Sans les “connards”, il ne serait peut-être jamais passé de l’autre côté de la caméra, il y a quatre mois. Le contexte : une campagne présidentielle tendue où se délient les langues racistes, homophobes, machos et climatosceptiques. Comment donc dialoguer avec ces “connards”, comme il les surnomme affectueusement ? Dans une vidéo Facebook, Vincent Verzat donne cinq conseils très pratiques à mettre en œuvre pour entamer une conversation constructive et éviter “que tout le monde se foute de la gueule des uns des autres”. La vidéo alterne propos pédagogiques et sketchs bon enfant à grand renfort de déguisements. Bilan : la vidéo tourne et sera vue 2,3 millions de fois.
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Un buzz one shot ? Difficile d’y répondre, le vidéaste manque de recul. Donc il récidive. La vidéo suivante arrive entre les deux tours de l’élection présidentielle et s’intitule “5 trucs pour résister”. La situation est la suivante : la France se retrouve contrainte de choisir “entre la peste et le choléra” (entendez : entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, ou vice versa). Vincent Verzat veut remonter le moral des troupes. À nouveau, il donne cinq conseils très pratiques pour entrer en résistance citoyenne. Bilan : 1,1 million de vues. C’est deux fois moins que la première, mais pour une deuxième vidéo c’est très honorable quand même. D’autant plus qu’il n’avait alors même pas 20 000 fans sur sa page. Cela veut dire que les gens partagent. Fort de ce double succès, Vincent prend un engagement : il postera désormais une vidéo par semaine.
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Les quatre derniers mois font de belles audiences. Les vidéos émeuvent les militants, bien sûr. Mais la fraîcheur, le rythme et le ton décomplexé de ce charismatique Lyonnais de 27 ans interpellent également ceux qui ne sont pas acquis à sa cause. Qu’il s’agisse de la série “5 trucs pour” (les connards, la résistance…) ou de vlogs dans lesquels le jeune homme se filme en caméra embarquée à la rencontre des gens qui changent le monde, ou encore de sketchs à base de personnages et de déguisements, ça marche. Il faut dire que les vidéos ont ce point commun de taille : la réalisation est ultra-chiadée. Les images sont faites de ralentis, d’accélérés, de time-lapses, de plans filmés au drone, la post-prod est exigeante, les bandes-son électronisantes (il utilise beaucoup de samples libres de 20syl). Elles sont bien loin, les images d’Épinal roots et écolos.
Derrière la caméra pour les associations
Quand il a 16 ans, Vincent Verzat s’adonne au parkour, le sport urbain inspiré des Yamakasi. C’est dans ce contexte qu’il tient une caméra pour la première fois. C’est aussi une époque où les vidéos de sports extrêmes le font vibrer. L’énergie viendra de là. Il passe ensuite une licence et un master en affaires internationales à Genève, option “Construction de la paix”. Au Costa Rica, il travaille pendant un an à l’Université de la Paix, où il réalise en autodidacte ses premières vidéos institutionnelles. De retour en France, incapable de changer le cap, il envoie une cinquantaine de mails avec comme objet “Bouteille à la mer d’un vidéaste passionné”. Il veut se faire un réseau. Ça prend.
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Petit à petit, les associations militantes font appel à ses services. Il réalise par exemple Médiation Nomade, la vidéo (ci-dessus) dont il est le plus fier à ce jour. Pendant et après la COP21, il collabore avec 350.org, une ONG internationale qui milite contre l’utilisation des énergies fossiles. Il supervise la production des vidéos de la structure et fait beaucoup de montages. En un an, 150 projets vidéo (dont une quinzaine pour 350.org) passent entre ses mains – son regard s’affûte. Le pari est réussi, il fait de la vidéo à gogo dans un cadre militant. Mais il se pose encore trop de questions. Il veut du plus concret, du plus proche des gens, du plus Vincent Verzat. En bon vidéaste de sa génération, il regarde ce qui se fait. Depuis longtemps, il suit Casey Neistat un vlogueur américain ultra-connu, pourtant pas militant pour un sou. Il filme par exemple son voyage à 21 000 dollars dans un avion (43 millions de vues). “Il a l’œil du cinéma, ce type. Il utilise sa vie pour raconter une histoire. Ça déchire“, analyse pourtant Vincent. Il aura donc fallu ce genre de source d’inspiration et les connards aigus de la présidentielle pour qu’il consente à dévoiler son visage.
