Qu’on se le dise, l’orbite géostationnaire terrestre est un dépotoir. En près de soixante ans de course aux armements, de course aux télécommunications et de course à l’espionnage, les grandes puissances technologiques de ce monde ont réservé à l’espace le même sort qu’à la surface de la Terre : en construisant des tonnes de trucs, en les envoyant là-haut puis en les abandonnant à leur sort une fois devenus obsolètes.
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Depuis le lancement de Spoutnik en 1957, l’être humain a envoyé des milliers d’appareils dans l’espace, et la plupart d’entre eux sont encore là-haut, à moitié démantelés, à tourner indéfiniment autour de notre planète.
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Selon Robert Frost, ingénieur de la Nasa qui abordait la question sur Quora en 2015, il existerait ainsi plus de 3 000 satellites en orbite – et seulement la moitié d’entre eux est active en 2017, recense le site Statista. Mais s’il est facile de se représenter les déchets de l’espace comme d’énormes amas de câbles et de métal dérivant lentement en apesanteur, la réalité est bien différente : plus les déchets sont petits, plus ils posent de danger pour les différents appareils fonctionnant en orbite.
Selon les chiffres de l’ESA, il y aurait plus de 23 000 objets d’une taille inférieure à une balle de baseball dérivant pour la majorité d’entre eux dans l’orbite terrestre dite basse (entre 300 et 2 000 kilomètres d’altitude, où se trouvent également l’ISS et la plupart des satellites météo) mais aussi dans l’orbite géostationnaire (à environ 36 000 kilomètres d’altitude), où se baladent plus de 300 satellites de télécommunication et probablement un petit nombre de satellites espions.
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En tout, cela représente 7 500 tonnes de déchets à brûler dans l’atmosphère, détaille la BBC en se basant sur les chiffres de l’Agence spatiale européenne (ESA). Mais au moins, ces débris sont encore détectables par les instruments de mesure restés sur Terre…
Armageddon microscopique
La mission du Space Debris Sensor (SDS), l’appareil qui a été embarqué dans une capsule SpaceX le 4 décembre pour être ensuite rattaché à l’ISS, consiste à étudier une autre menace : les débris spatiaux d’une taille inférieure à 10 centimètres, parfois d’à peine quelques millimètres, dont on ignore pour l’instant à peu près tout – la Nasa estime à 500 000 le nombre d’objets “de la taille d’une bille”, et parle de “plusieurs millions” d’objets trop petits pour être observés (l’ESA évalue ce nombre à 166 millions).
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Pour mieux comprendre la nature, le nombre et la vitesse de ces objets – qui se déplacent à 28 000 kilomètres par heure, soit huit fois plus rapidement qu’une balle de fusil d’assaut —, l’agence spatiale américaine a donc conçu un instrument de mesure qui agira comme une sorte de filet d’un mètre carré chargé de recueillir, pendant deux à trois ans, des restes microscopiques des appareils d’origine humaine, en enregistrant la fréquence et la puissance des impacts.
En mai 2016, l’astronaute Tim Peake partageait la photo terrifiante d’une vitre de l’ISS fendue par l’un de ces débris : un impact de 7 millimètres de diamètre causé par un objet mesurant… quelques millièmes de millimètre. Selon l’agence spatiale, un débris d’un centimètre pourrait percer la coque de l’ISS, quand un objet de plus de 10 centimètres aurait l’énergie suffisante pour traverser la station spatiale de part en part.
Pour le moment, la mission du SDS consiste donc à récolter des informations pour mieux protéger l’ISS, avant d’aller observer les parages à des altitudes plus élevées (l’ISS se trouve à 400 kilomètres de la surface terrestre, les missions suivantes pourraient avoir lieu entre 700 et 1 000 kilomètres d’altitude), où se trouverait la majorité de ces minuscules débris spatiaux.
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Comment nettoyer l’orbite terrestre ?
Vous l’aurez compris, l’objectif à long terme, c’est tout simplement de nettoyer l’orbite terrestre, non seulement pour des raisons éthiques mais aussi (et surtout) par souci pratique : alors que l’être humain se donne de plus en plus les moyens de devenir une “espèce multiplanétaire”, comme le prophétise Elon Musk à longueur de conférences, le trafic spatial va sans doute augmenter, et le danger de collision avec.
Et si d’aventure un morceau de satellite de télécoms américain percute son homologue chinois, par exemple, on pourrait aboutir à une crise diplomatique. Il va donc falloir nettoyer, et plusieurs projets s’emploient déjà à imaginer des solutions pour y parvenir.
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En avril dernier, l’ESA publiait une série de recommandations sur la nécessité de commencer à nettoyer “activement” l’orbite basse, sans quoi il serait trop tard pour garder le contrôle sur la prolifération des déchets spatiaux. Depuis 2012, l’initiative CleanSpace explore donc différentes technologies pour y parvenir, notamment en préparant la mission e.Deorbit, un programme de nettoyage à 445 millions d’euros prévu pour 2023.
D’autre part, l’ESA encourage la mise en place d’un cadre législatif international visant à responsabiliser les États quant à la gestion de leurs déchets spatiaux. À l’heure actuelle, les recommandations de l’Inter-Agency Space Debris Coordination Committee (IADC) prévoient qu’un satellite ne doit pas rester plus de 25 ans en orbite après la fin de sa mission, mais seules 60 % des missions respectent cet engagement, affirme l’ESA.
Et le secteur privé s’y est aussi mis, sentant l’émergence d’un marché d’ampleur planétaire : en 2017, des équipes de chercheurs britanniques, américaines et japonaises ont présenté différents projets, à base de filets et de bras articulés, pour débuter le grand nettoyage de printemps spatial.
En 2018, le système RemoveDEBRIS de l’université britannique du Surrey sera lancé puis arrimé à l’ISS. Son objectif : tester, en conditions réelles, plusieurs techniques de récupération des déchets, en propulsant un filet, en projetant un harpon (si, si) puis en remorquant les déchets récoltés dans l’atmosphère afin qu’ils brûlent.
Ces projets augurent d’une nouvelle ère de la conquête spatiale, moins glorieuse que la découverte de nouvelles planètes mais malheureusement nécessaire : celle des éboueurs de l’espace.