Mais il faut savoir que de 2009 à environ 2013, Club Cheval n’était pas vraiment un groupe de musique. Tout le monde a cru que le mot “club” faisait référence à la club music, ou à un club hippique. Mais c’était plus prétentieux que ça. Club Cheval se voulait être un club de réflexion, un peu comme il y a en a eu après la Seconde Guerre mondiale ; des mecs qui repensaient le monde, l’économie… Nous on s’est dit qu’il fallait faire pareil pour la musique.
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Depuis, les quatre sont inséparables. Après avoir divulgué deux EPs (Club Cheval et Decisions), le single “Now U Realize” et des dizaines de remixes tabassants (qui connaissent à chaque fois un accueil favorable sur la Toile), ils travaillent en ce moment même sur leur tout premier album, qui sortira courant 2015. Et, dans la vraie vie comme au studio, Samuel et ses trois collègues se complètent :
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Si je commence à bosser sur un ordi et que je n’ai plus d’idées, je me lève, quelqu’un vient s’asseoir à ma place et continue ce que je suis en train de faire. Les gens hallucinent un peu quand ils nous voient travailler parce qu’on bosse à quatre, et que personne ne se marche sur les pieds. Il n’y a jamais eu de trucs d’égo, et je pense que c’est ce qui fait la différence avec plein d’autres groupes.
Huit ans de conservatoire
En parallèle de ce travail à huit mains, Sam Tiba, tout comme Panteros666, Myd et Canblaster, prend du temps pour réaliser ses projets personnels. Sa première production, “Barbie Weed“, voit le jour en 2010. Elle est teintée de l’une des nombreuses influences musicales de Samuel : le dancehall. “J’en ai tellement écouté ! En revanche je n’ai jamais eu de dreadlocks, je suis content. Quoique j’ai eu des périodes avec les cheveux un peu sales quand même… (rires)”
Enfant, Samuel grandit en écoutant les pontes de la chanson française comme Jacques Brel, Georges Brassens, Serge Gainsbourg et Françoise Hardy – “les seuls chanteurs blancs qu’il y avait chez moi” –, et énormément de soul, un genre dont son père se délecte alors en boucle. “C’était son rap à lui“, souligne-t-il, non sans nostalgie.
En plus de cette formation musicale homemade, le petit Samuel Tiba passe ses après-midis au conservatoire réputé de Roubaix, où il pratique à haute dose le trombone (environ quinze heures par semaine). Le jeune homme se sent presque obligé de se justifier :
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En fait à la base, je voulais faire de la flûte traversière, mais on m’a dit que j’avais les lèvres trop fines. Du coup, j’ai voulu faire du saxophone, mais on m’a dit que j’avais les dents trop écartées… J’ai dit au mec : “Mais je fais quoi du coup ?” Il m’a répondu : “Bah il reste une place en trombone.“
Stockholm, le déclic
Après huit années passées derrière les vitres du conservatoire, de ses 7 à 15 ans, Samuel fait la connaissance du rap par le biais de son grand frère, avec qui il partage alors sa chambre. Ce n’est finalement qu’une fois adulte, à l’occasion d’un voyage en Erasmus à Stockholm, qu’il découvre les joies de la musique électronique. Et la raison pour laquelle cette dernière est mondialement célébrée :
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Avant de partir en Erasmus, j’étais un peu un taliban de banlieue : je ne fumais pas, ne buvais pas, ne sortais pas… Et puis je suis allé à Stockholm et j’ai découvert la teuf, l’alcool, la drogue… tout ! C’est à ce moment-là que j’ai compris à quoi servait véritablement cette musique.
Du coup, comme dans tous les domaines qui me font craquer, j’essaie de tout savoir en un minimum de temps. C’est-à-dire qu’à partir de ce moment-là, j’ai dévoré des discographies entières de techno, d’electro, d’électronica, d’IDM, de drum’n’bass… Je suis devenu un nerd des forums musicaux.
“Mon rêve était de tout savoir”
Un “nerd“. Le terme reviendra souvent dans la bouche du jeune homme. Au fil de la discussion, on comprend rapidement que le jeune Samuel est un acharné, une sorte d’obnubilé dès qu’il se découvre une nouvelle addiction, un genre de fou furieux capable d’étudier des nuits entières à condition que le sujet lui tienne à cœur. D’ailleurs, quand on lui demande quel était son rêve de gosse, son vœu le plus cher, l’adulte de 28 ans n’hésite pas une seconde : “Vivre ailleurs que dans le Nord. Et devenir une sorte d’érudit.” Il poursuit :
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Sans paraître prétentieux, j’aime le fait de connaître plein de choses – d’ailleurs, à la base, je voulais être historien. J’ai fait beaucoup d’études, j’étais passionné par le fait de savoir et d’être capable d’avoir des discussions. J’étais très branché débat… Encore aujourd’hui j’ai le fantasme de tout savoir.
À part la musique, je n’ai pas vraiment de passion. Je fume beaucoup de weed et du coup ça me fait pas mal réfléchir – même si je pense que la plupart du temps, ça ne sert à rien. Mais si j’avais une autre passion, je ne sais pas comment je ferais parce qu’actuellement je passe quinze heures par jour à faire de la musique. C’est-à-dire que là, avant de venir, j’étais au studio, j’y retourne ensuite jusqu’à 23 heures. Puis je vais me coucher, et j’y retourne au réveil.
Le spleen de Samuel
Ces six derniers mois, Sam Tiba en a mangé, du studio. C’est entre les murs de ce dernier qu’il a façonné, de longues heures durant, son nouveau bébé, Samuel. Un EP électronique de trois morceaux teintés d’un R’n’B et d’un hip-hop transgenres, aux atmosphères mélancoliques, romantiques. Lorsqu’on la lance, la deuxième piste de l’EP, “Up In The Clouds” (dont le refrain est chanté par Samuel lui-même), est d’ailleurs une véritable ode au spleen, et nous traîne dans un état de tristesse vague – au-dessus des nuages, donc.
Les paroles de cette chanson – “I’ve always wondered, do you miss me now?” – ainsi que les titres donnés aux deux autres (“Au Revoir” et “Déguisement”, dont le clip fascine) sont autant d’indices soulignant la mélancolie et le romantisme dont s’est visiblement trouvé épris notre Samuel. On s’en doutait déjà, au vu de ses précédents travaux (on pense notamment à sa mixtape pour la Saint-Valentin avec Canblaster, ou à son remix du morceau “Loving You” de Minnie Riperton), mais la question se devait tout de même d’être posée : l’idéologie du romantisme a-t-elle une importance primordiale aux yeux du producteur ?
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Je suis Français, donc oui. J’aime la littérature du XIXème siècle, l’idée de la ruine, de la tristesse… mais pas la tristesse stérile et reloue. Dans la vie en général, je suis assez mélancolique. Je suis un peu badant par moments d’ailleurs – mais pas trop non plus. J’ai le fantasme du romantisme à la française. Je n’amène pas un bouquet de fleurs, mais je mets l’amour au même plan que la vie et la mort.
Il n’y a pas vraiment de message derrière cet EP, mis à part peut-être celui-ci : “Je bade mais c’est pas grave, parce qu’il y a de l’espoir partout”. Dans chacun de mes morceaux, il y a toujours un truc mélodique qui fait que l’espoir renaît. Je crois à la maxime “après la pluie vient le beau temps”. C’est aussi le cas dans le romantisme : après la ruine, la reconstruction.
L’EP Samuel de Sam Tiba est disponible depuis le 15 septembre sur iTunes via Bromance Records.
Publié le 15 septembre 2014, à 16h31.