Lundi, un article des Échos annonçait que le réseau social pour cinéphiles Vodkaster allait lever des fonds à hauteur de 1,2 million d’euros et fusionner avec Riplay, une société spécialisée dans la numérisation de contenus vidéos. De ce mariage devrait naître, courant 2014, un service de dématérialisation de DVD, ainsi qu’une plateforme d’achat-revente de films d’occasion.
Une façon de contourner légalement la chronologie des médias française ainsi que les délais de diffusion imposés aux plateformes de VOD (vidéo à la demande).
Ce projet ambitieux, que Cyril Barthet, co-fondateur de Vodkaster, a qualifié hier dans le papier des Échos “d’alternative française à Netflix“, soulève plusieurs questions que nous lui avons posées.
K | À quoi vont concrètement vous servir les 1,2 million d’euros de la levée de fonds ?
À développer le multi-device : on pourra, depuis une tablette par exemple, accéder à un DVD exactement comme si on l’avait inséré dans un lecteur. On se lance sur une technologie de lecture à distance du DVD. Tout le contenu sera disponible, même les bonus.
K | Du coup, on va vous envoyer les DVD et votre service va les numériser ?
On ne les numérise pas : ce n’est pas tout à fait le terme. Ce sont déjà des contenus numériques avec des bits, on les extrait et on les envoies aux utilisateurs. Il y a deux types d’usages : des déposants qui confient leurs DVD à Riplay aujourd’hui et qui retrouvent leur DVDthèque dans le Cloud.
Pour le moment, la technologie utilisée n’est pas exactement celle que nous allons mettre en place. Eux, jusqu’à maintenant, copiaient le DVD et répliquaient les bonus. Nous voulons sanctuariser les DRM [Gestion des droits numériques, ndlr] pour lire le contenu à distance. Nous travaillons aussi sur une solution qui permettra d’accéder à votre collection directement depuis votre télévision.
K | Comment comptez-vous rattraper votre retard sur un marché VOD déjà bien en place ?
Quand on regarde les affaires de la VOD, sans le marché du X, cela représente un chiffre d’affaires d’environ 200 millions d’euros en France pour un marché qui a perdu 5% en 2013. Il devrait croître à deux chiffres et c’est l’inverse qui se passe. Il y a une inadéquation très claire entre l’offre et les attentes des consommateurs. Et tout le marché de la VOD est fait par des concurrents qui ont à peu près la même offre, le même catalogue et la même gamme de prix.
Le constat d’un marché qui ne séduit pas le consommateur nous laisse bon espoir pour arriver avec les arguments qu’on a, notamment l’argument “catalogue”. Aujourd’hui, si on veut voir Amour, Django Unchained ou Argo, qui sont tous des grand succès de l’année dernière, ce n’est plus possible en VOD. Parce que les chaînes de télévision gèlent les droits des films qu’elles achètent. Ce qui explique que les offres sont très discontinues.
Il y a deux mois, vous aviez Django Unchained en VOD, mais plus maintenant et cela pendant trois ans. Nous, en étant sur le marché du DVD et en offrant une base de marché d’achat-revente, on ne subit pas cette restriction. La deuxième chose est le facteur prix. Le marché VOD est à 80% basé sur la location, et l’on paye 4 ou 5 euros pour voir un film. Nous souhaitons développer une offre où pour le même prix vous acquérez le film. Ce sont les prix constatés sur Priceminister. La caractéristique, c’est que les gens voient le film, l’aiment ou ne l’aiment pas, mais en tout cas peuvent décider de le remettre en vente.
K | Mais en termes légaux, pour les droits des films et même vis-à-vis des autres services VOD, comment cela se passe-t-il ?
En fait, nous ne sommes pas un service VOD. On en a l’usage, ça y ressemble, mais on est un service de visionnage à distance de votre DVDthèque et une base de marché entre particuliers qui se revendent et s’achètent les supports physiques.
K | Donc c’est une façon pour vous de contourner la chronologie des médias ?
Le terme contournement n’est pas tout à fait exact car aujourd’hui l’exploitation du DVD n’est arrêtée à aucun moment. Donc on est dans la chronologie du DVD qui sort quatre mois après la sortie en salle et qui ensuite reste dans les bacs. En rendant l’accès à distance possible, c’est attractif pour le consommateur. Ce n’est pas un contournement c’est une évolution de la technologie.
