Vous rappelez-vous de l’esthétique du passage à l’an 2000 ? Rien que le terme “nouveau millénaire” devrait vous ramener plein d’images à l’esprit.
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La promesse de l’an 2000 était une utopie futuriste et technologique qui se matérialisa l’espace d’un instant dans l’esthétique Y2K (“Year 2000″, ou “An 2000” en français). Au rendez-vous : couleurs métalliques et argentées, appareils électroniques aux formes rondes et lunettes aux verres teintés.
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Bien qu’éphémère, l’esthétique Y2K prit l’espace d’un moment une gigantesque ampleur, couvrant de nombreux secteurs. Mode, design, musique, architecture : l’optimisme tech se retrouvait partout. La bulle dotcom était à son apogée et n’avait pas encore explosé. On fantasmait sur l’existence des aliens et des ovnis, posés sur des canapés gonflables, tout en écoutant Eiffel 65 dans des tenues argentées.
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Le groupe Facebook Y2K collectionne les images de cette époque. Bien au-delà de la simple nostalgie, le collectif a la volonté de créer une véritable archive dont le but est de cerner, à travers le prisme de l’esthétique, les valeurs de cette époque.
Le groupe publie ainsi une sélection de ses meilleures images sur son Tumblr, Y2K Aesthetic Institute. Cette capsule temporelle me ramène des années en arrière, à une époque où toutes les ampoules de ma chambre étaient recouvertes de piques en plastiques, lorsque mon Discman était rond et que j’étais fan de Sisqo.
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Le Y2K Aesthetic Institute a été créé par Evan Collins, un architecte de 26 ans vivant à Seattle et qui gère cette communauté dans son temps libre. Je l’ai interviewé pour parler de cette époque et de son style.
Konbini | Parle-nous du Y2K Aesthetic Institute. Qu’est-ce que c’est ?
Evan Collins | C’est un compte Tumblr qui est tenu par certaines personnes de la page Facebook Y2K. Nous collectons, analysons et montrons des exemples de ce que nous considérons comme caractéristique de l’esthétique Y2K. C’est centré sur un certain nombre de traits et de concepts qui étaient répandus du milieu des années 1990 au début des années 2000, même si on trouve des exemples dès les années 1980.
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Peux-tu décrire l’esthétique Y2K ?
Les exemples ne contiendront pas toutes les caractéristiques, mais certains traits aident à définir les limites de cette esthétique.
- Transparence/translucidité :
Dans la mode, sur les iMac et dans de nombreux produits, dans l’architecture avec des matériaux translucides.
- Dégradé :
Couleurs et opacité : les dégradés se retrouvent partout dans le design Y2K.
- En mouvement :
Le flou, l’impression du mouvement.
- Superposition :
Photoshop et d’autres logiciels ont permis de superposer des images les unes sur les autres. Lien avec la translucidité.
- Jeux avec la perspective :
La perspective qui a été modifiée grâce à des logiciels. Par exemple, l’angle “fish eye” qui permet une perspective déformée.
- Courbes et blobs :
Blobject, objets avec un style bulle, voitures bobbly, bobblytechture, formes bio-morphe… Les courbes ont régné en suprématie sur l’esthétique Y2K. Comme elles n’étaient pas réalisées facilement auparavant, elles ont apporté une nouveauté. On retrouve cette idée avec les courbes et les bouts ronds dans le design graphique et les textes.
- Les typos futuristes et technologiques :
Interfaces brillantes et lisses avec des polices comme Aura Oblique, toujours en courbes. Des typos qui avaient l’air digitales ou “high tech”, comme Dr. No-b ou des typos technologiques plus anciennes qui ont été réutilisées, comme OCR-A. Les interfaces avaient aussi un look futuriste, comme celles de Winamp, du navigateur NeoPlanet, ou de Mac OS X Aqua.
- Motifs technologiques :
Codes barres, codes binaires, pluies digitales à la Matrix, effets de glitch, hologrammes.
- Matériaux synthétiques, brillants, métalliques :
Vêtements et produits couleur acier, irisés, holographiques, pochettes de CD lenticulaires, maquillage métallique, body paint et paillettes.
- Aliens/imagerie cyborg :
En rapport avec le design biomorphique du moment. Possibilité d’imaginer des créatures sur ordinateur. L’impression que l’humanité et la technologie n’allaient faire plus qu’un.
