En avril dernier, lille3000 a inauguré la cinquième édition de son festival thématique transsaisonnier traversant le printemps, l’été et l’automne. À travers des expositions photo, du street art, des installations immersives, le festival s’attaque aujourd’hui au thème de l’Eldorado, sous toutes ses formes : que ce soit les crises migratoires en Europe ou aux États-Unis, le tourisme, ou encore la ruée vers l’or…
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Un accent tout particulier est mis cette année sur le Mexique – avec notamment l’exposition collective “US-Mexico Border” ou encore des grandes fresques et sculptures de Calaveras éparpillées dans la ville, réalisées par des artistes mexicains.
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“La programmation de cette édition […] abordera […] le changement climatique, qui nous invite à repenser nos modes de vie […], collectifs comme individuels […] ; les migrations, toujours plus nombreuses, qui posent la question des inégalités de notre monde […] et de l’accueil des réfugiés. Nous avons choisi de faire un focus sur le Mexique, qui vit l’ensemble de ces problématiques”, explique Martine Aubry, maire de Lille.
En une journée, nous avons pu faire un beau tour de la ville, du festival et des expositions qu’il propose. Focus sur cinq projets qui méritent le détour.
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Perdez vos repères dans l’Infinity Room de Yayoi Kusama
On ne présente plus Yayoi Kusama, l’artiste qui a donné vie à ses hallucinations mentales de petits pois à travers ses nombreux travaux qui voyagent de musée en musée et qui ne cessent de dérouter les spectateur·rices. Au Tripostal de Lille, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”, l’artiste japonaise présente son installation Infinity Room – Fireflies On The Water : une pièce sombre remplie de miroirs et de petites lumières LED colorées suspendues sur différentes hauteurs.
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Les visiteur·euses entrent en nombre réduit dans la pièce, marchent sur une petite plateforme placée sur une sorte de mare. Le reflet des lumières scintillantes dans l’eau et dans les miroirs crée un sentiment d’infinité, comme son nom l’indique, où l’on flotte comme si on se trouvait dans le paysage mental de Kusama. Une perte de repères assurée dans un espace qui force l’enchantement, à voir jusqu’au 1er septembre.
Prenez un bol d’air frais avec Mathias Kiss
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Le travail de l’artiste-plasticien français Mathias Kiss tourne bien souvent autour d’objets dorés, de nobles cadres géométriques-anarchiques et de miroirs. À travers son installation Besoin d’air, exposée au Palais des Beaux-Arts de Lille, Kiss propose aux visiteur·euses de plonger littéralement dans les cieux.
Sous la forme d’une piscine de miroirs, l’œuvre reflète le plafond de l’atrium sur lequel sont posés des carrés de ciel et de nuages, avec un effet pixélisé. À travers les carreaux miroirs de cette “piscine”, l’image d’un ciel uniforme se construit au gré de nos mouvements, ouvrant ainsi l’intérieur vers l’extérieur. Une rêverie renversante à voir jusqu’au 6 janvier 2020.
Pénétrez dans une contrée apocalyptique avec Anne et Patrick Poirier
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Alors que la série Chernobyl nous replonge dans la plus grave catastrophe nucléaire du XXe siècle, la Danger Zone d’Anne et Patrick Poirier nous propulse dans un monde où l’apocalypse aurait eu lieu. Ce duo “d’enfants de la guerre” a créé une bulle de protection transparente, à l’abri d’un monde extérieur que l’on peut imaginer radioactif.
Dans cette bulle à peine éclairée par des lumières blanches et vertes – et apparemment habitée –, se trouvent des objets disparates que l’on peut voir comme des reliques d’un autre temps : des pneus, des bidons, des affiches, des machines à écrire, des ordinateurs, des photocopies, des animaux empaillés. “D’après la légende, les survivants d’une catastrophe auraient ramassé ces débris dans des décombres en 2025. Figée dans le temps, Danger Zone est une ‘ruine du futur’, une scène d’anticipation qui souligne la fragilité des civilisations et de la nature menacée par les désastres écologiques”, résume le duo.
Une installation dystopique qui nous immerge dans les heures les plus sombres de l’humanité, avec une volonté de mémoire. À voir jusqu’au 1er septembre au Tripostal de Lille, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”.
Plongez dans la chambre dorée de Mircea Cantor
Toujours poétiques et minimalistes, les œuvres de l’artiste roumain Mircea Cantor ne se limitent pas à leur esthétique. Dans Heaven And Hell Simultaneously, la beauté de cette pièce dorée, située en plein cœur du Palais des Beaux-Arts, contraste avec ce qu’elle dénonce. En entrant dans la pièce, les visiteur·euses remarquent vite qu’il s’agit de couvertures de survie dorées, accrochées aux murs et étalées au sol.
Dans la lignée des objets ready-made de Marcel Duchamp, il utilise la couverture de survie pour rappeler le sort des migrants qu’on recouvre de cette matière à la couleur noble et paradoxale si on pense à sa fonction : couvrir les défavorisé·e·s. Au centre, on retrouve la sculpture Epic Fountain : des doubles hélices d’ADN faites avec des épingles de sûreté en or 24 carats comme une preuve matérielle de l’humanité et de sa mutation.
“Tel un agent double, la couleur or transforme l’enfer en rêve et vice versa.” Ainsi, l’artiste met le doigt sur les injustices de cet Eldorado que les migrant·e·s recherchent, et plus globalement, de notre monde. Nécessaire et à voir jusqu’au 2 septembre.
