“En 83, on a marché. En 2005, on a brûlé. Et maintenant ?”, le slogan mis en avant dans le court-métrage En attendant Coco sorti en 2015, qui raconte l’histoire de deux jeunes de banlieue parisienne qui se présentent aux élections municipales, résonne aujourd’hui avec l’actualité.
Publicité
En 1983, des jeunes du quartier populaire des Minguettes se révoltent contre les violences policières et font la grève de la faim. En 2005, les émeutes de banlieue éclatent après la mort de Zyed et Bouna, poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois. Le 19 juillet dernier, Adama Traoré décède dans un commissariat du Val-d’Oise le jour de son 24e anniversaire. S’en suivront des nuits de violences. Depuis presque deux semaines, 245 personnes ont été interpellées partout en France dans le cadre des violences urbaines déclenchées par la violente interpellation de Théo à Aulnay-Sous-Bois le 2 février 2017. L’histoire se répète inlassablement.
Publicité
Pour le sociologue Thomas Guénolé, auteur du livre Les jeunes de banlieues mangent-ils les enfants ?, cet engrenage violences policières/violences urbaines relève d’un profond problème de société. “Il y a quelque chose de pourri dans la relation entre la police et la jeunesse des banlieues”, dit-il dans sa tribune publiée ce mercredi 15 février dans Libération.
Contrôles au faciès
Tout d’abord, les contrôles d’identité au faciès, dénoncées par le Défenseur des droits Jacques Toubon. Selon une enquête menée par l’Institut auprès de 5 000 personnes, plus de 80 % des jeunes de 18 et 25 ans “perçus comme noirs ou arabes” disent avoir subi au moins un contrôle ces cinq dernières années. Soit deux fois plus que l’ensemble des jeunes de l’Hexagone. Dans sa tribune, Thomas Guénolé parle d’un “racisme policier, qui accumule une tension immense et permanente entre la police et les jeunes de banlieue qui n’ont pas la “bonne” couleur de peau”.”
Publicité
À cela s’ajoute un vrai problème de justice dans les affaires qui touchent la police et les habitants des quartiers périphériques. Le 27 octobre 2005, Zyed et Bouna, deux adolescents de 17 et 15 ans, se réfugient sur un site EDF de Clichy-sous-Bois, alors que deux policiers les poursuivent. Le local en béton où ils se cachent abrite un dispositif très dangereux. Ils meurent électrocutés. Dix ans plus tard, le tribunal ne retient pas les charges de non-assistance à personne en danger et relaxent les policiers. “Pas de justice, pas de paix”, scandent le lendemain du procès près de 300 personnes devant le tribunal de Bobigny.
Un slogan est repris en hommage à Adama Traoré, dont les circonstances de la mort restent très floues. En décembre 2016 s’est tenu non pas le procès des gendarmes qui selon un rapport remis à la justice seraient mis en cause dans la mort par asphyxie du jeune homme, mais celui des deux frères de ce dernier. Youssouf Traoré, 22 ans, et son frère Bagui, 25 ans, écopent de huit mois de prison ferme pour le premier et six mois mois avec sursis dont trois ferme pour le second, pour des violences commises contre des policiers en marge de cette affaire.
Une exigence de justice
Depuis, la famille Traoré, à l’origine du collectif “Justice pour Adama”, – ainsi qu’un grand nombre de personnalités publiques dans une tribune publiée ce mercredi dans Libération –réclament que justice soit faite. Concernant l’affaire Théo, même si François Hollande a affirmé qu’”il faut que la justice passe”, le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux a qualifié le viol présumé de “tragique accident”, alors que le procès n’a pas encore eu lieu. Thomas Guénolé parle d’une “exigence de justice”, un concept philosophique qui réclame l’égalité de traitement entre les individus dans une société profondément inégalitaire.
Publicité
Compte tenu de la violence sociale que subissent chaque jour les jeunes habitants des zones périurbaines de l’Hexagone, comment manifester sa colère dans le calme ? “Le premier temps de la réaction, sous le coup de l’émotion et du sentiment d’injustice, prend souvent des formes plus ou moins violentes telles que les incendies de voitures ou de poubelles ou l’affrontement avec la police“, affirme le sociologue Julien Talpin, qui travaille sur l’engagement dans les quartiers populaires. Même avec une volonté de créer un mouvement de protestation pacifique, les mobilisations des habitants sont difficiles à mettre en place. “Elles ne sont pas toujours bien vues de la part des élus locaux, qui considèrent souvent leurs protagonistes comme des empêcheurs de tourner en rond”, explique Julien Talpin.
Mercredi 15 février dans l’après-midi, la rumeur d’une manifestation à Aulnay-Sous-Bois s’est propagée à vitesse grand V. Les commerçants ont baissé leurs rideaux de fer, les policiers patrouillaient, mais les rues d’Aulnay sont restées désertes. À 15 heures la préfecture a démenti toute autorisation de manifestation ajoutant que ceux qui relayaient l’information participaient “de facto à l’organisation d’un attroupement non déclaré.” Mais deux heures plus tard, Leïla Khouiel du Bondy Blog constatait qu’il n’y avait toujours aucun rassemblement, mais les renseignements généraux étaient eux bien présents.
En apparence banal, cet événement est assez symptomatique de la tension qui règne entre les habitants de banlieues – qui ne sont pas tous de méchants casseurs – et l’autorité policière, qui ne communiquent plus que par la violence.
Publicité