- Influence de la culture rave :
Les ravers étaient l’une des sous-cultures branchées de l’époque Y2K, mentionnée sur la couverture du Time Magazine en l’an 2000.
- L’optimisme futuriste :
L’utopie techno était partout.
- Tribal/influence du monde avec un twist futuriste :
Comme Qkumba Zoo, le travail de Micha Klein, les bindis de Gwen Stefani.
- Le thème de l’espace :
L’esthétique Y2K s’est inspirée du “Space Age” des années 1960 ( qui a connu un revival 30 ans après). Mars représentait un intérêt particulier de l’époque Y2K, comme l’ont montré le restaurant 2112 et les nombreux films sortis sur le sujet à l’époque.
Quelle est l’histoire de cette esthétique ?
Selon moi, cette esthétique a émergé autour de l’année 1993. C’est à ce moment-là que les logiciels d’image ont commencé à être vraiment puissants et peu chers. Ils ont permis d’expérimenter et d’innover avec des graphiques et des courbes “bubble”.
Au même moment, tu as l’émergence de clips qui deviendront des monuments du Y2K. Mais ça s’est passé en plusieurs temps, selon les domaines. La tendance restera plus longtemps dans le monde de l’architecture car c’est l’un des secteurs les plus lents à bouger. Culturellement, l’ère du Y2K s’est terminée avec le 11 Septembre et la fin de la bulle dotcom (même si esthétiquement le style a survécu jusqu’en 2003).
Comment es-tu devenu fasciné par cette période?
J’ai toujours été intéressé par les esthétiques futuristes et sur ce qu’elles veulent dire à des époques différentes. Comme beaucoup de gens, je savais que les années 1990-2000 avaient produit une abondance de contenus futuristes. Mais c’est quand j’ai regardé un clip en particulier (celui de la chanson “Out Of Your Mind” de Victoria Beckham), que j’ai vraiment eu envie d’enquêter sur cette époque. C’est super cucul la praline et sérieux, mais la vidéo contient plein de motifs propres au style Y2K.
Est-ce devenu une obsession ?
Oui, le plaisir du style Y2K, c’est que la découverte ne se termine jamais. Par exemple, même quand j’ai l’impression d’avoir fouillé toutes les sources possibles, je trouve quelque chose de nouveau, comme le travail de Hung-Tung Lu.
Où trouves-tu toutes ces images ?
C’est une compilation de plusieurs sources mais, ironiquement, le meilleur contenu que j’ai trouvé, c’est dans des livres de l’époque Y2K. La plupart des sites de la fin de cette époque ont été créés dans des formats qui sont désormais obsolètes (les sites en flash sont particulièrement pénibles) et ils ne sont que partiellement archivés sur Wayback Machine. Les sites comme V-files, Discogs et FirstView compilent une large quantité de contenus tagués qui sont de bonnes ressources.
C’est en déménageant récemment à Seattle que j’ai découvert que la bibliothèque municipale avait une archive incroyable de magazines comme ID, Domus, Architectural Record et Wired, ainsi qu’un scanner de haute qualité accessible gratuitement. Je crois que la raison principale qui explique l’ampleur de ma collection est que j’ai passé beaucoup de temps durant les deux dernières années à fouiner tous les terrains possible.
Est-ce qu’un livre est en préparation ?
J’ai pensé à créer un livre sur le style Y2K. Ça serait génial de faire une curation esthétique des différents domaines, en donnant une explication de leur place dans le contexte de cette époque, tout en explorant actuellement comment cette esthétique est actuellement en train de revivre.
Est-ce que tu crois que cette esthétique pourrait faire un come-back ?
En se fondant sur la règle du revival tous les 20 ans, on devrait effectivement vivre un come-back dans les années à venir. J’ai commencé à observer le retour d’éléments du style Y2K. C’est ce que j’appelle le “Neo Y2K”. Tu peux le voir dans le travail d’artistes comme Terrell Davis, Valeris Media, Andy Pan Land, Ines Alpha, DV-i et Doss ; ou l’entendre dans le son de musiciens tels que Princess Nokia, Hannah Diamond et PC Music. On retrouve cette influence dans des collections de mode, comme celles d’Ammerman Schlösberg, de Me.Di.Cal, de Phelan, ou de Misbhv.