Réservez une chambre à l’Hôtel Barrágan : une pièce, une ambiance
À la gare Saint-Sauveur, l’Hôtel Europa s’inspire de l’architecte mexicain Luis Barrágan, connu pour sa Casa construite à Mexico en 1948, et habitée par lui-même jusqu’en 1988. Alternant les styles baroques et ultramodernes, voire conceptuels, cet “hôtel” nous transporte de chambre en chambre, dans des univers radicalement différents : on peut passer d’une pièce sobre comportant un escalier sans issue à une salle bleue remplie de hamacs, puis se perdre dans une antichambre faite de miroirs ou encore dans une chambre dorée à la décoration exubérante.
“Inventeur de la théorie de l’architecture dite émotionnelle, le style austère mais coloré de Barrágan est une fusion, souvent associée aux projections occidentales sur les mouvements modernes mexicains qualifiés d’exotiques car plus sensuels, plus proches de la nature que les courants européens”, peut-on lire. Cet interlude dans la jungle qu’est “La Déesse Verte” – lieu d’expos bien touffu – place les émotions du visiteur·euse au cœur de l’expérience architecturale. À visiter jusqu’au 3 novembre, et vous pouvez même réserver des chambres pour une durée d’une ou deux heures.
Et parce qu’il est difficile de se limiter à cinq projets, voici quelques autres recommandations :
- Hope d’Adel Abdessemed : une immense embarcation de fortune échouée, remplie de sacs-poubelle moulés en résine, dépeint le sort de milliers de réfugié·e·s. Ces traversées sont à la fois synonymes d’espoir et de tragédies. Les sacs-poubelle “sont autant de linceuls mortuaires” et annoncent comme une prémonition les premières arrivées de migrant·e·s à Lampedusa, en Italie puisque l’artiste algérien a commencé ce projet en 2011. À voir jusqu’au 1er septembre au Tripostal, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”.
- Flea Market Lady de Duane Hanson : à taille humaine et ultra-réaliste, cette œuvre reproduit le corps d’une femme assise sur un siège pliant au marché aux puces, lisant nonchalamment son magazine. Autour d’elle, des livres divers et variés, de charmantes peintures. Au-delà du kitsch, cette scène innocente témoigne d’un ailleurs rêvé et d’une critique du mode de vie à l’américaine, car c’est souvent à ce genre de personnages que les migrant·e·s mexicain·e·s sont confronté·e·s en franchissant la frontière. Jusqu’au 1er septembre au Tripostal, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”.
- One Has To Wander Through All The Outer Worlds To Reach Innemorst Shrine At The End, de Qiu Zhijie : calligraphe de formation, Zhijie est connu pour ses gigantesques cartographies et sa maîtrise de l’artisanat chinois. Pour cette cartographie géante, il s’est inspiré du concept d’utopie pour ré-imaginer notre monde sur des murs entiers, le tout réalisé à l’encre. Au pied de chaque mur, une trentaine de statues en verre soufflé à la main, représentant des créatures étranges. Très détaillée, la carte révèle des nouveaux continents ou pays comme “L’Âge de la découverte”, le “Vieux monde”, le “Golfe de Marco Polo”, des mers comme la “Mer de la géopolitique”, “Mer de la biodiversité” ou encore la “Mer des barbares”. Une réécriture de la géographie de l’histoire humaine à travers un voyage sans fin, à voir jusqu’au 1er septembre au Tripostal, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”.
- Savage #5 (Cosy Crutch) d’Anna Uddenberg : terriblement contemporaine, cette sculpture montre une mannequin taille humaine sans visage chevauchant une valise comme dans un rodéo monstrueux. À travers cette “pose comme un impossible selfie”, l’artiste a voulu critiquer la société de consommation et le tourisme de masse à l’ère des réseaux sociaux et de l’hyper-mobilité : “Évoquant l’imaginaire de la mode, du mannequinat ou de l’industrie pornographique, partagée entre la douleur et le plaisir, ce personnage à la féminité sur-exhibée est un véritable alien, monstre mythologique actuel, composite de corps et d’objets, créature-machine en route vers un Eldorado mutant.” Une installation anxiogène à voir jusqu’au 1er septembre au Tripostal, dans le cadre de l’exposition collective “Eldorama”.
- Mais aussi, la sculpture Museum of the Moon de Luke Jerram qui vous accueille à la gare de Lilles Flandres ; la série Surreal Mexico de Benoit Paillé aux Anciennes Écuries à Roncq, qui vous donnera l’impression d’être sous acides ; au Tripostal, la série Ge Ouryao ! Pourquoi t’as peur !, de Laura Henno qui a suivi des jeunes Mahorais et Comoriens sans papiers, surnommés le “gang des Boucheman” et vivant dans une cabane sur une plage ; l’installation Happy Go Lucky, The Darkest Journey de Marnie Weber, en forme de barque transportant des créatures démoniaques et enchantées au sein d’une atmosphère menaçante et orageuse, en route pour l’inconnu ; la fresque La Théorie des tempêtes d’Abdelkader Benchamma qui nous transporte dans un chaos céleste, dialoguant avec une énorme sculpture de dragon imaginée par l’artiste Chen Zhen ; l’installation Non Orientable Nkansa II d’Ibrahim Mahama rassemblant 2 000 boîtes de cordonniers collectées au Ghana, conçues par leurs soins, en quête d’une vie meilleure ; Looking for America de Hank Willis Thomas qui a reproduit en sculpture de bronze la célèbre photo de Danny Lyon prise en 1964, représentant Clifford Vaughs, un militant afro-américain des droits civiques malmené par les forces de l’ordre lors d’une manifestation ; la pancarte Pornocity de Gilles Barbier, menant vers un autre monde, criblée de balles à la manière des westerns, sauf qu’à y regarder de plus près, ce ne sont pas les diamètres des douilles mais plutôt celles de pénis nommés “James” ou “Léon”.
“Eldorado”, un événement culturel organisé par Lille3000 à découvrir jusqu’au 1er septembre 2019 (pour la plupart des expositions) à Lille.