Sympathie générale
Début du narcissisme ? Non, dit-il. S’il se met en scène, c’est avant tout pour mettre les autres en avant. Il le théorise ainsi : “Je veux être un transfert de confiance.” La recette est donc de susciter de la sympathie et de l’adhésion, fédérer une communauté, pour présenter le travail de ceux qu’il estime. Il fait effectivement intervenir de nombreux militants dans ses vlogs, à commencer par ceux du Camp Climat de l’été 2017, qui s’est tenu à Maury dans les Pyrénées-Orientales. En retour, sa communauté le sollicite. Via Facebook, il reçoit entre deux et trois messages par jour de personnes avides de conseils pour s’engager, ou demandant des explications complémentaires sur l’une de ses dernières vidéos. Au Camp Climat, certains sont venus lui dire : “Je suis là parce que j’ai vu tes vidéos.” Il n’en demandait pas tant.
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Anonyme de longue date chez les militants, on commence désormais à le reconnaître sur les événements qu’il vient filmer. Si bien qu’il peut, à sa guise, interviewer, plaisanter et organiser toute sorte de mises en scène. Pour les associations militantes, défense de l’environnement en premier lieu – la Terre, c’est vraiment le dada de Vincent — c’est que du bon. Malika Peyraut, permanente aux Amis de la Terre, commente son travail : “C’est un orfèvre de la vidéo virale. Il retransmet avec justesse toute l’émotion de ce que l’on vit sur le terrain. Cela permet de faire parler de nos actions en dehors de nos réseaux.“ Oui, tout le monde l’apprécie et personne encore ne vient critiquer sa démarche.
Écosystème et sur-mesure
Orfèvre, il l’est. Mais sur le créneau de la vidéo militante et virale, d’autres artisans bûchaient avant lui. Eux, en revanche, opèrent depuis YouTube : il y a Usul (récemment plus actif sur Mediapart que sur YouTube), il y a aussi Osons Causer (qui fait parfois des apparitions éclair dans les vidéos de Vincent) et la Barbe. Dans un style très différent, il y a aussi le collectif de vidéastes Les Parasites dont la chaîne est truffée de sketchs drôles et absurdes parfois visionnés des millions de fois. Vincent Verzat entretient également de bonnes relations avec les gens de DataGueule (une chaîne de vidéos connue pour ses infographies animées), Professeur Feuillage, Demos Kratos, et Nus & Culottés. Certains d’entre eux se connaissent bien. Ils se retrouveront d’ailleurs en septembre pour échanger sur leurs pratiques. À l’origine de cette initiative ? Vincent Verzat.
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Dans cet écosystème, il n’y a pas de business model simple. Vincent Verzat n’officie que sur Facebook qui, contrairement à YouTube, ne reverse pour le moment aucune rétribution aux vidéastes. Il compte employer deux autres personnes pour la longue série de vidéos à venir. Il va donc falloir se rémunérer. Il a trouvé un bon filon : il va prochainement constituer une association pour demander des subventions d’une fondation de lutte contre le réchauffement climatique, ça marchera probablement.
Et, comme ses collègues vidéastes non-militants, il va aussi se lancer dans des vidéos sponsorisées, mais que les choses soient claires (il insiste), ça se fera uniquement avec les annonceurs partageant les mêmes valeurs. Et pour continuer à rameuter le public, il tâtonne encore sur les formats. À peine l’article rédigé, voilà qu’il lance une nouvelle série : “30 secondes pour”. C’est volontairement très court, le ton est plus personnel et poétique.
On lui demande enfin de se définir. La réponse ne se fait pas attendre, il y a déjà réfléchi : “Je suis un vidéaste activiste passionné par la promotion d’un avenir plus juste et plus durable pour tous.” Le titre ne tiendra jamais dans un CV classique.