Pourquoi as-tu commencé le groupe ?
J’ai d’abord commencé à collectionner des images et à les poster dans des albums sur Imgur, via différents subreddits comme r/Vaporwave, r/00s Design. Après avoir passé plusieurs mois à faire des recherches tout seul et à poster de temps en temps, je me suis dit que ça serait une bonne idée de partager mes trouvailles et d’avoir des retours. Par rapport à des sites comme Tumblr, les groupes Facebook permettent d’avoir plus de discussions et d’interactions sur des contenus.
Est-ce que tu peux me parler de la communauté que tu as créée ?
Le groupe Facebook est composé d’un public assez divers. C’est un mix de gens entre 20 et 30 ans qui ont grandi, ou qui ont atteint l’âge adulte, à cette période — sans oublier ceux qui sont trop jeunes pour s’en souvenir. Pour cette raison, c’est intéressant de voir les interactions entre ceux qui ont connu cette époque de façon personnelle et les plus jeunes, qui développent leur connaissance et leur compréhension de cette période à travers le contenu et la discussion Facebook.
Tu as un autre groupe Facebook, intitulé “Post-Y2K Aesthetic“. De quoi s’agit-il ?
Ce groupe a été conçu comme une blague. Il y avait beaucoup de contenus de 2001 qui arrivait sur le groupe Y2K et l’esthétique me semblait différente. Il me semble que la mode et le design balancent toujours d’un extrême à un autre. Le post-Y2K n’a pas été une exception.
Alors que le Y2K était très futuriste et minimaliste, le post-Y2K remixe des éléments du passé avec un style opulent et maximaliste. Je crois qu’on se rappelle tous à quel point cette époque était ridicule, mais c’est encore hilarant de retrouver des tendances totalement oubliées, comme le “cave women chic” (“le chic des femmes des cavernes”) — avec de la fourrure déchirée, des vêtements composés de plusieurs pièces de denim — ou encore le look pirate. Ce changement d’esthétique allait plus loin que la mode. Il y avait la tendance des graphiques de fleurs faits sur ordinateur, ou l’exubérant mix rétro maximaliste dans les designs d’intérieur et industriel…
Quelle était l’esthétique pré-Y2K ?
Je pense qu’on peut diviser esthétiquement les 90’s en trois parties distinctes. Le début des années 1990 se recoupe avec les années 1980 : beaucoup de couleurs, un trait ondulé et la série Sauvés par le gong. Après, il y a eu le mouvement grunge, avec des magazines pionniers comme Ray Gun qui ont défini le milieu des nineties.
Plus la décennie avance, plus on se désintéresse de ce qui est fait main et qui est brut. Le développement des images en rendering et de l’édition d’images sur des logiciels — comme Bryce, Photoshop, Infini-D — a créé une explosion graphique qui n’était pas possible quelques années plus tôt. L’influence de la culture rave, la fièvre du nouveau millénaire imminent et l’utopie technologique ont nourri un changement vers un style plus lisse, brillant et futuriste.
Pour conclure, que penses-tu de la techno-utopie de l’ère Y2K ?
C’est la raison principale qui m’a poussé à m’intéresser à cette époque. J’ai le sentiment que c’était une période véritablement optimiste. Je sais que ceux qui ont été adultes à la fin des années 1990 peuvent avoir une perspective différente, mais d’après ce que j’ai découvert, il y avait un feeling qu’on entrait dans une période de croissance prospère et de paix.
C’est une combinaison de facteurs qui a créé cet environnement d’optimisme pour le futur. On était dans l’attente d’un monde qui allait sans cesse s’améliorer. C’était fondé sur quelque chose d’élusif, ce qui est devenu apparent quand la période s’est terminée. Toujours est-il qu’on a entretenu un esprit utopiste au cours de cette brève période, entre la chute de l’URSS et les attaques du 11 Septembre et l’explosion de la bulle dotcom.
J’ai l’impression que depuis 16 ans on vit une réalité beaucoup plus sombre et que notre vision du futur est moins claire et plus anxiogène. J’imagine une résurgence de l’optimisme futuriste, intégrant toutes les avancées technologiques qu’on a fait : ça pourrait inspirer les futures générations.