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C’est un sacré coup dans la gueule qu’on se prend. Pendant 2 heures et 32 minutes d’images, la respiration se coupe et l’on se plonge dans le chemin sinueux tracé par Dario Argento en 1977, et emprunté une deuxième fois, et ce de manière singulière, par Luca Guadagnino en 2018.
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L’avant-séance est bordée de points d’interrogation crispants. Car le remake d’un grand classique est toujours problématique : on se pose la question de la redite sans âme ou du détournement qui vire à la trahison du matériau d’origine. Qu’en est-il de ce Suspiria nouvelle génération ?
Aux origines du mal
Dans les films d’épouvante, la Loi de Murphy prévaut toujours. Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera mal et, forcément, quand on va voir un film portant l’étiquette “horreur”, on est prévenus que les personnages principaux, victimes montrées du doigt dès les premières images, vont passer un sale quart d’heure.
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Mais dans le nouveau long-métrage de Luca Guadagnino, qui vient ici enterrer la belle romance de Call Me By Your Name (2017) à coups de danses diaboliques, d’éruptions de sang et de corps démembrés, le mal est présent dès la naissance. Ici, il n’y a pas la rencontre entre la blanche pureté et l’esprit diabolique qui, progressivement, sort de sa cachette pour salir le tableau d’une teinte rougeâtre, tel Argento dans son académie kitsch de Fribourg. La Susie de 1977 n’a rien à voir avec la Susie de 2018, le Berlin de Dario n’a rien à voir avec le Berlin de Luca.
Il y a d’abord ces images d’une Amérique lointaine, sur la musique mélancolique de Thom Yorke, dans une maison dont l’esprit aurait pu être capturé à merveille par le travail du grand photographe américain Walker Evans – lui qui avait immortalisé des gueules de paysans pendant des décennies, dès la Grande dépression, dans le courant des années 1930. Le spectateur est témoin de la naissance d’un mal presque nécessaire. On ne sait guère pourquoi, mais son destin doit être suivi à la trace. Comme sur une ligne qu’on imagine droite, Susie traverse l’Atlantique pour arriver à Berlin.
Dans un pays en proie à des démons terroristes, à une époque où la Fraction armée rouge sévit, Susie (Dakota Johnson) arrive auréolée d’une détermination sans faille. Elle n’a plus rien de la petite fille faiblarde du film d’apprentissage de Dario Argento. Sa beauté est à la hauteur de sa force, décuplée par sa rencontre avec Tilda Swinton, la merveilleuse et glaciale maîtresse de danse Madame Blanc.
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La connexion établie entre les deux protagonistes se fait dans le temps et l’espace. Madame Blanc est éprouvante mais procure avant tout une puissance et une énergie démoniaques à Susie, qui accepte, sans jamais ciller, une avalanche d’événements étranges.
Évitant de prendre le chemin d’un De Palma (Carrie au bal du diable) qui filmait le difficile passage à l’âge adulte, Luca Guadagnino fait de son personnage principal le pivot le plus fort de son film, au sens propre comme au figuré. Indépassable, puissante et invincible, Susie est une femme née pour être. Quelles que soient ses origines ou les préjugés qu’elle irrigue, elle est présente.
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Une proposition horrifique dévastatrice
Qu’on se le dise, et c’est en cela qu’il sera probablement rebutant, Suspiria n’a rien de comparable aux films d’horreur standardisés des studios Blumhouse ou de la patte aiguisée d’un James Wan – pour ne faire que référence à Conjuring ou Insidious, entreprises mercantiles et cruellement efficaces.
Vous serez déçus du peu de jump scares, surtout par rapport à tous ceux auxquels vous avez été confrontés au cours, par exemple, du récent Ça. En lieu et place d’un jeu horrifique de dupes dont vous connaissez les rouages et les codes, Luca Guadagnino va progressivement vous submerger par une quantité d’émotions que vous ne voudrez pas forcément croiser.
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L’horreur physique que l’on peut ressentir lors d’une scène de danse terrifiante. Des membres qui craquent, un corps qui se convulse sous une pression gore, des yeux qui sortent de leurs orifices… L’horreur visuelle, à travers des inserts rapides mais prégnants, placés ici et là dans le montage, laisse à penser qu’il se trame une histoire bien plus terrifiante que celle du remake de Dario Argento. Sans omettre l’horreur psychologique, tant les murs de la célèbre académie de danse longés par Dakota Johnson puent la mort, grâce au travail du directeur de la photo, Sayombhu Mukdeeprom.
Suspiria se révèle être non seulement un remake original, mais aussi une proposition cinématographique dévastatrice, en phase avec nos peurs les plus actuelles. Si la route scénaristique de celui de Dario Argento est empruntée, elle est rapidement détournée, trahie, travestie – mais pour le bien de l’œuvre finale. Une nouvelle direction salvatrice a été choisie, moins optimiste, plus sombre, mais finalement plus naturelle et intrinsèquement contemporaine.
Avec Dakota Johnson, Thom Yorke, Tilda Swinton et Mia Goth, Luca Guadagnino réussit l’entreprise la plus délicate de ces dernières années : redonner vie à une danse macabre indépassable.