Se bâillonner et espérer que ça passe
Puis, toute la journée, je me disais que ce n’était pas possible, que tous les gens qui m’entouraient ne pouvaient pas se tromper, que ça allait passer et que je finirais par oublier que je me sentais femme plutôt qu’homme. Bon, là, je viens de faire une jolie phrase, mais en d’autres termes, ça s’appelle se haïr. Je sentais que si je disais ce que je ressentais, j’allais être tellement méprisée qu’il fallait mieux que je me méprise moi-même et que je me bâillonne en espérant que ça passerait.
J’ai donc continué à me taire jusqu’à mes 17 ans. Mais rien ne passait du tout, parce que la dysphorie de genre, ça ne s’en va pas comme ça, ça reste, et plus vous attendez, plus ça vous mine de l’intérieur. La puberté m’avait physiquement transformée en homme et, chaque jour, je devais me voir ainsi, comme déguisée, m’entendre désignée au masculin, et répondre à un prénom dans lequel je ne me reconnaissais pas. Je me suis finalement autorisée à comprendre que non, vraiment, ça n’allait pas passer, et qu’il fallait mieux que j’en parle rapidement. À partir de là, ça a été très vite : j’ai fait mon coming out trans à mes amis, qui ont eu de très bonnes réactions et m’ont apporté leur soutien. Génial, je serais donc soutenue pour l’étape suivante, et j’en avais bien besoin. Il s’agissait de faire mon coming out à mes parents. Et là, ça a tout de suite été plus dur.
Il y a eu un blocage immédiat de leur part, ils ont carrément refusé d’entendre ce que j’avais à leur dire. Forcément, comme je m’étais tue pendant toutes ces années durant lesquelles j’avais essayé de ressembler à un garçon, pour eux c’était inattendu. Si on ajoute à ça les images déplorables des personnes trans qui ont été véhiculées par les médias pendant des années et les préjugés que l’on ne peut éviter, il devient difficile de communiquer. Alors, la situation s’est embourbée, on a creusé nos tranchées respectives en octobre 2014, et ça fait bientôt trois ans que les lignes n’ont pas changé. Me voilà donc en train de déménager parce que ma transition avance, et dans la situation actuelle, elle ne peut pas avancer sous leurs yeux, même si j’aurais aimé traverser ça avec mes parents. Je ne peux pas les attendre indéfiniment. Je suis donc obligée de pas mal travailler à côté de mes études, puisque je n’ai aucun soutien financier de leur part.
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Transition et transphobie
J’ai donc commencé il y a deux mois le traitement hormonal de substitution que je vais devoir suivre toute ma vie, et ça avance doucement. J’en rêvais depuis que j’ai appris qu’il existait, au cours de mes premières recherches sur Internet. C’est quelque chose d’assez long, qui peut aller de quelques mois à plusieurs années en fonction des personnes. Et ce n’est pas toujours facile à gérer : parfois parce que l’on change trop vite, et parfois parce que l’on change trop lentement. Rappelez-vous votre puberté et imaginez-la dans le sens inverse, tout en en faisant une deuxième, le tout à 20 ans. Évidemment, ce n’est pas facile, mais c’est libérateur, c’est un poids qui tombe peu à peu de mes épaules, à mesure que je reprends possession de mon corps.
Paradoxalement, c’est à mesure que le conflit avec moi-même s’apaise que les gens m’attaquent pour cette même raison. La transphobie est partout : dans ma famille donc, mais aussi au travail, ainsi que dans ma vie sociale et dans la rue. Partout, mon identité est source de discrimination. Avant même de commencer ma transition, alors que j’avais encore une allure plutôt masculine, j’ai été à plusieurs reprises insultée et harcelée dans la rue par des gens qui avaient appris par le bouche-à-oreille que j’étais trans. J’ai également été témoin de transphobie de très nombreuses fois dans des milieux où je n’étais pas encore outée, des gens qui faisaient des blagues sur les trans, sous-entendant que je ne serais pas vraiment une femme.
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“Traduction : Je suis la personne trans effrayante contre laquelle les médias vous ont mis en garde.”
Alors, certes, ce ne sont pas des attaques qui me visaient directement, mais ça fait aussi mal, et dans des situations comme celles-ci, on a facilement honte de qui l’on est. Ça fait partie des choses qui font qu’un coming out peut être très dur à faire et reporté pendant longtemps. Côté travail, je ne vais pas avoir le choix : je devrai en changer quand ma transition sera plus avancée. Le climat y est trop hostile, et c’est de plus en plus compliqué de cacher que je suis trans. C’est ainsi très fatigant d’éviter les confrontations, les questions sur ma vie privée, voire les insultes dans ma vie quotidienne. Je dois modifier ma façon de parler (pour passer du féminin au neutre, par exemple), m’adapter au milieu dans lequel je me trouve et en fonction de la personne à qui je parle.
On me demande souvent si je suis sûre de vouloir changer de physique, comment, et pourquoi… Mais ai-je vraiment besoin de donner des preuves ? Si je vous dis que je suis droitière, vous ne me demanderez pas de tester mes réflexes pour me croire, n’est-ce pas ? Alors pourquoi demander des preuves en ce qui concerne mon genre ?
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La France et la condition des personnes trans
Au niveau politique, je n’attends pas grand-chose de ce gouvernement. Personnellement, j’ai voté Jean-Luc Mélenchon et même un peu milité pour la France insoumise, notamment parce que le programme me semblait très complet sur les questions LGBT. À la marche pour la VIe République, parmi la dizaine de pancartes qui étaient distribuées, il y en avait une demandant le “changement d’état civil libre et gratuit”. C’était quelque chose d’assez fort pour moi, j’ai vraiment apprécié. Depuis cet été, on n’a plus besoin d’attester avoir subi une chirurgie de rétribution sexuelle ou une stérilisation pour pouvoir changer d’état civil. Mais pour l’instant, c’est toujours un tribunal qui tranche, et la procédure reste longue et compliquée.
C’était ce que j’attendais principalement de ce nouveau gouvernement : légiférer pour que ce ne soit plus un parcours du combattant, tant sur le plan administratif que médical. Ça l’est déjà sur le plan social et personnel, c’est bien assez ! Ça donnerait un exemple, ce serait un message important à la population signifiant “les trans ont autant de droits que n’importe quel autre citoyen”. Je n’y crois plus trop depuis le premier tour, mais on verra.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau