Ma vie est aujourd’hui en danger, Monsieur le président, et mon intégrité, physique comme psychologique est, chaque jour qui passe, un peu plus menacée.
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Dans cette lettre ouverte, qui fait suite à un premier appel sur TF1 lancé juste après les révélations d’espionnage de la NSA à l’encontre d’au moins trois présidents de la République français, Julian Assange invoque l’aide de François Hollande et appuie sa requête de devenir réfugié politique par une révélation d’ordre personnel : “Mon plus jeune enfant et sa mère sont Français.”
Vivant sous le coup d’une extradition vers la suite pour une douteuse affaire de “viol par surprise”, l’homme qui est derrière les bruyantes divulgations de WikiLeaks en appelle donc à la France pour plusieurs raisons, d’ordre morale et d’ordre intime :
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En m’accueillant, la France accomplirait un geste humanitaire mais aussi probablement symbolique. […] Elle enverrait aussi un signal à tous ceux qui, de par le monde, saisis par l’hubris, trahissent leurs valeurs en s’attaquant incessamment aux citoyens qui s’y refusent. La France a longtemps été porteuse d’espérance et de singularité pour de nombreux peuples et individus de par le monde.
Moins d’une heure après diffusion de sa lettre, l’Elysée rejetait en vitesse le statut de réfugié politique demandé par le journaliste. Afin de mieux comprendre les enjeux d’une demande d’asile de Julian Assange et ce que son accueil en France aurait changé, nous avons posé quelques questions à Juan Branco, conseiller juridique de WikiLeaks, qui travaille étroitement avec Julian Assange.
Konbini | Juan Branco, vous êtes “conseiller juridique” de WikiLeaks. Quel est votre rôle au sein de ce site lanceur d’alertes souvent objet de la polémique ?
Juan Branco | Tout d’abord, c’est moi qui ai fait l’intermédiaire entre Julian Assange et Le Monde pour la publication de cette lettre ouverte adressée au président de la République. Mais le reste du temps je suis membre de l’équipe de défense de WikiLeaks et travaille avec Baltasar Garzon, le magistrat espagnol qui a notamment fait extrader Pinochet, ainsi qu’avec les 60 avocats qu’il dirige. Toute une partie de notre rôle concerne WikiLeaks en tant que tel et ses complications juridiques, mais aussi les affaires personnelles de Julian Assange, l’espionnage dont nous sommes victimes, etc.
K | Pourquoi cette lettre sort-elle justement aujourd’hui ?
Nous la publions en réaction à l’actualité qui nous entoure. Elle a été notamment écrite en réaction aux propos de la Garde des Sceaux : Christiane Taubira expliquait implicitement qu’elle était favorable à l’accueil de Julian Assange et Edward Snowden au titre de l’asile politique le 25 juin à BFMTV.
Aussi, on nous a prévenu d’une pétition lancée la veille par Médiapart [dont les signataires sont des personnalités aussi illustres et variées que Disiz, Jean-Pierre Mignard, Franck Annese de SoPress, Jacques Audiard, Edgar Morin, etc., ndlr] pour que François Hollande accorde l’asile politique à MM. Assange et Snowden. On a aidé à fournir quelques signataires, et on a surtout décidé de s’adapter à l’actualité en publiant cette lettre ouverte.
K | Cerné par les autorités britanniques, M. Assange est pourtant en sécurité dans l’ambassade équatorienne. Pourquoi considère-t-il que sa vie est “en danger” ?
Julian Assange a passé trois ans dans quelques mètres carrés, entraînant des dommages tant physiques que psychologiques. Il n’a ni accès à des hôpitaux, ni à des soins, ni à sa famille, et l’espace dans lequel il vit est très petit. Trois ans dans de telles conditions, c’est extrêmement long. On peut comparer sa situation à l’isolement en prison, sauf que la durée des séjours en cellule d’isolement est limitée car elle implique des dommages pour les individus.
