À Ciudad Juárez, ville tristement célèbre pour ses féminicides généralisés, la municipalité a lancé une application inédite. Elle permet aux utilisatrices d’envoyer un message d’alerte avec leur géolocalisation facilement et relativement discrètement.
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Presentan aplicación para celulares que permite enviar alerta a contactos y familiares en caso de Emergencia
— Ciudad Juárez (@MunicipioJuarez) 5 juillet 2017
- “No estoy sola” pic.twitter.com/jShMnontlV
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“La cité des mortes”, la “capitale des filles disparues”, “la ville des absentes” ou encore “la ville qui tue les femmes”… Ciudad Juárez n’est plus à présenter, tant elle est tristement célèbre pour ses féminicides. Située à la frontière du Mexique et des États-Unis, plaque tournante du trafic de drogue entre le Mexique et les États-Unis, on y a retrouvé 4 000 cadavres de femmes, violées, torturées ou mutilées. Ses maquiladoras, des usines de montage exemptées de droits de douane, attirent les populations pauvres du Mexique. En majorité des femmes “jeunes, peu spécialisées, corvéables à merci”, comme l’expliquent les journalistes d’investigation Marc Fernandez et Jean-Christophe Rampal, qui ont enquêté sur les féminicides de la ville pendant deux ans. Selon Amnesty International, 1 653 cadavres de femmes travaillant dans les maquiladoras auraient été retrouvés depuis 1993. La situation a été dénoncée par les médias mexicains puis internationaux à la fin des années 1990, “alors que des corps de jeunes filles mutilés, portant des traces de sévices sexuels étaient régulièrement retrouvés dans le désert qui cerne la ville”, souligne le Temps. Avant que les autres problèmes de la ville, envahie par les cartels de narcotrafiquants et leurs affrontements meurtriers de 2008 à 2012, ne prennent le devant de la scène médiatique.
“Un système politique qui refuse de reconnaître le problème”
Le site explique pourtant que les féminicides s’aggravent de jour en jour, et que les familles des victimes et associations dénoncent l’immobilisme voire la corruption des autorités. “Les féminicides en série, la traite et la prostitution forcée des jeunes filles”, les disparitions et meurtres en masse, dépendraient donc de “la corruption et l’impunité” des policiers et des militaires, qui permettent cette traite qui serait orchestrée par de “hauts responsables” et protégée par les autorités. Malgré une “sentence historique” de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui pointait la responsabilité des autorités mexicaines en 2009, rien n’a changé. Gabriela Reyes, psychologue spécialisée dans l’assistance aux familles des victimes, a expliqué au Temps que “la violence structurelle contre les femmes ne peut être combattue car il y a un système politique qui refuse de reconnaître le problème”.
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Les habitantes de la ville font donc ce qu’elles peuvent pour se protéger, principalement avec leurs portables, qui leur permettent de constamment informer leurs proches de leurs déplacements, et de les alerter en cas de problème. Une solution limitée, comme Miguel Rojas Díaz de León, directeur du département informatique de la municipalité, l’a expliqué :
“En cas de danger, une femme n’a pas le temps de débloquer son téléphone, encore moins d’appeler ou d’envoyer un message. Nous voulions donc créer un système qui permette de réduire le nombre d’interactions avec le téléphone, tout en utilisant des fonctionnalités simples qui n’étaient pas assez exploitées.”
Libération rapporte que l’idée d’une application adaptée est née, selon le directeur, “lorsque la mairie travaillait sur le tracé d’un ‘couloir sécurisé’, un itinéraire permettant aux femmes de traverser la ville en toute sécurité”. C’est l’Institut municipal des femmes, un organisme créé par la municipalité, qui a imaginé l’application “No Estoy Sola” (“Je ne suis pas seule”).
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Une application gratuite à l’utilisation simplissime et discrète
Si l’utilisatrice appuie sur la zone dédiée de l’application ou secoue son portable, “No Estoy Sola” envoie un message d’alerte aux contacts préalablement renseignés avec sa localisation. Puis le portable vibre quand les messages ont été envoyés pour prévenir l’utilisatrice. Une fois l’alerte déclenchée, “No Estoy Sola” actualise la position toutes les 5 minutes et peut continuer à prévenir les contacts désignés si l’utilisatrice l’a choisi au préalable. Il n’y a pas besoin d’être connecté à Internet, et l’alerte est personnalisable. L’application, gratuite, est donc facile à utiliser, rapide, et permet d’appeler relativement discrètement à l’aide — même si le fait que les “les jeunes filles qui proviennent de familles plus démunies, cibles types de cette vague de meurtres et de disparitions, ne disposent pas toujours d’un smartphone ou d’un crédit téléphonique suffisant”, a été pointé par Libération.
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Lancée le 7 juillet, l’appli “No Estoy Sola” a été téléchargée plus de 15 000 fois. Elle a obtenu un succès immédiat à Ciudad Juárez, et des usagers ont expliqué apprécier le fait qu’elle procure une aide sans avoir à passer par la police. Et si pour le moment elle n’est disponible qu’en espagnol et sur Android, elle devrait à terme être accessible à un plus grand nombre de personnes. En effet, FranceInfo explique que des habitants d’autres villes du Mexique et d’autres pays l’ont rapidement adoptée. “Nous devrons lancer une version internationale” a donc déclaré Miguel Rojas Díaz de León.