Lundi 24 juillet, à quelques jours de l’élection de l’Assemblée constituante, le président vénézuélien a accusé la CIA de vouloir le renverser. Depuis plusieurs mois, le pays vit une période d’instabilité sans précédent. Que s’y passe-t-il et comment le pays autrefois le plus riche d’Amérique latine a pu se retrouver dans un tel état d’urgence économique ?
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Lundi 24 juillet, le président du Venezuela Nicolás Maduro a pris la parole à l’occasion d’une cérémonie militaire pour s’adresser au chef d’État américain : “Je demande au président Trump de clarifier les mots insolents, interventionnistes du directeur de la CIA, qui pense être le gouvernement mondial.” Selon lui, Mike Pompeo, directeur de la Central intelligence agency (CIA), prépare un complot et “travaille en collaboration directe avec le gouvernement mexicain et le gouvernement colombien afin de renverser le gouvernement du Venezuela”.
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D’après le président de la République bolivarienne, les États-Unis financeraient l’opposition. Des propos appuyés par le ministre des Affaires étrangères, Samuel Moncada, qui a déclaré avoir entendu Mike Pompeo évoquer ce présumé complot en ces termes :
“J’étais à Bogota et à Mexico, il y a deux semaines, et j’ai précisément évoqué ce thème [une transition politique au Venezuela, ndlr], en essayant de les aider à comprendre ce qu’ils pourraient faire pour obtenir de meilleurs résultats dans ce coin du monde.”
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De grandes manifestations ont en effet lieu dans le pays depuis le 1er avril et ont déjà occasionné la mort d’au moins 103 personnes. L’opposition rejette notamment l’élection de l’Assemblée constituante, prévue le 30 juillet prochain, car elle juge ce scrutin inégal et trop favorable au président en place. Une grève générale a eu lieu le 20 juillet, et l’opposition souhaite en organiser une nouvelle très prochainement.
Insécurité, défiance envers les autorités, crise financière et violence sont devenues le quotidien du peuple vénézuélien. Comment la situation s’est-elle aggravée de la sorte et pourquoi, depuis de nombreuses semaines, plusieurs milliers de personnes manifestent dans les rues de Caracas pour témoigner leur opposition ou leur soutien au président Nicolás Maduro ? Pour tenter de répondre à cette question et saisir les principaux enjeux auxquels doit faire face le pays, il faut remonter aux racines politiques, historiques et économiques du Venezuela moderne.
L’ombre d’Hugo Chávez plane sur Nicolás Maduro
L’actuel président, Nicolás Maduro est celui qui a succédé à Hugo Chávez, grande figure révolutionnaire du pays qui fut extrêmement appréciée de son peuple, en particulier des classes les plus défavorisées, malgré la posture autoritaire qu’il a adoptée durant la période où il a été au pouvoir. L’ancien président Chávez, après deux tentatives de coups d’État en 1992, a régné sur le Venezuela de 1998 à sa mort, en 2013. Grâce aux immenses ressources du territoire vénézuélien, ce dernier a pu financer de grandes réformes sociales qui lui ont permis d’acquérir une certaine popularité auprès des classes populaires.
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Parmi celles-ci, on peut en évoquer une majeure : la réforme de l’éducation. L’ancien président a fait inscrire dans la Constitution bolivarienne (en référence à la “Révolution bolivarienne”, le nom que Hugo Chávez a donné au grand mouvement de réformes qu’il a lancé) le droit à l’éducation, permettant, selon le journal L’Humanité, à deux millions et demi de personnes d’apprendre à lire et à écrire en l’espace de seulement deux ans.
L’école est ainsi devenue gratuite pour tous, garantissant aux élèves un repas par jour ainsi qu’un suivi médical. En outre, l’accès à l’université a été grandement amélioré et favorisé : le nombre d’inscrits en faculté à été multiplié par 3,2 entre 1998 et 2013, atteignant les deux millions et demi d’étudiants. De plus, on peut évoquer l’attribution des allocations chômage aux personnes en formation et la construction de logements sociaux – avec une priorité donnée aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap.
À la mort d’Hugo Chávez, le 5 mars 2013, l’intérim est assuré par Nicolás Maduro, qui se présente candidat à sa succession et est élu président un peu plus d’un mois plus tard, avec une très courte majorité : 50,6 % des suffrages exprimés. Il est considéré comme l’héritier de Chávez. Ils étaient tous deux membres du Parti socialiste (Partido socialista unido de Venezuela, PSUV). Néanmoins, en décembre 2015, l’opposition a remporté les élections législatives – un signe du mécontentement des citoyens vis-à-vis de la politique de Nicolás Maduro. En effet, ce dernier ne dispose pas de la même situation de croissance que son prédécesseur, ce qui met en lumière les aspects négatifs de la stratégie économique d’Hugo Chávez, qui misait tout sur le pétrole.
