Dans quelques jours s’achève le ramadan. À cette occasion, quatre jeunes musulmans nous parlent de leur rapport à leur religion, et ce que ce mois représente pour eux.
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Le ramadan consiste en un mois de jeûne, effectué par les musulmans et les musulmanes pubères, excepté les personnes malades ou les femmes enceintes. Étant décalé d’une dizaine de jours chaque année, il tombait en 2017 pendant des jours chauds et longs.
“Durant le ramadan, un des piliers de l’islam, les croyants sont invités à s’abstenir de boire, de manger et d’avoir des relations sexuelles, de l’aube – dès que l’on peut “distinguer un fil blanc d’un fil noir”, dit le Coran – jusqu’au coucher du soleil.”
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Beaucoup de non-musulmans le voient comme une souffrance, et ne comprennent pas toujours ses fondements. À quelques jours de l’Aïd el-Fitr, la “fête de la rupture du jeûne”, qui devrait tomber ce dimanche 25 juin ou ce lundi 26 juin, quatre jeunes musulmans, deux hommes et deux femmes, nous ont raconté ce que ce mois représentait pour eux et la place que tient leur religion dans leur quotidien.
Une foi entre tradition et conviction
Myriam, Abdallah, Nahla et Ahmed sont tous les quatre nés au sein de familles musulmanes, ce qui a forgé leur foi. Abdallah se souvient d’un rituel qui rythmait ses semaines : tous les dimanches matin, son père les emmenait lui et ses frères et sœurs à l’école coranique pour apprendre à lire le Coran. Un trajet relativement long puisque l’établissement était dans une autre ville, mais l’événement était immanquable dans la famille. Cet enseignement venait renforcer les valeurs familiales transmises au quotidien par ses parents :
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“On apprenait l’alphabet et le contenu du livre saint, ainsi que quelques règles, quelques notions sur les comportements à avoir avec nos parents, les gens autour de nous…”
Pour Ahmed, Nahla et Myriam, l’éducation religieuse s’est faite exclusivement au sein de leurs familles.
En grandissant, chacun et chacune s’est approprié sa foi, et certains vivent désormais leur religion différemment. Ahmed considère ainsi que celle-ci est faite à moitié de tradition et à moitié de conviction :
“C’est une foi que l’on m’a transmise et que j’essaye de suivre. Il y a les traditions liées à l’Aïd, le ramadan, les mariages, etc. Et il y a ma conviction, celle que je me suis forgée au fil des années en grandissant dans cette société qui se veut ouverte. Je ne suis pas tous les préceptes à la lettre. Je ne suis pas pratiquant, et la science tient tout de même une part prépondérante dans la croyance que je me suis forgée. Je dirais que je suis un croyant ouvert. Un croyant 2.0.”
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Pour Myriam, la religion est passée au second plan :
“Plus jeune, j’étais plus pratiquante, mais je m’en suis détachée petit à petit. Je garde beaucoup de foi et ‘d’affection’ pour l’islam, mais je pense que ça relève plus de la tradition que du religieux. Dans ma vie quotidienne, la religion n’est pas très présente, je ne mange pas de porc et invoque parfois Allah dans mes expressions, mais c’est tout.”
Nahla et Abdallah ont, quant à eux, quasiment le même rapport à la religion que leurs parents. La première se définit comme une musulmane “croyante et pratiquant quand [elle] peu[t]”. Le second explique que l’islam définit son quotidien et tout son rapport aux autres – même s’il tient à souligner la dimension personnelle de sa foi :
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“Ça me donne un cadre de vie, ma matrice d’interaction avec les gens (l’importance du respect, d’aider une dame dans le métro par exemple). C’est ce qui me guide au quotidien. C’est une religion qui prône des valeurs universelles, et c’est cette religion qui me les a apprises. Pour moi, tout mon comportement part de là, de l’importance de valoriser les bonnes actions. Cela m’aide aussi à me canaliser. Ma foi est pourtant quelque chose de personnel : c’est ma vision des choses, ma conception personnelle de la religion, pas celle de mes parents ou amis.”
Le ramadan, le “mois du jeûne, du recueil, de la solidarité”
Abdallah raconte qu’il a voulu faire son premier ramadan très tôt et de façon complètement indépendante. Il avait 11 ans, et le mois de jeûne tombait en partie pendant les vacances d’hiver. Il a voulu saisir l’occasion – même si les garçons ne sont supposés commencer à faire le ramadan qu’à la puberté, et les filles après leurs premières règles. Ce mois, il le présente comme “un mois de privation qui permet de mieux apprécier les choses après, la chance que l’on a d’avoir un toit, de quoi manger tous les soirs”. Comme il ne fume pas et ne boit pas d’alcool, le ramadan consiste surtout pour lui à ne pas manger la journée et à ne pas avoir de contacts physiques avec sa copine durant le mois.
