Depuis son atelier rouennais, ce jeune plasticien, costumier pour le Richard III mis en scène par Thomas Jolly, dépoussière les techniques de naturalisation pour créer des installations oniriques. Portrait.
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Pour les yeux non avertis, son travail suscite toujours deux sentiments contraires. De la fascination, très souvent, pour ces animaux sublimés dans la mort. Et de l’aversion, parfois, à l’idée d’imaginer qu’il a fallu vider les corps congelés de leurs entrailles. Mais Sylvain Wavrant, n’est pas un taxidermiste comme les autres : à 27 ans, il veut démontrer que les vieilles techniques de naturalisation ont un fort potentiel poétique, onirique, mais surtout critique.
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“J’essaye de me défaire des clichés de la taxidermie. Mon but ce n’est pas de redonner l’illusion du vivant mais de transmettre un message qui va au-delà de l’animal.”
Cabinet de curiosités
Le plasticien reçoit dans son appartement, au troisième étage d’un bel immeuble rouennais, savamment orné de “curiosités”. Sur un fauteuil, un renard empaillé (ou polyuréthané ?) dort paisiblement face à une tête de biche avec des rétroviseurs en guise d’oreilles. Dans une vitrine, tout un tas de bestioles font leur vie : un petit rat colérique, un écureuil enragé, une vipère impassible dans son formol.
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Il commente : “J’ai du mal à me défaire de mes œuvres, j’aimerais pouvoir tout garder.” Car Sylvain Wavrant est très demandé depuis quelques mois : ses créatures envahissent les cabinets de curiosités rouennais et parisiens. C’est lui qui a conçu les parures animales revêtues par les comédiens du Richard III mis en scène par Thomas Jolly et présenté au Théâtre de l’Odéon, à Paris, en janvier dernier. Ce mois-ci encore, avec son collectif Nos années sauvages, il expose sa “Colline aux renards” dans une école publique désaffectée de Rouen à l’occasion du festival Normandie impressionniste. Une installation grandeur nature inspirée d’un rêve au clair de lune…
Le signe d’un engouement soudain des citadins pour les bestiaires ? De plus en plus d’artistes contemporains comme l’Irlandaise Claire Morgan, l’Allemande Iris Schieferstein (qui a créé des chaussures animales pour Lady Gaga), le Britannique Damien Hirst ou le duo hollandais Jaap Sinke et Ferry Van Tongeren réinvestissent l’art de la taxidermie afin de renouveler les perspectives esthétiques et critiques. Sylvain Wavrant se prend à rêvasser: “Mon Avignon à moi, ce serait d’exposer au musée de la Chasse, à Paris.”
Balades en forêt
Plus jeune, rien ne prédestinait ce petit brun imberbe et multitatoué à redonner vie à la faune décédée. “Tu ne décides pas, ça te tombe dessus”, reconnaît-il. Son enfance dans les plaines boisées de Sologne est tranquille. Un père cuisinier, une mère assistante maternelle : sa famille aime les plaisirs simples.
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“J’ai grandi dans la forêt, le dimanche on partait en balade ramasser des bois de cerf. Si j’avais grandi à la ville, ça aurait été différent.”
Après l’internat à Blois, direction la très prestigieuse école d’arts appliqués Duperré (Paris 3e). Sylvain Wavrant déroule : “Au tout départ, je voulais être bijoutier. La mode, c’était mon médium pour communiquer.” Deux ans plus tard, aux Beaux-arts de Rennes, il fait la connaissance d’un taxidermiste qui lui enseigne les rudiments du métier.
À la même époque, les campagnes chocs de Peta, l’ONG américaine de défense des droits des animaux, font aussi beaucoup parler d’elles dans son école. Déclic : “C’est à ce moment-là que je me suis lancé dans les accessoires et les curiosités.”
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Avec son premier scalpel, il dépèce le “petit rat d’un pote”. Pour s’entraîner, il récupère aussi les animaux (ou ce qu’il en reste) sur le bord des routes : lièvres, corneilles, ragondins, etc.
“Au tout début, j’étais très ému. Mais c’est vite devenu naturel. Au bout de la troisième fois, je n’étais plus dégoûté. Chaque animal est une rencontre : l’idée, c’est d’en faire une vraie star.”
Comme cette paonne recouverte de strass Swarovski, son phénix, ou ce cygne blanc majestueux qui lui a permis de rejouer le mythe grec de Léda.
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Militantisme
Pour Sylvain Wavrant, la taxidermie c’est aussi une sérieuse question d’écologie. Sa prise de conscience s’est renforcée avec le temps, au point qu’il a opté pour le végétarisme il y a quelques mois. “Près de 50 millions d’animaux sont tués chaque année pour leur fourrure”, déplore-t-il :
“Je propose une alternative aux dérives de la mode. En tant qu’artiste, tu dois montrer qu’on peut faire de la mode sans passer par l’élevage et qu’on peut transmettre un message sur la revalorisation des animaux morts.”
Récemment, il a d’ailleurs été époustouflé par le spot gore de Peta Asie dénonçant la fabrication des accessoires en cuir et où l’on voit des clients d’une boutique de luxe ouvrir des sacs remplis d’organes factices de crocodiles. La taxidermie serait-elle militante ? Le plasticien est en tout cas à cheval sur le respect des règles de naturalisation, une pratique très encadrée pour protéger la biodiversité et dissuader les braconniers.
“Je ne crée qu’à partir d’animaux autorisés, soit à peu près 10 % des espèces comme les nuisibles, les ‘chassables’ et les animaux domestiques. Les 90 % d’espèces restantes sont protégées et il est interdit de les naturaliser sauf dérogation.”
À ses yeux, la taxidermie permet par ailleurs d’interroger notre rapport à l’animal, “notre alter ego non domestiqué”, mais aussi de sauvegarder la diversité du vivant : “Dans deux cents ans, peut-être que ce sera malheureusement le seul moyen d’observer la nature.”
Pocahontas et Game of Thrones
Dans son atelier, au rez-de-chaussée, le plumage d’une paonne recouvre le congélateur où sont entreposés des taupes et un renardeau bientôt ressuscités. En saisissant un des mammifères à la tête encore ensanglantée, il nous expose son métier plus en détail :
“Un renard, c’est deux à trois heures de dépeçage, deux à trois jours de bain de tannage pour rendre la peau imputrescible, puis deux à trois heures de montage. Il faut enfiler la peau sur un mannequin en mousse de polyuréthane que tu peux acheter sur des sites pour taxidermiste sur Internet.”
Reste le séchage et les finitions, soit quatre jours de travail au total : un boulot facétieux.
Sylvain Wavrant résume son univers en quatre mots : la mythologie (il collectionnait les statuettes quand il était gosse), le chamanisme (“Des croyances universelles”), Pocahontas et Game of Thrones. Et les rêves aussi :
“Je fais deux rêves tarés par semaine, en moyenne. Une fois, je rentrais dans une chapelle où le bénitier était entièrement rempli d’abeilles. Je veux reproduire cette scène car elle dit beaucoup de choses sur le cycle de la vie.
Si j’avais un souhait ? Je veux juste que les gens comprennent mon travail sans avoir besoin d’en parler et qu’il s’impose comme une évidence.”
Instinctivement.
Sylvain Wavrant en quatre dates :
1989 Naissance à Romorantin-Lanthenay, dans le Loir-et-Cher.
2013 Diplômé des Beaux-arts de Rennes.
2015 Crée les parures animales pour la pièce Richard III mise en scène par Thomas Jolly.
2016 Expose à Rouen sa “Colline aux renards” dans le cadre du festival Normandie impressionniste.