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Extrême pénurie et hausse de la violence
Cette vidéo publiée par L’Express en 2016 témoigne de l’instabilité économique qu’a connu et que connaît toujours le Venezuela depuis plusieurs mois maintenant. D’où provient-elle et comment s’explique-t-elle ? Le pétrole constitue 96 % des revenus du pays. Lorsque ses prix se sont effondrés, la situation économique a fait de même. On peut conclure que la stratégie économique d’Hugo Chávez, qui consistait à absolument tout miser sur sa poule aux œufs d’or, ne pouvait tenir qu’en cas de prospérité. Le 15 janvier 2016, le président Maduro a dû déclarer l’“état d’urgence économique”.
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Les prix ont instantanément flambé dans les supermarchés et les denrées de première nécessité se sont faites de plus en plus rares dans les commerces, faisant alors les beaux jours du voisin colombien et de ses commerces frontaliers, immédiatement assaillis par des Vénézuéliens fuyant la pénurie. Les médicaments aussi ont disparu des rayons. À tel point que le 24 mars 2017, Caracas a dû appeler les Nations unies à la rescousse. Les taux d’inflation que connaît le pays sont tout bonnement délirants : en 2016 l’inflation fut de 800 %, et la prévision du FMI pour 2017 est à 1 660 %. Ce marasme économique a entraîné la suppression d’aides sociales instaurées par Hugo Chávez.
Aux difficultés économiques du Venezuela vient se greffer le problème de la violence endémique. Selon l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV), il s’agirait du deuxième pays le plus violent du monde, après le Salvador. Il souffre d’un taux d’homicide annuel 90 fois supérieur à celui de la France. D’après les chiffres de l’OVV, une personne y est lynchée à mort tous les trois jours. Pour Roberto Briceño Leon, directeur de l’OVV, la situation économique joue un rôle central dans la hausse de la violence :
“[En 2016] nous avons également observé une augmentation des vols et des cambriolages ainsi que des agressions et des meurtres liés au manque de nourriture. La recherche d’aliments a provoqué des conflits et des affrontements lors de pillages. La rareté des produits et les prix très élevés ont provoqué des saccages, et les exactions pour pouvoir survivre à ces situations se sont multipliées.”
La Cour suprême accusée de coup d’État
La situation s’est aggravée le 30 mars dernier, lorsque la Cour suprême, qui serait proche du président Maduro, a décidé de récupérer les pouvoirs normalement réservés au Parlement. Ce dernier étant aux mains de l’opposition depuis les dernières élections législatives, cette action fut immédiatement perçue par la population comme une tentative de coup d’État. En outre, une procédure pour rendre le principal chef de l’opposition, Henrique Capriles, inéligible pour 15 ans, l’empêchant ainsi de se présenter à l’élection présidentielle qui se tiendra en 2018, n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.
La Cour suprême est également décriée pour avoir voulu supprimer l’immunité des parlementaires. Si en France on réclame de plus en plus son abolition, là-bas on craint que le président en profite pour lancer des procédures contre ses opposants. Face au tollé, la Cour est revenue sur ses pas le 8 avril. Sauf que cela n’a pas suffi à calmer les ardeurs des manifestants.
En effet, les Vénézuéliens réclament toujours vivement des élections anticipées, afin de chasser Nicolás Maduro du pouvoir, ainsi que la libération des prisonniers politiques. Déjà en juillet 2016, l’opposition réclamait l’organisation d’un référendum pour destituer le président et mettre en place un nouveau scrutin. Le gouvernement avait rejeté toute possibilité qu’il ait lieu.
Reste l’organisation du scrutin pour renouveler l’Assemblée constituante le 30 juillet prochain, déjà évoqué précédemment, mais qui lui aussi provoque la méfiance de l’opposition et est à l’origine de nombreux heurts. Malgré tout, Nicolás Maduro reste confiant, comme il l’a déclaré lundi 24 juillet : “Dimanche prochain, qu’il pleuve, qu’il tonne ou que la foudre tombe, la Constituante avance par la volonté du peuple”.
Insécurité, difficultés financières, misère, instabilité politique, violences, corruption, pénurie, répression de l’opposition… Tous ces facteurs ont entraîné un exode massif de la population. L’héritage d’Hugo Chávez est ébranlé par l’opposition entre les chavistes et les antichavistes
[Article initialement publié le 12 avril 2017, mis à jour le 27 juin puis le 25 juillet de la même année.]