Irak, l’Iran, la Libye, le Soudan, la Syrie et le Yemen) d’entrer dans le territoire américain pendant 90 jours. Rappelons aussi que Trump a interdit toute demande d’asile pendant 120 jours, et a suspendu de manière indéterminée les demandes d’asile de réfugiés syriens… Le 45e président des États-Unis a choisi ces pays pour leur population majoritairement musulmane, mais précisons tout de même qu’il n’a par exemple pas inclus l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis ou l’Égypte (des pays pourtant musulmans).
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Une liste arbitraire donc, comme le pointe le Guardian, qui se demande pourquoi ces pays ont été miraculeusement épargnés : “Trump n’a-t-il pas osé offenser l’Arabie Saoudite à cause des rapports commerciaux que le pays entretient avec de riches Saoudiens ? L’Égypte a-t-elle été écartée parce que Trump développe une relation amicale avec le brutal dictateur du pays, le général Abdel Fattah al-Sissi ?”
Mais les citoyens de ces sept pays ne sont pas les seuls concernés en pratique. Basée à Washington où elle vit avec ses deux filles et son compagnon, Eman Mohammed devait partir pour Amsterdam, afin de faire partie du jury d’un concours de photojournalisme : le World Press Photo. Comme elle le raconte dans la tribune du Time, la Palestine ne fait pas partie des pays “bannis” par Trump. Pas très sûre d’elle au début, elle avait tout de même décidé de prendre le risque et de quitter les États-Unis.
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En contact avec une avocate “devenue une amie étant donné la situation”, précise Eman Mohammed, celle-ci finit par la dissuader de partir :
“Je lui ai demandé comment je pouvais faire l’objet du ‘ban’ étant donné que je suis Palestinienne et elle m’a expliqué que mon pays, selon les États-unis, n’est pas un pays mais un territoire occupé. Comment pouvais-je l’oublier ? Après tout, je me démène avec les compagnies aériennes à chaque fois que je réserve un billet pour la Palestine.”
Le Muslim Ban a sans surprise des conséquences au-delà des populations visées et au-delà des États-Unis. La culture prend de nombreux coups : après le réalisateur iranien Asghar Farhadi qui a annoncé ne pas pouvoir assister à la cérémonie des Oscars à laquelle il est pourtant nommé pour son film Le Client, c’est au tour de la photographie de se voir privée d’une de ses photo-reporters les plus réputées, et sans doute une des plus courageuses.
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Une carrière courageuse
À 19 ans, Eman Mohammed devient la première femme photojournaliste de la bande de Gaza. Aujourd’hui photographe respectée et reconnue, elle est aussi devenue conférencière pour les TED Talks (ces vidéos d’intervenants inspirants qui racontent leur histoire et cherchent à faire évoluer les mentalités) tant elle a fait preuve d’audace et de détermination.
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Dans une conférence TED, elle revient sur son parcours et ses débuts et sur combien elle a été découragée par ses pairs de poursuivre une carrière qui n’était pas réservée aux femmes :
“Mon travail en tant que femme photographe était considéré comme un grave affront aux traditions locales et a engendré une stigmatisation permanente pour moi et ma famille. La dominance masculine dans ce domaine a rendu ma présence impossible. On m’a signifié qu’une femme ne pouvait pas faire le travail d’un homme. Les agences de photo à Gaza ont refusé de me former à cause de mon sexe.
Trois de mes collègues m’ont même conduite dans une zone de bombardements où les bruits d’explosion étaient la seule chose que je pouvais entendre. La poussière volait dans l’air, et le sol remuait comme une balançoire en-dessous de moi. J’ai réalisé que nous n’étions pas là pour documenter l’événement quand ils sont tous trois remontés dans la Jeep blindée et sont partis, me faisant des signes de la main et rigolant, me laissant seule dans la zone de bombardements.
Pendant un moment je me suis sentie terrifiée, humiliée et je m’apitoyais sur mon sort. L’action de mes collègues n’était pas la seule menace de mort que j’ai reçue, mais elle a été la plus dangereuse.”
Loin d’abandonner, Eman Mohammed a réfléchi à comment faire de sa différence une force. Être une femme lui portait préjudice dans un milieu masculin, mais cela pouvait devenir sa particularité. Étant femme, elle était autorisée à entrer dans des endroits dans lesquels ses collègues masculins n’avaient pas accès. Les histoires des femmes étant considérées comme insignifiantes, elle raconte avoir commencé à porter de plus en plus attention à la condition féminine : “Derrière la douleur et la lutte évidentes, il y avait une bonne dose de rires et d’accomplissements.”
En conclusion de la vidéo, elle définit ainsi son travail de photo-reporter :
“Mon travail n’est pas de maquiller les cicatrices de la guerre mais de montrer l’étendue des histoires tues des Gazaouis. En tant que Palestinienne, femme et photographe, le chemin de la lutte, de la survie et la vie de tous les jours m’ont inspirée à surmonter les tabous de la communauté et à voir un autre aspect de la guerre et de ses répercussions. Je suis devenue un témoin avec un choix : fuir ou rester debout.”
Eman Mohammed photographie les bombes, les ruines, les civils perdus au milieu de ce qui était autrefois leur foyer. Elle photographie la perte matérielle et la perte humaine, la perte de repères. Mais elle attache aussi de l’importance à capturer les moments de liesse ; les doigts tendus de la victoire au-dessus d’un drapeau, les sourires de ceux qui ont échappé au pire et le courage de ceux qui survivent.
La vie aux États-Unis
La première chose que l’on voit sur la page Facebook d’Eman Mohammed est une photo sur laquelle on peut lire : “You broke the ocean in half to be here. Only to meet nothing that wants you” (soit : “Tu as partagé l’océan en deux pour arriver ici. Pour ne rien rencontrer qui veuille de toi”). Elle précise que depuis quelques mois, elle sent le climat politique, et les regards posés sur elle, changer. Elle voyait son histoire comme un bel héritage, mais le climat actuel lui fait doucement changer ses propos :
“Parfois j’omets de préciser que mes deux filles sont des Américaines musulmanes et que je suis l’immigrante de la famille. Parfois, je me devais d’appuyer le fait que non, elles n’ont pas d’autre nationalité et que, non, nous n’avons pas gagné la “green card” à la loterie. Elles sont juste Américaines, avec une foi musulmane et une mère immigrante. Ce n’est la faute de personne. C’est simplement la vie.”
Celle qui pensait symboliser l’Amérique, étant une ancienne réfugiée, une immigrante et une citoyenne, et qui se réjouissait de son “cercle chaleureux d’amis américains de différentes couleurs et ethnicités”, veut protéger sa famille de “l’effet Trump” :
“Cet incident prouve que le décret du président Trump cible des familles civiles innocentes, séparant des familles. Cela signe sans doute la victoire de ce qu’il cherchait tout du long : il a instillé la peur dans nos vies, a rendu nos journées plus longues et plus difficiles, il a divisé notre Nation et nous a demandé de choisir un camp. Mais ma liberté ne m’a pas été servie sur un plateau d’argent. Je l’ai méritée. Et aux yeux de la loi, je reste une citoyenne américaine légale, alors que le décret du président ne l’est pas.”