Aujourd’hui, les gens achètent des tablettes ou des téléphones qui n’ont pas de lecteurs optiques, cela en ayant dépensé des centaines d’euros dans une DVDthèque qu’ils ne peuvent plus lire sur leurs terminaux habituels. C’est normal qu’il y ait un service qui réponde à cette mutation. Ca serait une hérésie de faire racheter tous ces DVD en fichiers numériques alors que vous les avez achetés physiquement. C’est un recyclage qui évolue avec la technologie des terminaux de lecture.
K | Est-ce un prolongement de votre service VOD avec la plateforme Universciné déjà disponible ou va t-il être remplacé ?
Notre partenariat avec Universciné est un projet expérimental. On observe comment les gens vont réagir et partager les contenus, mais il va disparaître pour être remplacé par notre nouveau service.
K | Ce nouveau service va donc être intégré à votre site actuel ?
Oui, on refond le site Vodkaster et ses applications. On garde toutes les dynamiques sociales, les micro-critiques. Ce qui va surement être un peu marginalisé, c’est la partie quizz. On a une communauté qui est extrêmement contributive et précieuse, que l’on soigne.
Il n’est pas question que l’on devienne un magasin en ligne de films. On reste une plateforme communautaire sur laquelle les gens pourront visionner leur DVDthèque et sur laquelle ils pourront également acheter et revendre des films. L’ADN de Vodkaster n’est pas remis en cause.
K | Dans l’article des Échos, vous dites vouloir “proposer une alternative française à la Netflix” alors que l’on ne sait pas encore si le service américain va débarquer en France, ni sous quelle forme. Ça veut dire quoi ?
Mon propos a été un peu dénaturé. On n’a rien à voir avec Netflix. La comparaison reste valable sur un point précis, c’est que l’on a une démarche disruptive. Comme Netflix l’a eue en 1997 quand il a mis en place de nouveaux usages, là où les acteurs traditionnels peinaient à innover et où il y avait une attente du consommateur. Après, on n’a pas les moyens de Netflix et on est sur un modèle différent. La structure va très certainement arriver en France mais on ne sait pas comment elle sera reçue par les consommateurs, et ce sera dans les limites de l’éco-système économique français.
Il y a des chaînes de télévision qui payent extrêmement cher pour avoir les accès aux films, qui financent une bonne partie des productions cinématographiques et qui voient évidemment d’un mauvais œil l’arrivée d’un concurrent qui fait des abonnements low cost avec des catalogues remplis de films. On a une chronologie des médias qui n’est pas favorable à la SVOD [VOD par abonnement, ndlr]. Nous, nous avons tenu compte des limites du contexte français. Notre vrai concurrent, c’est la piraterie.
K | Votre projet questionne quand même la chronologie des médias et vise un peu à la bousculer… Faut-il donc se rapprocher du modèle américain ?
Il y a des spécificités historiques françaises avec une structure du marché très différente en France. Beaucoup des films sont pré-financés par les chaînes de télévision et il ne s’agit pas de remettre cela en cause. Nous ne sommes pas dans une remise en cause de la chronologie au sens de la sortie du film quatre mois après la salle. En revanche, il y a une volonté de rebooster le marché du home vidéo.
Les Américains ont depuis toujours été sur un marché de location. Ils s’étaient habitués à louer des films mais pas à collectionner les DVD. En France, c’était l’inverse, les gens collectionnaient et la location représentait environ 10% de la vidéo pendant des années. Et, par une singularité des histoires, quand on a lancé la VOD en France, on a fait un modèle davantage basé sur la location, ce qui à mon sens était assez destructeur de valeur, et ne satisfaisait pas vraiment le consommateur. C’était finalement assez loin de ce qu’était la sociologie de consommation de la vidéo en France. Donc nous voulons coller à nouveau à cette sociologie de collection.
K | Comment pensez-vous que votre service va être accueilli par tous les acteurs de la VOD déjà présents sur le marché ?
Cela fera surement grincer des dents, comme à chaque fois que quelqu’un arrive sur un terrain concurrentiel. On est un concurrent direct dans l’usage mais on ne fait pas de la VOD. Moi je me préoccupe davantage des ayant-droits que des plateformes concurrentes. L’objectif c’est d’essayer de re-dynamiser le marché du neuf en offrant finalement un marché de l’occasion assez simple, très inspiré de celui du jeu vidéo.
Quand vous achetez un jeu à 70 euros, c’est parce qu’il y a un marché de l’occasion qui est puissant. Si la perspective de pouvoir revendre le DVD en un ou deux clics est faisable, moi je suis convaincu que ça va redynamiser le marché primaire. Et par ailleurs, on est prêt à bâtir un modèle gagnant-gagnant avec les éditeurs vidéo pour les rémunérer sur le marché de l’occasion. Ce qui n’a jamais été fait pour le moment.
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