En dehors de cela, il garde la même routine, les mêmes horaires de travail et continue à faire autant de sport. Sa copine n’est pas musulmane, mais elle respecte son ramadan. Ils ne se voient que très peu pendant ces quatre semaines, car cela tenait à cœur à Abdallah de bien respecter les règles. Sur ce point, Ahmed, non-fumeur et ne buvant pas d’alcool, diffère : il fait attention à ne pas proférer d’insultes ni s’énerver, mais il n’observe pas un jeûne strict et s’adapte à sa copine, non-musulmane également.
“Je ne suis malheureusement pas le plus assidu dans l’exercice du jeûne. Le travail, le stress, la fatigue n’aidant pas, je me retrouve avec quelques jours non jeûnés à rattraper ultérieurement. Je fais aussi une parenthèse dans mon jeûne quand je vois ma copine pour ne pas empiéter sur la vie de couple. Une relation se vivant à deux, je ne souhaite pas mettre de barrière entre nous en ne pensant qu’à moi-même et en nous séparant pendant un mois.”
Ce mois lui permet de “se rapprocher de Dieu” et de “comprendre la misère dans laquelle vivent des millions de personnes”. Il aime la convivialité et le partage des moments en famille, des grands repas qui rassemblent tout le monde le soir.
“Le mois du ramadan et la fête de l’Aïd al-Adha sont des temps forts pour le Secours Islamique France, où la tradition musulmane basée sur le partage et la solidarité avec les plus démunis s’exprime à la fois en France et dans le monde à travers des programmes de lutte contre la sous-alimentation chronique.”
Myriam souligne qu’il s’agit d’un “mois sain”, qu’elle ne fait que quand elle est en famille. Elle en respecte alors quasiment tous les préceptes, y compris concernant les menstruations – les personnes ayant leurs règles sont alors dispensées de jeûne le temps des saignements et doivent rattraper les jours avant le prochain ramadan. Mais s’il s’agit selon elle du “mois du jeûne, du recueil, de la solidarité”, elle ne prie pas.
Pour Nahla, qui n’imagine pas ne pas faire le ramadan comme ses parents le lui ont appris, il “est synonyme de réunions familiales, c’est un mois pendant lequel il est important de se rapprocher de ses proches”. Et c’est même la “période préférée de l’année” d’Abdallah, pour le plaisir des retrouvailles familiales et des grands repas partagés. Jusqu’à sa journée préférée, l’Aïd, quand tout le monde va prier à la mosquée et célèbre la fin du jeûne.
“Je n’y arriverais pas, comment tu fais ?” et autres questions habituelles
Ce genre de questions prend le pas sur tout le reste, comme le souligne Abdallah. Beaucoup de non-musulmans se focalisent sur la difficulté de ne pas boire ni manger toute la journée, notamment quand il fait très chaud, et de devoir continuer à travailler malgré tout. Pour le jeune homme, “tout est dans la tête, c’est le cerveau qui commande”.
“Si tu sais que tu ne manges pas et ne vas pas boire, ton corps s’adapte naturellement – seulement pour les personnes qui sont aptes physiquement, bien sûr. Je n’ai pas de difficulté, j’ai même fait du travail physique en plein soleil pendant le ramadan. Dans ce cas, on se couvre la tête, on se met de l’eau sur le visage. Ce n’est pas un mois d’épreuve, tant qu’on n’est pas tout le temps dehors sous 40°.”
Pour lui, comme pour Ahmed et Nahla, la question de faire ou non le ramadan ne se pose pas, peu importent les conditions climatiques. “Je le fais parce que c’est important pour moi, je n’arrive même pas à m’imaginer ne pas le faire”, explique cette dernière. Au fil des années, ils se sont parfois heurtés à l’incompréhension de leur entourage. Abdallah se souvient surtout de ses années de collège, où des personnes non-musulmanes épiaient son comportement pour lui donner des instructions et juger s’il faisait “correctement” son ramadan. D’autres s’amusaient à le taper pour le provoquer et le tester, lui dire que lui n’avait pas le droit de répliquer. C’est pour ces raisons que le mois pouvait être long.
