Madame Figaro est désolé
Pour dissiper les doutes, dans la journée de vendredi, l’article s’accompagnait d’une note explicative dans laquelle était nichée un mea culpa :
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Le ton de l’article se voulait décalé, humoristique, et caricatural sur le personnage en question. Certains ne l’ont pas compris en ce sens, et nous l’avons entendu. Notre but n’était pas de blesser les stagiaires dont la situation est précaire : ils sont nombreux, nous en sommes conscients et puisque certains d’entre eux ont été blessés, nous en sommes désolés.
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Trop tard : l’article fait très vite polémique. Chez Libération, par exemple, qui se fâche tout rouge et fait mine de ne pas saisir l’humour. Le quotidien prend les mots de l’article au pied de la lettre, de l’entame du papier volontairement méprisante aux moqueries maladroites de “l’accent provincial”, admirablement croqué “avec un ironique “parce que mon copaing a déjà posé ses jours, aloreu bon…”.
Les Inrocks sarcastiques
Génération Précaire “révolté”
En fait, de Twitter à l’excellent Tumblr créé pour l’occasion “Stagiaire roi”, on préfère toujours rire que pleurer d’une mauvaise blague. Sauf du côté du collectif Génération Précaire, qui défend les conditions de travail des stagiaires (et qu’on avait questionné à plusieurs reprises).
Interviewée par Metro News, pour l’une de leurs porte-paroles, ça ne passe pas. Mais alors pas du tout :
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Nous sommes atterrés et révoltés de voir ce genre d’articles. De notre côté, nous recevons des milliers de témoignages sur des stages ‘machine à café’ – que Madame Figaro a l’air de regretter – ou sur des emplois déguisés. Cet article n’est vraiment pas honnête intellectuellement.
Contacté par le même journal, la rédactrice en chef de Madame Figaro, Cécilia Gabizon, défend l’article, le décrivant comme un “papier d’humeur” rédigé pour “caricaturer ce personnage du “stagiaire roi” et qui ne visait pas les “stagiaires en général“.
Elle poursuit :
Ça peut paraître un peu passéiste, mais la journaliste qui a écrit ça a moins de trente ans. Et elle a joué sur une caricature de nous-mêmes, au Figaro ! Par exemple, Henri, qui est cité dans l’article, est un de nos stagiaires. Il s’est reconnu dans la description et en a plaisanté avec nous.
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Ah, sacré Henri, va.
Tout semble donc résolu pour le mieux, Cécilia Gabizon rappelant la ligne éditoriale potache qui a fait la légende de Madame Figaro. Sauf qu’un nuage noir décide d’obscurcir le ciel bleu (moi aussi je peux faire des images) : Julien Pouget. Qui ça ? L’unique intervenant nommé intégralement de l’article de Marion Galy-Ramounot.
Dans son papier, la journaliste “Culture & People” le cite en tant que “spécialiste du management et des ressources humaines, « Y-ologue » autoproclamé”. Effectivement, M. Pouget fait du consulting et des conférences sur le thème du management intergénérationnel avec son entreprise “JP & associés”.
Dans l’article de la grande reporter, les seules citations qui lui sont attribuées sont tournées en dérision car jugées complaisantes : Julien Pouget a le culot de “[saluer] bizarrement l’attitude de cette jeune génération Y au travail, qu’il qualifie volontiers de « libre et rafraîchissante »”… ce à quoi la journaliste “de moins de trente ans” (stylée la patronne) réplique :
On vous voit d’ici ronchonner devant votre PC (avec unité centrale) : « D’accord pour l’attitude “libre et rafraîchissante”, mais pas au point d’être sans-gêne et grossière, nom de Zeus ! »
Qu’elle est triste, notre époque, où l’on ne peut même plus se moquer des jeunes en contrats sur-précaires et sans le moindre espoir d’emploi fixe sans se faire emmerder – ni faire croire qu’à part Emmett Brown, des gens sortent vraiment “nom de Zeus !” en guise d’exclamation.
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Julien Pouget “trahi”
Mais revenons à notre Julien Pouget, qui s’est “étranglé” et a ressenti “une profonde trahison” en lisant l’article consacré au stagiaire roi, évidemment très remonté dans son blog. Là où ça coince ? L’auteur de Intégrer et manager la génération Y se désolidarise totalement de cet article qu’il juge “en opposition totale avec [ses] idées” dans un post de blog sans pitié publié dès le 2 avril. Contacté par nos soins, il n’a pas souhaité donner suite à nos requêtes.
Peu importe : son billet, hyper salé, n’y va pas par quatre chemins :
De notre échange d’environ 1 heure, la journaliste retient une expression : « libre et rafraichissante » et une citation d’Oscar Wilde. Le tout noyé dans un délire qui présente le stagiaire comme un enfant gâté capricieux. Inutile de le préciser, cette présentation est en opposition totale avec mes idées. Mon blog parle pour moi.
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Et d’empiler les exemples de billets en faveur de la difficile condition de stagiaire, qu’il connaît bien d’ailleurs l’auteur “ayant été stagiaire à 300 euros par mois” lui-même. Dans sa version des faits (qu’il nomme “making-of”), il regrette que d’un échange avec la journaliste “d’environ 1 heure”, elle ait seulement retenu “une expression : « libre et rafraichissante » et une citation d’Oscar Wilde. Le tout noyé dans un délire qui présente le stagiaire comme un enfant gâté capricieux”. Pan.
Bouge pas, c’est pas fini :
En privé, la journaliste m’envoie des messages pour me dire que c’était à prendre au second degré sur le ton de l’humour. J’ai immédiatement répondu disant que cela ne me faisait pas rire et en demandant à la journaliste de retirer mon nom de cet article. Cette dernière à refusé, arguant du fait que ce n’était pas dans ses habitudes (on rêve…).
Récapitulons
Moquer le contrat de travail le plus précaire de tous, déclencher une vague de réactions passionnées sur les réseaux sociaux, inviter le sujet dans les colonnes d’autres journaux, récolter les pires anecdotes de stages afin de pointer du doigt la grande méchante “génération Y”, indigner le seul intervenant de l’article au point qu’il écrive un billet outré sur son blog, recopier quelques vannes d’inspiration Jean Roucas sur les stagiaires d’un article écrit il y a deux ans…
Conséquence : l’opinion s’écharpe pour savoir si c’est un scandale (ou pas) et l’article est très lu, récoltant un grand succès en terme de partages.
Y a pas à dire, ça c’est du bon boulot de presse.
Pendant ce temps, on vous proposait le décryptage du fameux pot de départ du stagiaire. Avec un humour bien gras.