Un casting mythique
Une fois le budget établi, il est temps pour Tarantino de sérieusement se pencher sur le casting. Et les choses se corsent. Car comme le rappelle Vanity Fair, Harvey Weinstein ne voulait pas donner le rôle de Vincent Vega à John Travolta. Selon Mike Simpson, l’agent de Tarantino chez William Morris Endeavor :
Publicité
John Travolta, à l’époque, c’était plus mort que mort. Il était un moins que rien.
Publicité
Il n’était pas ce demi-Dieu vénéré qu’il est aujourd’hui. Je n’étais pas certaine de vouloir le faire parce que je m’inquiétais à propos de Gimp [le personnage-objet-sexuel habillé de cuir sortant d’une cage, ndlr].
Nous avons eu de longues discussions mémorables où nous avons comparé le viol d’un homme à celui d’une femme. Personne ne croirait que j’ai hésité une seule seconde. Je ne peux même pas le croire moi-même, en fait.
Pour décrocher le rôle de Marsellus Wallace, une seule audition suffit à Ving Rhames. Le personnage de Jules Winnfield a quant à lui été écrit par Tarantino spécifiquement pour Samuel L. Jackson. Cependant, l’acteur manque de se faire voler son personnage après une première audition décevante. Mais cette fois, c’est Harvey Weinstein qui y croit.
Richard N.Gladstein, un des producteurs du film, se souvient d’un Samuel L. Jackson complètement habité par son personnage lors d’une audition de la dernière chance :
Publicité
Sam est venu avec un hamburger dans une main et une boisson dans l’autre et il puait la junk food. Il est entré en buvant et en mangeant son hamburger tout en nous regardant. J’ai eu peur. J’ai cru qu’il allait nous tirer une balle dans la tête. Ses yeux sortaient de sa tête.
Quand j’ai eu Bruce Willis, Harvey a eu sa vedette et nous étions partis.
Nouvelle vague et série B
Une fois le casting bouclé, le tournage du film commence en septembre 1993 à Los Angeles. Et Tarantino voit grand. Malgré un budget limité à 8 millions de dollars, il souhaite que son long métrage ait l’air d’une super production. “Je voulais qu’il ressemble à une épopée […] dans tous les domaines : l’inventivité, l’ambition, la durée, le cadrage. Tout excepté le coût“, explique t-il.
Le film est bouclé en dix semaines, sur une pellicule 50 Asa, afin qu’il n’y ait pas de grain, pour une image la plus proche possible du procédé Technicolor des années 50.
Et selon l’actrice Maria de Medeiros, qui joue Fabienne, la compagne de Bruce Willis dans le film, sur le tournage règne une ambiance “très décontractée” :
Publicité
Il y avait une ambiance de film d’amis et de film d’auteur. Tous les gens qui étaient là, et qui sont de grandes vedettes, étaient très conscients de faire un film, d’abord avec un budget dérisoire par rapport à ce à quoi ils étaient habitués, et ensuite de faire un film avec un grand artiste. Il y avait cette ambiance-là, de film indépendant. Ça les amusait. Tout le monde était très décontracté.
Par ailleurs Pulp Fiction est bourré de références et s’inspire de plusieurs genres cinématographiques. Tarantino arrive à conjuguer comme personne ses influences de série B et celles de la Nouvelle Vague. Ainsi, hormis la coupe à la Karina de Thurman, la séquence culte de danse s’inspire d’une scène de Bande à Part de Godard, que le réalisateur a montrée aux acteurs pendant le tournage.
Uma Thurman raconte d’ailleurs que parmi toutes les scènes stressantes du film, c’est pourtant celle où elle twiste avec John Travolta qui l’a le plus intimidée. Elle explique qu’elle se sentait “maladroite, embarrassée et timide“.
On retrouve également une autre référence à la Nouvelle Vague dans l’association des prénoms portés par les personnages Jules et Jimmy, en hommage au film Jules et Jim de Truffaut. Tarantino, qui a longtemps rêvé de devenir acteur, décide pendant le tournage de se glisser lui même dans la peau du très nerveux Jimmy. Résultat, une séquence d’anthologie.
Si globalement le tournage n’a pas rencontré de problèmes particuliers, la scène la plus difficile à tourner selon le réalisateur a été celle de l’injection de l’adrénaline. Elle a nécessité de nombreuses prises et a en réalité été filmée à l’envers, John Travolta retirant la seringue de la poitrine d’Uma Thurman, avant d’être inversée au montage.
La musique, fil conducteur de l’action
Comme pour tous ses films, Tarantino a apporté un grand soin à la bande-originale de Pulp Fiction : un mélange de rock américain, de surf music, de pop et de soul. Outre l’utilisation du titre “You Can Never Tell” de Chuck Berry dans la scène de twist, on retient notamment l’interprétation de “Misirlou” par Dick Dale, que l’on peut entendre lors du générique de début.
Et à l’origine, la chanson a été chantée pour la première fois en 1927 en Grèce par l’orchestre de Rebetiko de Michalis Patrinos.
Pour Tarantino, musique et images ont toujours été liées pendant l’élaboration d’un projet, comme il l’explique dans une interview accordée au New York Times :
Publicité
J’ai une énorme collection de disques que je range dans une pièce spéciale à côté de ma chambre. Cela ressemble à la boutique d’un disquaire d’occasions, avec des posters et des bacs répartis par genres […].
Quand je suis prêt à écrire un nouveau film, ou que je pense à une histoire et que je pars de zéro, je vais dans cette pièce et essaye de trouver de la musique pour le film – d’autres BO, des chansons, peu importe. Lorsque je trouve quelques morceaux, je me rapproche un peu plus de la concrétisation du film. Qui sait si ces deux ou trois chansons finiront dans le film? Mais cela me permet d’avancer.
Pulp Fiction fait partie des – trop rares – oeuvres qui réconcilient le public et la critique. Cette aventure délirante et grandiose parsemée de répliques inoubliables et de séquences cultes est construite à travers des récits déstructurés. La narration éclatée sous la forme de films à sketchs nous plonge dans un microcosme qui mêle avec brio ultra-violence, humour noir, ironie et situations décalées.
L’une des plus grandes forces du film réside dans la galerie de personnages, dans laquelle les gangsters et les truands sont aussi typés que dans les Pulp magazines – dont Tarantino s’est directement inspiré pour l’affiche et le titre de son chef-d’oeuvre.
En mettant en scène ses chers bad boys au coeur de situations du quotidien, le cinéaste les humanise : quoi de plus jouissif que d’entendre des malfrats sanguinaires discuter passionnément de… Big Mac ? Dans Pulp Fiction, il parvient à nous faire rire avec des sujets noirs et glauques (meurtres, overdose, viols) et montre l’étendu de sa virtuosité artistique. En somme, l’apanage d’un grand réalisateur.
-> À écouter : 25 titres des BO de Tarantino pour 25 ans de carrière