Ahmed, lui, a surtout du mal avec les questions qu’on lui répète chaque année : “Tu manges pas en fait ?” “Et t’as pas le droit de boire ?” “Comment tu fais ?” “Je n’y arriverais pas franchement, comment tu fais ?” Il a cependant fini par s’y habituer, et loue désormais ces échanges qui permettent une meilleure compréhension des musulmans. Cette compréhension est primordiale pour Myriam qui a, parfois, “la sensation que les gens cherchent à montrer l’extrémisme de la religion à travers ce mois, même inconsciemment, même à demi-mot”.
“Je trouve juste dommage que certains ne cherchent pas à y voir ce qui est beau, ne cherchent pas à comprendre.”
“Ma vie pro n’est pas adaptée et elle n’a pas à l’être”
Pour Nahla, les non-musulmans voient souvent “seulement l’aspect ‘nourriture’ alors qu’il y a beaucoup plus (spiritualité, partage, rencontres, etc.)”. Le fait que plusieurs de ses amies fassent aussi le ramadan lui permet de se sentir soutenue et d’échanger avec elles, mais cela ne la dérange pas non plus que le reste de son entourage ne le fasse pas. Sur ce sujet, les quatre jeunes musulmans sont unanimes : “Chacun est libre” insiste Nahla, “ma vie pro n’est pas adaptée et elle n’a pas à l’être : nous sommes en France, le ramadan c’est un choix, donc je n’ai pas à demander que l’on s’adapte à mon choix.”
Myriam diffère légèrement sur le sujet du travail, elle aimerait que les horaires puissent être adaptés pendant le ramadan pour les salariés qui le souhaitent, par exemple en commençant plus tard et donc en finissant plus tard également quand c’est possible. Ahmed est le seul à le faire à son travail, mais il apprécie le soutien et l’aide de ses collègues. Il peut partir plus tôt et se ménager. Si Abdallah compte quelques collègues faisant également le ramadan, cela ne change rien pour lui, qui considère qu’il s’agit de quelque chose de “vraiment personnel” :
“Le travail, c’est le travail, ma religion, c’est perso. J’ai longtemps été animateur en colo, et une fois je suis arrivé en cours de séjour pendant le ramadan. Le directeur m’a dit qu’il n’était pas possible de le faire car des enfants voudraient m’imiter. Je ne l’ai donc pas fait le temps du séjour, et ça ne m’a pas posé de problème, j’ai rattrapé les jours après. Ça ne doit pas m’empêcher de travailler. Il n’y a pas de religion d’État en France, et c’est quelque chose de personnel. Si ça pose un problème dans mon travail, si ça m’empêche d’exercer mon métier, alors je ne le fais pas.”
Être musulman et musulmane dans la France de 2017
Il insiste donc sur le fait qu’il n’y a pas de problème entre l’islam et la République française, parce que les musulmans vivent très bien leur religion dans le cadre privé et qu’ils ont “la chance d’être dans un pays laïc où chacun peut vivre sa religion chez soi”.
“Ça n’a jamais dérangé notre entourage que ma sœur, mes parents, des amis ou moi soyons musulmans. Le Front national essaye de trouver un bouc émissaire aux problèmes de la France. Mais si tous les amalgames qu’ils font entre Maghrébins et musulmans sont chiants à lire, ce n’est pas le pire. Le pire, c’est sur les réseaux sociaux, là où il y a le plus d’ignorance.”
Ahmed note la difficulté de l’entre-deux-tours, “notamment avec la montée de l’extrême droite”. L’élection de Trump et le Muslim Ban ont selon lui contribué à empirer les choses, avec “l’islamisme radical lié à Daesh et tous les autres groupuscules salissant l’islam et les musulmans du monde entier souhaitant vivre en paix”. Les onze millions d’électeurs du FN au deuxième tour de l’élection présidentielle, “la banalisation de cet extrême”, lui font peur. Myriam se dit justement “choquée” de la “banalisation de certains propos” et de “tellement, tellement de préjugés et de confusions”. On lui a carrément dit qu’“au moins pendant le ramadan, y aura pas d’attentat”. Sur ce sujet, Nahla se sent “stéréotypée, incomprise, et en colère”. Mais Ahmed tient à conclure sur une note d’espoir :
“Je dirais que ce n’est pas une période facile, loin de là malheureusement, mais je suis optimiste et je souhaite croire que cette situation peut s’améliorer dans les années à venir. Du moins, je l’espère. ”
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau