Le 26 août dernier, le quaterback Colin Kaepernick de l’équipe de foot US des 49ers de San Francisco a refusé de se lever pour l’hymne américain. Le 1er septembre, il a réitéré, en s’agenouillant. S’il a fait cela, c’est pour protester contre les violences faites depuis plusieurs mois à la communauté noire. Pour comprendre la prise de position de ce sportif américain, mais aussi des autres, Konbini a interviewé François Durpaire, historien des États-Unis et maître de conférence à l’université de Cergy-Pontoise.
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À chaque édition des Jeux olympiques ressortent les photos de Tommie Smith et John Carlos, poings gantés et levés sur le podium du 200 mètres, aux JO de Mexico en 1968. Ces athlètes réclamaient alors que les droits civiques de la communauté noire américaine soient respectés. Un geste fort qui peut facilement être mis en parallèle avec le genou à terre de Colin Kaepernick.
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Seulement, pour l’historien François Durpaire, ce n’est pas Tommie Smith qui a inspiré le geste de Colin Kaepernick :
“Avant Tommie Smith, Mohamed Ali avait refusé de faire la guerre (du Viêtnam) que les États-Unis lui imposaient. Contrairement à Tommie Smith, qui n’était pas engagé mais participait à un mouvement collectif, Mohamed Ali était un homme politique qui faisait de la boxe. Colin Kaepernick, c’est un peu cet héritage, c’est un homme engagé qui fait du foot.”.
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En plus de refuser de chanter l’hymne national, Colin Kaepernick a fait un geste nouveau, celui de s’agenouiller, repris ensuite par plusieurs sportifs, comme son coéquipier Eric Reid, quatre joueurs des Miami Dolphins et la joueuse de foot Megan Rapinoe. Toujours dans l’idée de lutter contre les violence faites à la communauté noire, d’autres ont en revanche choisi de lever le poing, rappelant le geste de Tommie Smith et John Carlos aux JO de 1968.
François Durpaire souligne que Colin Kaepernick a su “inventer un nouveau geste”, ce qui “lui donne une grande force” et pourrait devenir le nouveau symbole de cette génération. “C’est simplement un moyen pour lui de démontrer sa désapprobation“, explique l’historien. Dans un pays très patriote où l’hymne national tient une grande place, le sportif a dû faire face à d’importantes critiques. Il a précisé qu’il se lèverait le jour où “il y aura des changements significatifs et qu'[il] ressentirait que ce drapeau représente ce qu’il est censé représenter.”
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“Le sport, c’est l’audience la plus forte”
La prise de position des sportifs surprend, car on ne les attend généralement pas ailleurs que sur le terrain. Mais “le sport est une dimension importante de la collectivité. Faire ce geste c’est apporter une distance avec la société dans laquelle ils vivent“, rappelle François Durpaire. Plus que les associations ou les personnes lambda manifestant contre les violences faites à la communauté noire, les sportifs disposent de “millions et millions de téléspectateurs”.
Car “le sport, c’est l’audience la plus forte. Les images de Kaepernick ont été reprises sur les chaînes d’information à l’international“. Et cette médiatisation forte, les athlètes en ont conscience et l’utilisent quand ils le peuvent pour faire passer un message. Dans la vidéo du magazine Rolling Stone ci-dessus, Colin Kaepernick explique d’ailleurs clairement qu’il est conscient, et heureux d’être médiatisé à ce sujet :
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“Le fait que cela ait explosé de cette façon, je pense que c’est une bonne chose. Ça provoque une prise de conscience, tout le monde sait ce qu’il se passe.”
Mais en affichant leur opinion, les sportifs n’engagent pas qu’eux-mêmes. Sur le terrain, ils représentent un État, une nation et surtout une fédération. Cette dernière n’est pas forcément d’accord avec la propagation de messages politiques pendant les matchs.
“Le discours des fédérations est hostile à ce genre d’actes, on ne fait pas de politique, on fait du sport“, explique François Durpaire avant de rappeler qu’aux JO de 1968 “Tommie Smith et John Carlos ont été interdits de compétition à vie et [qu’]on leur a retiré leurs médailles” après leurs poings levés. De même pour Mohamed Ali, qui avait été privé de son titre mondial et de sa licence de boxe après avoir critiqué l’engagement des États-Unis au Viêtnam et refusé de servir dans l’armée américaine.
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Récemment, des basketteuses américaines ont défrayé la chronique en portant des T-shirts noirs siglés “Black Lives Matter” au lieu de leurs maillots officiels. Trois équipes ont reçu des amendes de la WNBA (Women’s National Basketball Association) mais “les sanctions prises ont été ensuite annulées“, précise l’historien avant d’ajouter que “les fédérations sont beaucoup plus prudentes aujourd’hui avec leurs athlètes, le discours est plus mesuré“.
Notamment parce que la médiatisation de leurs sportifs après leurs prises de position ne leur nuit pas toujours : “Le maillot le plus vendu de la NFL [National Football League, ndlr] en ce moment, c’est celui de Colin Kaepernick alors que s’il est bon, ce n’est pas le meilleur quaterback de l’équipe.” En parallèle, des images de fans brûlant leur maillot de Kaepernick ont tout de même circulé sur les réseaux sociaux à cause de son attitude lors de l’hymne national.
“L’Amérique, c’est 246 ans d’esclavage”
En plus des sportifs, des artistes ont déjà pris parti, en ces temps troublés, pour la communauté afro-américaine : “Rappelez-vous de Beyoncé et de son show lors de la mi-temps du Superbowl. Quelques jours après une vidéo humoristique était sortie : ‘The Day Beyoncé Turned Black’ [Le jour où Beyoncé est devenue noire, ndlr]”. Ces personnalités célèbres sont reconnues pour un talent bien particulier, et sont identifiées comme des artistes ou des sportifs avant d’être afro-américaines.
Quand elles sortent de leur cadre médiatique habituel pour dénoncer les problèmes raciaux des États-Unis, elles “contredisent l’Amérique qui rêve de passer dans une société post-raciale. C’est à dire une société où on ne jugerait plus les gens selon s’ils sont noirs ou blancs, [qui] penserait en individu, en humain“.
Selon François Durpaire, le fait que certains pointent du doigt les inégalités en fonction des couleurs de peau “ramène l’Amérique à une société raciale. Mais il ne faut pas oublier que l’Amérique, c’est 246 ans d’esclavage, 102 ans de ségrégation et seulement huit ans d’Obama. Le post-racial se construit à long terme, il ne se décrète pas“.