Les paroles du groupe Cannibal Corpse pourraient endommager la santé mentale des enfants car elles contiennent des descriptions de violence, d’abus physique et mental d’êtres humains et d’animaux, de meurtre et de suicide – et sont toutes accompagnés d’illustrations.
Publicité
La cour d’Oufa s’est rangée du côté du procureur et affirme que les paroles et illustrations (qui sont la plupart du temps l’œuvre de Vince Locke) disponibles dans le domaine public peuvent effectivement causer du tort aux mineurs et légitimer cette interdiction.
Il est encore difficile aujourd’hui de savoir si les fans russes de Cannibal Corpse pourront continuer à acheter des albums de leur groupe de death metal favori. La musique du quintet sera-t-elle purement et simplement interdite de séjour au pays de Tchaïkovski ? Ces disques seront-ils vendus sous certaines restrictions contraignantes, comme une pochette générique unie ou une limite d’âge ? Mystère.
Publicité
Quatre concerts annulés sur huit
Ce qui est certain, c’est que la Russie montre une nouvelle fois à la face du monde sa crainte du metal occidental. En octobre, c’étaient les mêmes Cannibal Corpse, alors en tournée européenne, qui ont dû se heurter à l’annulation de quatre concerts sur huit dans le pays… dont l’un d’eux dans la ville d’Oufa précisément.
Ces annulations sont la cause de pressions exercées par un groupe religieux extrémiste nommé la Volonté de Dieu. Selon Team Rock, Dimitry Tsorionov, chef de ce mouvement, menaçait en amont de la tournée du groupe de “résoudre le problème avec l’aide de l’application de la loi. Si ça ne fonctionne pas, il y aura une protestation de masse”.
Après un tel ultimatum, le groupe religieux semble avoir bel et bien reçu l’appui des autorités. Juste après l’annulation mi-octobre, le groupe délivrait un communiqué de presse pour expliquer la situation à ses fans :
Publicité
À Oufa, l’électricité a été coupée peu avant le début du concert (on nous a informé que la salle n’avait pas payé son loyer). À Moscou et Saint Pétersbourg, nous avons été informés que nos visas n’étaient pas en règle et que si nous essayions de nous produire tout de même, le concert serait interrompu par la police et que nous serions arrêtés et extradés – Avant la tournée, on nous a bien dit que nous avions les visas corrects et que tous nos papiers étaient en règle.
Une certaine culture de la censure
Même si le groupe est l’un des préférés de l’acteur Jim Carrey et qu’il a même invité la horde à faire une apparition dans Ace Ventura premier du nom, il s’est de nombreuses fois attiré les foudres de lobbies puritains variés et de provenances diverses. Chez eux, dès 1995, le sénateur américain Bob Dole les accusait, tout comme les rappeurs de 2 Live Crew et Geto Boys, de pervertir la jeunesse et l’identité américaines. Les mettant du même coup dans le collimateur des associations parentales américaines.
A plusieurs milliers de kilomètres de là, un an plus tard, c’est l’Australie qui bannissait tout disque de Cannibal Corpse de son territoire. Cette interdiction a été levée en partie en 2006, mais les albums du groupe sont toujours interdits à la vente auprès des mineurs. En Allemagne, c’est encore plus compliqué : la musique des trois premiers albums du groupe s’est vu interdire jusqu’à 2006 à cause de la violence des illustrations et des paroles dérangeantes.
Il est vrai qu’avec des tubes comme “Hammer Smashed Face”, “Meat Hook Sodomy”, “Entrails Ripped from a Virgin’s Cunt”, “Necropedophile”, “Stripped, Raped, and Strangled,” ou encore “Fucked with a Knife” (l’une de mes préférées), on ne passe pas inaperçu. Mais avec le temps, le groupe est devenu la cible facile de son genre musical de niche, au point de devenir l’arbre qui cache la forêt dans le death metal.
Avouons aussi que ces censures ont donné un coup de pub inespéré au quintet : en 2003, Cannibal Corpse avait vendu plus d’un million d’albums – un score très honnête pour un groupe caractérisé par une musique d’une telle violence.
Publicité
Bande-son de films gore
Cannibal Corpse, qui a souvent dû faire face aux critiques, se défend en prétendant que sa musique, bien qu’elle soit indubitablement “brutale”, s’apparente à une forme d’art. George Fisher, le chanteur du combo, expliquait dans une interview que les membres du groupe sont tous de grands fans de films d’horreur et de cinéma gore :
Nous aimons les films horribles et répugnants, et nous voulons que nos paroles reflètent cela. Oui, ça parle de tuer des gens, mais nous n’en faisons pas la promotion. Fondamentalement, ce sont des histoires de fiction, voilà tout. Il est ridicule de prendre ce sujet tellement à cœur.
Publicité
Behemoth en prison, puis expulsé
Retour en Russie. Dans le joyeux monde du metal extrême, il n’y a pas que le Cadavre Cannibale à souffrir de persécutions au pays du samovar. Plus tôt dans l’année, les Polonais de Behemoth, un groupe à l’imagerie plutôt pas mal branchée satanisme (ambiance Aleister Crowley), ont également subi des pressions plutôt sévères de la part des autorités russes.
Le 21 mai 2014, alors en tournée là-bas, Behemoth était arrêté à Iekaterinbourg pour des visas non conformes. Le concert du soir a bien entendu été annulé et le groupe a passé la nuit en prison. Au matin, la formation polonaise passait en procès et le juge les condamnait séance tenante à quitter le pays et verser une amende de 50€ chacun.
Pour le leader du groupe, Adam Darski, aka Nergal, c’était un prétexte. Juste après sa détention, il déclarait au journal russe Znak :
Nous avons reçu nos visas au consulat russe de Varsovie. Lorsque nous nous sommes demandé comment préparer les documents dont nous aurions besoin, on nous a dit qu’il était nécessaire de demander des visas business. Nous avons fait tout ce qui était demandé. Maintenant, on nous explique que nous aurions dû demander des visas “humanitaires”, et pas business…
Publicité
La religion pour unique responsable ?
Sauf que la raison ne serait pas uniquement religieuse. Citée par cette même source, Sonia Sokolova, rédactrice en chef du portail Zvuki.ru, a une autre version. Cette vague d’annulations, à laquelle d’autres artistes comme Marilyn Manson ou encore Cradle Of Filth ont également dû faire face cette année, est à chercher non du côté religieux, mais plutôt du “business” local : “C’est une lutte concurrentielle. À l’image des raids menés contre les entreprises russes dans les années 1990”, accuse-t-elle.
Ainsi, les groupes de metal occidentaux ne subiraient que les dommages collatéraux de luttes entre les mafias locales ? Toujours sur le Courrier de Russie, la rédactrice en chef détaille ce modus operandi :
C’est une forme de racket. La première action est toujours gratuite. La victime est souvent l’organisateur du concert d’un groupe “provocateur”, connu pour ses positions radicales, voire extrêmes, en matière de religion ou de politique – et qui risque donc de n’être pas soutenu à 100 % par ses fans. Le concurrent du club qui accueille a alors recours à des bagarreurs, trouvés sur les réseaux sociaux, qui, contre une rémunération d’environ 50 euros, créent des troubles devant la salle de concert.
Plus simplement, il suffit, sinon, d’une alerte à la bombe ou d’un prétendu problème technique. Et les autorités, en échange de pots-de vins, soutiennent ces trouble-fêtes en ordonnant aux officiers de police de les laisser tranquilles, ou encore en perquisitionnant le club visé. Et ensuite, ces saboteurs réclament encore de l’argent pour mettre fin à leur manège.