La jeune femme ne disait rien, le regard fixé sur son reflet, sans sourire, pétrifiée.
Autour d’eux, les gens rentraient du boulot, partaient à l’apéro, allaient au restaurant, au cinéma, et il y avait ceux qui n’allaient nul part mais qui étaient là, tout de même. Et personne ne semblait remarquer ce qu’il se passait sous leurs yeux, chacun dans leurs bulles, trop occupés à lire, (“Toi j’vais te baiser”) à écouter de la musique ou à détourner le regard, prêts à changer de métro dès que les portes s’ouvriraient. L’homme se collait de plus en plus, sa main sur la cuisse de la jeune femme, (“Toi j’vais te baiser”), je pouvais voir ses doigts ramper sur sa peau, essayer de s’infiltrer remontant toujours plus haut sous la jupe et la jeune femme ne disait toujours rien, (“Toi j’vais te baiser”), le rouge au front, aussi immobile qu’une statue de cire dont la volonté venait de fondre.
Que faire, détourner le regard, (réagis) se persuader qu’ils sont en couple, (réagis), que ce ne sont pas mes histoires, partir, prendre le métro suivant, (réagis) après tout, je ne suis pas à quelques minutes près, (oui mais la jeune femme ne semble pas bien aller du tout) je vais descendre, je ne vais pas m’en mêler, (RÉAGIS PUTAIN). C’est fou comme la peur nous paralyse dans ces moments-là, vraiment.
Mais je me suis assis à côté d’eux et tout en croisant le regard de la jeune femme, je lui ai dit : “Hey Camille ! Ça faisait un bail que je ne t’avais pas vue ! Comment ça va, ma cousine ?”. Puis me tournant vers l’homme, avec un grand sourire : “Je ne vous dérange pas, j’espère ?”. Ces quelques mots ont suffit à la jeune femme pour reprendre vie, et comprenant ce que je tentais de faire m’a suivi dans ma brève comédie familiale. L’homme a immédiatement retiré sa main, comme si les fils de sa marionnette venaient de se couper, comme s’il venait de se brûler au contact de la peau de la jeune femme. Sans un regard, il s’est levé, et il est sorti de la rame sans se retourner.
Après m’être assuré que la jeune femme allait bien également, je suis parti aussi.
Je n’ai pas écrit ce texte dans le but de me glorifier pour un acte citoyen qui devrait être quelque chose de banal. J’ai écrit ce texte pour montrer qu’avec quelques mots, on peut renverser une situation, on peut intervenir et ne pas regarder une agression se dérouler sous nos yeux sans rien faire. J’ai écrit ce texte pour donner encore un témoignage de plus sur le harcèlement de rue, dans les transports en commun, pour montrer que cette oppression sur les femmes n’est pas un mythe.
Je vous invite à découvrir le Tumblr Projet Crocodile ainsi que la page Facebook Paye ta Shnek ainsi que la campagne de “Stop Harcèlement de rue” dont est issue l’affiche illustrant l’article, et qui vous parlera de tout cela bien mieux que moi et qui m’appris cette technique de diversion.
Ah et pour parer à toute remarque bien conne, non je n’ai pas pris son numéro de téléphone, non je ne lui ai même pas demandé comment elle s’appelait. L’important était qu’elle aille bien, point. Bref, réagissez, ne laissez pas de telles situations devenir banales.
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