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“Il y a toute une série de paramètres qui convergent pour qu’il soit légitimement accueilli sur le sol français”
K | Pourquoi cette insistance à être accueilli par la France ?
Déjà, il convient de rappeler que ce n’est pas une demande d’asile en bonne et due forme, mais un appel au président. Si vous avez le sentiment qu’Assange insiste auprès de la France, c’est parce qu’il y a un mouvement de soutien en France, un appui extrêmement fort, et que c’est le bon moment. Aussi, la France, en tant que cinquième puissance mondiale, est l’un des rares pays à pouvoir agir indépendamment des États-Unis.
K | N’avez-vous pas peur que l’importance de cette requête soit diluée par les motivations personnelles et familiales de Julian Assange ?
Non, au contraire. Révéler l’existence d’un enfant et de sa mère qui vivent en France, c’est démontrer qu’il y a entre Assange et la France des liens qui vont bien plus loin que l’idéologie et la logistique. On considère que son affaire est suffisamment claire, il a vécu trois ans en France, il a une famille ici, il y a toute une série de paramètres qui convergent pour qu’il soit légitimement accueilli sur le sol français.
“Avant de publier sa fin de non-recevoir, l’exécutif ne s’est appuyé que sur des manchettes de journaux. C’est de la pure communication, c’est ridicule. Ils ont peur”
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K | Que deviendrait la vie de Julian Assange si la France acceptait de lui accorder le statut de réfugié politique ?
Il continuerait tout simplement ce qu’il a fait jusqu’ici. Il continuerait à révéler des scandales, à agir en tant que journaliste. D’un point de vue personnel, il pourrait tout simplement sortir sans crainte, aussi. Aujourd’hui, sa situation individuelle est très difficile.
K | Quelle a été votre réaction à la suite du refus de l’Élysée d’accueillir Julian Assange ?
Nous avons été beaucoup surpris, déjà parce que comme je le disais, il n’y avait pas de demande formelle. Qu’ils refusent de faire un geste, on s’y attendait un peu… Mais là, le refus intervient 45 minutes après publication du texte, or l’Élysée n’a pas vraiment de compétence et se réclame d’un “examen approfondi” d’une telle demande, or la demande d’asile relève de l’Ofpra. Avant de publier sa fin de non-recevoir, l’exécutif ne s’est appuyé que sur des manchettes de journaux. C’est de la pure communication, c’est ridicule. Ils ont peur.
K | Peur de quoi ?
L’Élysée a peur que le débat s’installe dans les médias, alors que la question de l’asile de Julian Assange est attendue par la société française. On peut considérer que l’exécutif a peur de l’allié américain.
“L’Union européenne et les pays occidentaux prétendent défendre des valeurs, une certaine supériorité morale, mais ils y échouent”
K | S’il ne peut pas compter sur l’appui de la France, Assange se reposera-t-il sur le soutien d’autres États ?
L’appui de l’Équateur, par exemple, est primordial. Tout d’abord, nous allons régler la situation juridique suédoise d’ici août, laver Julian Assange de tout soupçon, puis tenter d’obtenir un laisser-passer pour l’Équateur. Si l’Europe n’a pas le courage d’accueillir Assange, d’autres pays sont prêts à le faire.
K | N’est-ce pas paradoxal que les États occidentaux désignent MM. Assange et Snowden comme persona non grata alors qu’ils s’érigent en défenseurs de la démocratie ?
Si, c’est paradoxal. L’Union européenne et les pays occidentaux prétendent défendre des valeurs, une certaine supériorité morale, mais ils y échouent. Snowden n’a pas voulu aller en Russie, il s’y est posé en escale et les États-Unis l’ont forcé à y rester… Mais l’attitude de M. Poutine est un paradoxe elle aussi, lui qui continue à tuer et menacer des journalistes en permanence et se sert de Snowden. Ces tractations politiques touchent malheureusement des individus, prisonniers et victimes de ces jeux de pouvoir.
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