Alors que ça faisait presque trente ans que Josef Koudelka n’avait pas été exposé à Paris, le photographe a fait don de soixante-quinze de ses images au Centre Pompidou, dont de nombreuses inédites. L’établissement les dévoile à l’occasion d’une exposition événement intitulée La Fabrique d’Exils et qui aura lieu du 22 février au 22 mai 2017.
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Un poing serré en noir et blanc, la place Venceslas, à Prague, en arrière-plan… Nous sommes le 22 août 1968, les chars armés du pacte de Varsovie envahissent la ville et Josef Koudelka immortalise l’Histoire. Armé de son appareil photo, il capture l’arrivée de l’Armée rouge et la résistance du peuple tchécoslovaque.
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Ses images, publiées sous le pseudo P.P. – qui signifie “Prague Photographer” – sont rapidement remarquées et Koudelka reçoit anonymement le prestigieux prix Robert Capa. Des années plus tard, ces images seront compilées dans un ouvrage remarquable, intitulé Invasion Prague 68. Pourtant, à l’époque, le photographe n’a pas l’intention de rafler les prix mais plutôt de fuir son pays, qui lui offre de moins en moins de perspectives.
Une vie de vagabondages
En 1970, il quitte la Tchécoslovaquie et s’exile. Dans un premier temps apatride, il finit par obtenir l’asile politique en Grande-Bretagne et intègre la prestigieuse agence Magnum. Dans ces conditions, il aurait pu s’offrir à nouveau un quotidien bien rangé, mais le photographe aux semelles de vent préfère reprendre la route. Concernant cette décision, il confie :
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“C’est en quittant la Tchécoslovaquie que j’ai découvert le monde. Ce que je voulais surtout, c’était voyager pour pouvoir photographier. Je ne voulais pas avoir ce que les gens appellent un “chez soi”. Je ne voulais pas avoir à revenir quelque part. J’avais besoin de savoir que rien ne m’attendait nulle part, je devais être là où j’étais, et si je ne trouvais plus rien à photographier, il était temps de partir ailleurs.”
Il commence alors ses années d’exil sur les routes d’Europe. L’hiver, il reste à Londres ou à Paris pour développer ses images, et il repart ensuite se livrer à une vie de bohème faite de vagabondages. Fasciné par la thématique du nomadisme, il sillonne l’Europe aux côtés de Gitans, communauté qu’il décide d’immortaliser durant de nombreuses années, jusqu’à lui consacrer un ouvrage en 1975.
“J’ai appris à dormir partout, dans n’importe quelles circonstances”
Il traverse différents pays, accompagné de son sac de couchage, de son tapis de sol et de ses appareils accrochés en bandoulière. Il se nourrit de pain et de lait et n’a pas de domicile fixe. Il dort ici et là, dans des champs, chez des amis, dans l’atelier d’Henri Cartier-Bresson, sur une route près d’une maison abandonnée, au sein de l’agence Magnum avec ses classeurs de négatifs. Il devient alors une véritable figure rimbaldienne : un photographe libre et sans attache.
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“Je savais que je n’avais pas besoin de grand chose pour vivre et photographier – juste de quoi manger et une bonne nuit de sommeil. J’ai appris à dormir partout, dans n’importe quelles circonstances. Ma règle était : ne t’inquiète pas de savoir où tu vas dormir, jusqu’à présent, tu as toujours dormi quelque part et tu dormiras à nouveau ce soir.”
Régulièrement, l’artiste apparaît sur ses images : on aperçoit alors sa main, son poignet, ses pieds ou même son ombre. Une manière de revendiquer la subjectivité de son travail. Le photographe pousse sa démarche encore plus loin en se prêtant à l’exercice de l’autoportrait. Durant toute la période d’Exils, Koudelka immortalise ses couchages d’une nuit, du bout du bras, sorte de selfie avant l’heure. Cela n’a rien de narcissique : ces autoportraits sont un moyen d’attester d’un moment donné de sa vie.
Il photographie son expérience, mais habite aussi sa photographie : ce qu’il est en train de vivre se mélange avec ce qu’il est en train de produire. Une confusion entre sujet et objet qui apporte du relief à l’œuvre de de Koudelka. Pudique, le photographe n’avait jamais envisagé de montrer ses images avant que le Centre Pompidou ne s’intéresse à ce travail. Exposer ces photos était une volonté du commissaire d’exposition, qui souhaitait montrer une autre vision de Koudelka, plus autobiographique.
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Une exposition après trente ans d’absence
C’est durant ses années d’errance, entre 1970 et 1980, que Koudelka réalisera les images qui composent sa série Exils. Ces photographies sont publiées dans un ouvrage du même nom en 1988 – œuvre qui deviendra rapidement une référence bibliographique et photographique. Ces images, à présent iconiques, donnent l’impression d’avoir été vues et revues de nombreuses fois. Pourtant, presque trente ans plus tard, le Centre Pompidou nous présente des inédits de cette époque dans une exposition intitulée La Fabrique d’Exils.
En effet, en 2016, le photographe a décidé de faire don à Beaubourg de soixante-quinze de ses images de sa série Exils, déclarant : “La France m’a donné beaucoup, je devais lui donner aussi quelque chose en retour.” Josef Koudelka a donc ressorti pour l’occasion de nouvelles photos qu’il n’avait jamais montrées jusque-là, comme les planches sur lesquelles il collait ses images pour organiser son travail ou encore ses fameux autoportraits.
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Si faire une nouvelle exposition l’importait peu – travail trop éphémère au goût du photographe –, il était en revanche enthousiaste à l’idée de publier un nouveau catalogue d’exposition – un objet durable qui restera dans l’histoire. En publiant La Fabrique d’Exils (aux éditions Xavier Barral), Koudelka donne une nouvelle vision de son ouvrage de 1988. C’est d’ailleurs peut-être ce qui caractérise les grandes œuvres : elles permettent d’en faire des interprétations différentes.
Véritable maître de la perspective et des noirs et blancs contrastés, Koudelka nous offre à travers son livre, comme à travers son exposition, des images particulièrement puissantes. Aujourd’hui âgé de 79 ans, le photographe ne baroude plus autant, mais vit toujours ses voyages en images. Comme il le dit lui-même : “On ne revient jamais d’exil.”
Josef Koudelka, La Fabrique d’Exils, du 22 février au 22 mai 2017 à la galerie de photographie du Centre Pompidou à Paris.